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15/12/2023 | FRANCE | N°23NT02368

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 15 décembre 2023, 23NT02368


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 17 avril 2023 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.



Par un jugement n° 2301287 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la c

our :



Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 août 2023 et 21 novembre 2023, M. B... A..., repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 17 avril 2023 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.

Par un jugement n° 2301287 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 août 2023 et 21 novembre 2023, M. B... A..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 13 juillet 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 avril 2023 du préfet de l'Orne ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer un titre de séjour d'un an, ou subsidiairement de réexaminer sa situation, dans le délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le préfet de l'Orne a entaché sa décision portant refus de titre de séjour d'une erreur d'appréciation en estimant que les actes d'état civils étaient frauduleux et en remettant en cause sa minorité de seize ans à la date de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance ;

- le refus de titre de séjour procède d'une inexacte application de l'article

L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2023, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. A... ne justifie pas avoir été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance avant ses seize ans ;

- les autres moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant ivoirien né le 11 juin 2004, déclare être entré en France en août 2019 et a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Orne sur décision de l'autorité judiciaire à compter du mois d'octobre 2019. Peu avant sa majorité, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 17 avril 2023, le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office. M. A... relève appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2023.

2. Le préfet de l'Orne a refusé à M. A... la délivrance du titre de séjour qu'il avait sollicité en lui opposant, d'une part, qu'à défaut de justifier de son identité et de son état civil, il ne remplissait pas la condition de recevabilité posée par l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et d'autre part, qu'à défaut d'avoir suivi sa formation avec sérieux, et de justifier d'une insertion socio-professionnelle particulière en France, il ne remplissait pas davantage les conditions de fond posées par l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur leur fondement.

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Et l'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

4. Afin de justifier de son identité et de son état civil, M. A... produit un extrait de son acte de naissance n° 26385 du 11 septembre 2009, une copie intégrale de cet acte de naissance émanant du registre des actes de l'Etat civil pour l'année 2009 de la commune d'Abobo, district d'Abidjan, ainsi que le jugement supplétif du tribunal de première instance d'Abidjan Côte d'Ivoire (Plateau) du 4 avril 2019 en transcription duquel son acte de naissance a été établi. Les éléments mis en avant par les services spécialisés de la police aux frontières, selon lesquels, notamment, l'extrait d'acte de naissance ne comporterait pas les mentions requises par la loi ivoirienne pour les actes de naissance et le jugement supplétif a été transcrit après l'expiration du délai d'appel, ne sont pas de nature à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif ni à remettre en cause l'authenticité de la copie intégrale de l'acte de naissance de l'intéressé dressé suivant ce jugement. L'intéressé produit en outre son passeport ivoirien, dont les mentions concordent avec les documents d'état civil produits. Il s'ensuit que le préfet de l'Orne a entaché sa décision d'erreur d'appréciation et a fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que M. A... ne justifiait pas de son état civil.

5. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".

6. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.

7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, M. A... a bien été confié au service de l'aide sociale à l'enfance avant ses seize ans. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir suivi des cours de remise à niveau en français, M. A... a été scolarisé au CFA Bâtiment à Alençon pour une formation en apprentissage de CAP maçon de deux ans à compter de septembre 2020. M. A... n'a pas obtenu son diplôme, sa moyenne étant largement insuffisante. Si M. A... fait valoir que ces résultats sont liés à son absence de scolarisation dans son pays d'origine, ses bulletins de notes mentionnent de nombreuses absences injustifiées, en plus de celles justifiées pour raisons de santé. En outre, si l'entreprise dans laquelle il était apprenti lui a proposé un contrat à durée déterminée de six mois à l'issue de son contrat d'apprentissage, ce contrat n'a pas été renouvelé et avait pris fin à la date de l'arrêté litigieux. M. A... n'a d'ailleurs pas produit l'avis de la structure d'accueil à l'appui de sa demande de titre de séjour et celui qu'il produit devant le juge, bien postérieur à l'arrêté litigieux, n'est pas très circonstancié sur ses perspectives d'insertion dans la société française. Enfin, il n'est pas allégué par M. A..., âgé de moins de vingt ans à la date du refus de titre litigieux, qu'il n'aurait plus de liens avec les membres de sa famille dans son pays d'origine. Dans ces conditions, sans remettre en cause les efforts dont a fait montre l'intéressé depuis son arrivée en France, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de l'Orne n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Orne aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce seul motif.

8. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... résidait en France depuis trois ans à la date de la décision litigieuse. S'il y a suivi une formation en apprentissage et qu'il a conclu un contrat à durée déterminée à l'issue de sa scolarité, ce contrat avait pris fin et n'avait pas été renouvelé à la date de l'arrêté litigieux, ainsi qu'il a été rappelé au point 7. M. A... ne fait état d'aucune attache familiale sur le territoire français et ne soutient pas qu'il n'aurait pas conservé des liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. Les seules amitiés qu'il a tissées depuis son entrée en France en 2019 ne permettent pas de caractériser des liens suffisamment intenses, anciens et stables pour considérer que le refus de titre de séjour et la mesure d'obligation de quitter le territoire français litigieux porteraient une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaitraient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces décisions ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de M. A....

10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02368


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02368
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;23nt02368 ?
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