Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 29 juin 2021 par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a rejeté sa demande tendant à la reconnaissance, en vue de faire usage professionnel du titre de psychologue en France, du diplôme étranger de psychologie qui lui a été délivré par la Sigmund Freud University (SFU).
Par un jugement n° 2102887 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande et a enjoint à l'administration de délivrer à Mme B..., dans un délai d'un mois à compter de la notification dudit jugement, l'autorisation sollicitée.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er septembre 2023, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement en application des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la minute du jugement du 29 juin 2023 n'est pas signée ;
- le jugement du 29 juin 2023 est insuffisamment motivé ;
- le moyen tiré de ce Mme B... ne dispose pas de l'ensemble des qualifications requises, en application du II de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985, permettant l'exercice de la profession de psychologue en Autriche est, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.
- l'exécution du jugement attaqué aurait des conséquences difficilement réparables dès lors qu'il autorise Mme B... à exercer des activités thérapeutiques alors qu'elle ne présente pas les garanties de qualification suffisantes.
Par un mémoire, enregistré le 28 septembre 2023, Mme A... B... et la SARL Sigmund Freud University Paris (SFU), représentées par Me Jacques Schecroun, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par la ministre requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jacques Schecroun, représentant Mme B... et la SFU.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... a obtenu, le 6 septembre 2018, un mastère en sciences mention " Psychologie clinique et psychothérapie : psychanalyse, psychopathologie et psychothérapie interculturelle " auprès de l'antenne parisienne de l'université privée autrichienne Sigmund Freud. Par un courrier du 17 septembre 2018, l'intéressée a demandé auprès des services du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, la reconnaissance de ce diplôme en vue de faire usage professionnel, en France, du titre de psychologue. Par une décision du 18 avril 2019, le chef du département des formations des cycles master et doctorat de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle de ce ministère a rejeté cette demande aux motifs, d'une part, que le diplôme obtenu ne présente pas les garanties de formation exigées dans le système universitaire français en ce qui concerne les conditions d'encadrement des enseignements et de réalisation des stages, et d'autre part, que ce diplôme ne permet pas à lui seul d'obtenir en Autriche l'autorisation d'exercice de la profession de psychologue clinicien et de psychologue de la santé, cette autorisation étant subordonnée à des conditions supplémentaires.
2. Par lettre du 14 juin 2019, Mme B... a formé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, qui a été rejeté par décision du 12 août suivant. Par un jugement n° 1903332 du 4 janvier 2021, devenu définitif, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 18 avril 2019 pour défaut de motivation et, par voie de conséquence, celle du 12 août 2019 et a enjoint à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, de réexaminer la demande de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. La ministre demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 29 juin 2021 prise par l'administration en exécution de la mesure d'injonction ordonnée par le tribunal et a enjoint à la ministre de délivrer à Mme B... l'autorisation sollicitée.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ". L'article R. 811-7 de ce code ajoute que : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction. ".
4. En premier lieu, si la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche soutient que le jugement attaqué est irrégulier en raison de l'absence de signature de la minute par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier, ce moyen, en tout état de cause, manque en fait.
5. En deuxième lieu, les premiers juges ont précisé le fondement et les justifications les ayant conduits à considérer que le diplôme de Mme B... permettait l'exercice de la profession de psychologue en Autriche et, par voie de conséquence, en France. Ils ont ainsi suffisamment exposé les motifs les ayant conduits à l'annulation de la décision du 29 juin 2021 par laquelle l'administration a rejeté la demande tendant à la reconnaissance, en vue de faire usage professionnel du titre de psychologue en France, du diplôme étranger de psychologie qui a été délivré à Mme B... par l'université privée Sigmund Freud. Par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que le jugement est insuffisamment motivé ne présente pas un caractère sérieux au sens et pour l'application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
6. En dernier lieu, aux termes de l'article 44 de la loi 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social : " (...) II. - Peuvent être autorisés à faire usage professionnel du titre de psychologue par le ministre chargé de l'enseignement supérieur les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui, sans posséder l'un des diplômes, certificats ou titres mentionnés au I, ont suivi avec succès un cycle d'études les préparant à l'exercice de la profession et répondant aux exigences fixées par voie réglementaire, et qui sont titulaires : / 1° D'un ou plusieurs diplômes, certificats ou autres titres permettant l'exercice de la profession dans un Etat membre ou un Etat partie qui réglemente l'accès ou l'exercice de la profession, délivrés : / (...) 2° Ou d'un ou plusieurs diplômes, certificats ou autres titres sanctionnant une formation réglementée, spécifiquement orientée sur l'exercice de la profession de psychologue, dans un Etat membre ou un Etat partie qui ne réglemente pas l'accès ou l'exercice de cette profession ; / (...) Lorsque la formation de l'intéressé porte sur des matières substantiellement différentes de celles qui figurent au programme de l'un ou l'autre des diplômes, certificats ou autres titres mentionnés au I, ou lorsqu'une ou plusieurs des activités professionnelles dont l'exercice est subordonné auxdits diplômes, certificats ou titres ne sont pas réglementées par l'Etat d'origine ou de provenance ou sont réglementées de manière substantiellement différente, le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut exiger, après avoir apprécié la formation suivie et les acquis professionnels, que l'intéressé choisisse soit de se soumettre à une épreuve d'aptitude, soit d'accomplir un stage d'adaptation dont la durée ne peut excéder trois ans et qui fait l'objet d'une évaluation. (...) ".
7. Pour demander le sursis à exécution du jugement du 29 juin 2023 ayant procédé à l'annulation de la décision du 29 juin 2021 par laquelle l'administration a rejeté la demande de Mme B... tendant à la reconnaissance, en vue de faire usage professionnel du titre de psychologue en France, du diplôme étranger de psychologie qui lui a été délivré par l'antenne parisienne de l'université privée autrichienne Sigmund Freud, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche soutient que le moyen tiré de ce que Mme B... ne dispose pas de l'ensemble des qualifications requises, en application du II de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985, permettant l'exercice de la profession de psychologue en Autriche est, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.
8. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des échanges entre les administrations française et autrichienne produits par les parties, que le diplôme de master en psychologie délivré par l'antenne parisienne de l'université privée autrichienne Sigmund Freud est reconnu en Autriche, où la profession de psychologue est réglementée, et permet d'exercer la profession de psychologue, à l'exception de celles de psychologue de la santé et de psychologue clinicien, qui nécessitent de suivre un formation postuniversitaire supplémentaire. Ainsi, en l'état de l'instruction, le moyen tiré de ce que le diplôme obtenu par Mme B... ne permet pas l'exercice de la profession de psychologue en Autriche, et par voie de conséquence, ne l'autoriserait pas à faire usage professionnel du titre de psychologue par les autorités françaises en application des dispositions citées au point 5, ne présente pas un caractère sérieux au sens et pour l'application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les moyens invoqués par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ne paraissent pas, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par la ministre appelante, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de ce que l'exécution de la décision de première instance risquerait d'entraîner des conséquences difficilement réparables.
Sur les frais d'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par la SARL Sigmund Freud University Paris sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la SARL Sigmund Freud University Paris est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Mme A... B... et la SARL Sigmund Freud University Paris.
Délibéré après l'audience publique du 1er décembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Thierry Sorin, président,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : T. SorinLa greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
Anne-Sophie VILLETTE
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N°23DA01734