Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Pleumeur-Bodou ou à défaut la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté à lui verser une somme globale de 15 337,20 euros en réparation des préjudices résultant des inondations récurrentes de sa propriété qu'elle impute à des défauts de conception d'un ouvrage public et d'enjoindre à la commune de Pleumeur-Bodou ou à défaut à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté de procéder à la réalisation des travaux préconisés par l'expertise.
Par un jugement n° 1904915 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a mis la commune de Pleumeur-Bodou hors de cause, et a, d'une part, condamné la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté à verser à Mme A... une somme de 1 320 euros en réparation des préjudices résultant des inondations affectant son terrain et, d'autre part, enjoint à la communauté d'agglomération, au choix, de verser à Mme A... une indemnité de 10 000 euros ou de procéder à la réalisation des travaux préconisés par l'expertise. Enfin, le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 22NT02203 le 11 juillet 2022 et des mémoires du 28 décembre 2022 et du 31 aout 2023, la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté, représentée par Me Guillon-Coudray, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 mai 2022 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme A... devant le tribunal administratif ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Pleumeur-Bodou à réparer les préjudices subis par Mme A... ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la commune de Pleumeur-Bodou à la garantir des condamnations prononcées contre elle en réparation des préjudices subis par Mme A... ;
5°) en tout état de cause, de rejeter les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par Mme A... et par la commune de Pleumeur-Bodou ;
6°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- il n'est pas établi que la minute ait été signée conformément aux prescriptions de l'article L. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant des raisons de fait et de droit qui ont conduit les premiers juges à rattacher à la communauté d'agglomération la maîtrise d'ouvrage de la buse cylindrique ;
- les premiers juges ont rendu un jugement irrégulier en appelant d'office à la cause la communauté d'agglomération alors que Mme A... n'avait présenté aucune conclusion même à titre subsidiaire à son encontre ;
- les premiers juges ont rendu un jugement irrégulier en prononçant une injonction en dehors des cas prévus par la loi ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- la créance dont se prévaut Mme A... est prescrite en application de la loi du 31 décembre 1968 ;
- Mme A... ne justifie d'aucun préjudice indemnisable, dès lors que les désordres dont elle se prévaut sont les conséquences du fonctionnement normal de la zone humide ; elle ne justifie pas de l'existence d'un préjudice certain et réparable et les préjudices dont elle demande réparation ne présentent pas le caractère de préjudices anormaux et spéciaux ;
- les désordres préexistaient à l'acquisition des terrains par la requérante ;
- aucun défaut d'entretien normal de l'ouvrage public litigieux n'est établi ;
- il ne pouvait lui être enjoint de procéder à la réalisation des travaux, dès lors que ceux-ci ne pouvaient être réalisés sans étude approfondie et que l'expert ne les préconisait pas de manière impérative ;
- sa responsabilité ne pouvait être engagée compte tenu de l'absence de rattachement de la buse à la compétence relative à l'entretien et l'aménagement des cours d'eau et dès lors que la buse est la propriété de la commune ;
- en mettant hors de cause la commune, les premiers juges ont commis une erreur de droit.
Par des mémoires, enregistrés les 18 novembre 2022, 23 décembre 2022, 6 mars 2023 et le 14 septembre 2023 la commune de Pleumeur-Bodou demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a fait partiellement droit à la demande indemnitaire de Mme A... et à sa demande d'injonction ;
2°) de rejeter les conclusions subsidiaires dirigées contre elle de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté tendant à sa condamnation à réparer les préjudices subis par Mme A... et à ce qu'elle garantisse la communauté d'agglomération des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le moyen tiré du défaut de signature de la minute doit être écarté dès lors que la requérante ne produit que l'ampliatif du jugement attaqué ;
- le jugement attaqué est suffisamment motivé s'agissant des considérations de droit et de fait qui ont conduit les premiers juges à la mettre hors de cause ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- la créance dont se prévaut Mme A... est prescrite dès lors que le fait générateur, à savoir le débordement du ruisseau, est connu depuis qu'elle a acquis les terrains en 2003 ;
- la demande de réparation de Mme A... n'est pas fondée, en l'absence d'un préjudice grave et spécial ;
- il n'y a pas eu d'erreur dans la conception de l'ouvrage ;
- l'expert n'étant pas affirmatif sur la pertinence de l'installation d'une seconde buse cylindrique, la demande d'injonction de Mme A... doit être rejetée ;
- sa responsabilité ne saurait être engagée, dès lors que la compétence " GEMAPI " a été transférée à la communauté d'agglomération depuis le 1er janvier2018, en vertu de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales et que la buse ne saurait être regardée comme faisant partie du domaine public routier.
Par des mémoires, enregistrés le 12 décembre 2022, 21 juin 2023, le 17 aout 2023 et le 29 septembre 2023 non communiqué, Mme A... demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) de rejeter la requête de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté et les conclusions de la commune de Pleumeur-Bodou ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
3°) en conséquence, de condamner la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 35 096,40 euros, outre le remboursement des frais d'huissier et d'expertise amiable de 3 440,89 euros ;
4°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté et à la commune de Pleumeur-Bodou de procéder à la réalisation des travaux préconisés par l'expertise ;
5°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération et de la commune de Pleumeur-Bodou une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
A titre principal, par la voie de l'appel incident :
- le périmètre des inondations est considérable, dès lors que les reflux importants s'étendent sur les berges du ruisseau et sur son terrain jusqu'à 9 mètres de part et d'autre de l'axe du ruisseau ; le terrain devient instable et les tourbillons créent des creux dans les berges en amont de la buse ; sa maison est atteinte par l'humidité, contrairement aux constatations de l'expert judiciaire ;
- les désordres sont en lien de causalité direct, certain et exclusif avec le défaut de conception de la buse tenant à son diamètre insuffisant ;
- les préjudices subis sont importants et excèdent les sujétions normales d'entretien auxquelles sont soumis les riverains de petits ruisseaux comme " Le Samson " ; les mares et zones boueuses quasi permanentes et l'affaissement des rives de plus en plus important rend la circulation sur ces zones dangereuses ; elle se trouve privée de la possibilité de créer un jardin et de réaliser un aménagement paysager ; il résulte du rapport d'expertise qu'elle a fait réaliser de manière amiable que le mauvais écoulement ponctuel de la nappe peut saturer l'ensemble du sol d'assise de la maison et entraîner à terme des problèmes récurrents d'humidité voire de déstabilisation des sols en raison de la pente marquée du terrain ; le désintérêt manifesté par la ville face à cette situation a généré chez elle d'importantes inquiétudes tout au long de ces années ;
- la communauté d'agglomération et la commune doivent être condamnées à l'indemniser d'une somme de 35 096,40 euros en réparation des préjudices subis correspondant aux frais de remise en état des berges, d'engazonnement et de taille de trois trembles avec la coupe consécutive ;
- elle a en outre droit au remboursement d'une somme de 3 440,89 euros correspondant à :
- des frais d'huissier d'un montant total de 1 424,49 euros ;
- des frais exposés pour l'expertise amiable d'un montant de 1 512,40 euros ;
- des frais de l'étude Dervenn relative aux berges d'un montant de 504 euros ;
- il y a lieu d'enjoindre à la communauté d'agglomération et la commune de réaliser les travaux de reprise préconisés par l'expert ;
A titre subsidiaire : aucun des moyens invoqués par la communauté d'agglomération n'est fondé.
II. Par une requête, enregistrée sous le numéro 22NT02238, et un mémoire, enregistrés les 13 juillet 2022 et 21 juin 2023, Mme B... A..., représentée par Me Drouard, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes attaqué en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
3°) en conséquence, de condamner la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 35 096,40 euros, outre le remboursement des frais d'huissier et d'expertise amiable de 3 440,89 euros ;
4°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération et à la commune de Pleumeur-Bodou de procéder à la réalisation des travaux préconisés ;
5°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération et de la commune de Pleumeur-Bodou une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
A titre principal, par la voie de l'appel incident :
- le périmètre des inondations est considérable, dès lors que les reflux importants s'étendent sur les berges du ruisseau et sur son terrain jusqu'à 9 mètres de part et d'autre de l'axe du ruisseau ; le terrain devient instable et les tourbillons créent des creux dans les berges en amont de la buse ; sa maison est atteinte par l'humidité, contrairement aux constatations de l'expert ;
- les désordres sont en lien de causalité direct, certain et exclusif avec le défaut de conception de la buse tenant à son diamètre insuffisant ;
- les préjudices subis sont importants et excèdent les sujétions normales d'entretien auxquels sont soumis les riverains de petits ruisseaux comme " Le Samson " ; les mares et zones boueuses quasi permanentes et l'affaissement des rives de plus en plus important rend la circulation sur ces zones dangereuses ; elle se trouve privée de la possibilité de créer un jardin et de réaliser un aménagement paysager ; il résulte du rapport d'expertise qu'elle a fait réaliser de manière amiable que le mauvais écoulement ponctuel de la nappe peut saturer l'ensemble du sol d'assise de la maison et entraîner à terme des problèmes récurrents d'humidité voire de déstabilisation des sols en raison de la pente marquée du terrain ; le désintérêt manifesté par la ville face à cette situation a généré chez elle d'importantes inquiétudes tout au long de ces années ;
- la communauté de communes et la commune doivent être condamnés à l'indemniser d'une somme de 35 096,40 euros en réparation des préjudices subis correspondant aux frais de remise en état des berges, d'engazonnement et de taille de trois trembles avec la coupe consécutive ;
- elle a, en outre, droit au remboursement d'une somme de 3 440,89 euros correspondant à :
- des frais d'huissier d'un montant total de 1 424,49 euros ;
- des frais exposés pour l'expertise amiable d'un montant de 1 512,40 euros ;
- des frais de l'étude Dervenn relative aux berges d'un montant de 504 euros ;
- il y a lieu d'enjoindre à la communauté d'agglomération et la commune de réaliser les travaux de reprise préconisés par l'expert ;
A titre subsidiaire : il y a lieu de confirmer le jugement attaqué.
Par des mémoires, enregistrés les 16 novembre 2022 et 21 août 2023, la communauté d'agglomération Lannion-Trégor Communauté, représentée par Me Guillon-Coudray, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
A titre principal :
1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué ;
2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme A... ou à défaut de condamner la commune de Pleumeur-Bodou à réparer les préjudices subis par Mme A... ou à défaut de condamner la commune à la garantir des condamnations prononcées contre elle en réparation de ces préjudices ;
A titre subsidiaire, de confirmer le jugement attaqué ;
En tout état de cause :
1°) de rejeter la requête d'appel de Mme A... ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
A titre principal, par la voie de l'appel incident :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- il n'est pas établi que la minute ait été signée conformément aux prescriptions de l'article L. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant des raisons de fait et de droit qui ont conduit les premiers juges à rattacher à la communauté d'agglomération la maîtrise d'ouvrage de la buse cylindrique ;
- les premiers juges ont rendu un jugement irrégulier en l'appelant d'office à la cause alors que Mme A... n'avait présenté aucune conclusion, même à titre subsidiaire, à son encontre ;
- les premiers juges ont rendu un jugement irrégulier en prononçant une injonction en dehors des cas prévus par la loi ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- la créance dont se prévaut Mme A... est prescrite en application de la loi du 31 décembre 1968 ;
- Mme A... ne justifie d'aucun préjudice indemnisable, dès lors que les désordres dont elle se prévaut sont les conséquences du fonctionnement normal de la zone humide ; qu'elle ne justifie pas de l'existence d'un préjudice certain et réparable et que les préjudices dont elle se prévaut ne présente pas les caractéristiques nécessaires de spécialité et d'anormalité ;
- les désordres préexistaient à l'acquisition des terrains par la requérante ;
- aucun défaut d'entretien normal de l'ouvrage public litigieux n'est établi ;
- il ne pouvait lui être enjoint de procéder à la réalisation des travaux dès lors que ceux-ci ne pouvaient être réalisés sans étude approfondi et que l'expert ne les préconisait pas de manière impérative ;
- sa responsabilité ne pouvait être engagée dès lors que l'absence de rattachement de la buse à la compétence relative à l'entretien et l'aménagement des cours d'eau et que la buse est la propriété de la commune ;
- en mettant hors de cause la commune, les premiers juges ont commis une erreur de droit.
A titre subsidiaire, aucun des moyens invoqués par Mme A... n'est fondé.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Emelien, représentant la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté, de Me Leduc, représentant la commune de Pleumeur-Bodou, et de Me Douard, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... est propriétaire des parcelles cadastrées ..., situées ..., sur le territoire de la commune de Pleumeur-Bodou (Côtes d'Armor). Sa maison d'habitation est implantée sur la parcelle .... Les parcelles ... sont traversées par un ruisseau dénommé " Le Samson ", passant, en sortie de son terrain, sous une voie communale au moyen d'une buse cylindrique. Se plaignant des débordements du ruisseau sur sa propriété en périodes de fortes pluies, qu'elle impute au dimensionnement insuffisant de la buse, Mme A... a adressé, les 1er mars et 11 mai 2016, deux courriers à la commune de Pleumeur-Bodou afin de la tenir informée de la situation et lui demander d'intervenir. Mme A... a ensuite saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, qui a diligenté une expertise, par une ordonnance du 24 octobre 2018. L'expert a déposé son rapport le 11 mars 2019. A la suite de ce rapport, par courriers des 16 avril 2019 et 22 juillet 2019, Mme A... a saisi la commune de Pleumeur-Bodou afin qu'elle procède à la réalisation des travaux préconisés par l'expert et l'indemnise des préjudices subis. Face au silence de la commune, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune ou à défaut la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté à lui verser une somme totale de 15 337,20 euros en réparation des préjudices subis, et de lui enjoindre de réaliser les travaux préconisés par l'expertise. Par un jugement du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a mis la commune de Pleumeur-Bodou hors de cause, a condamné la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté à verser à Mme A... la somme de 1 320 euros en réparation des préjudices résultant des inondations de son terrain et lui a enjoint, au choix, soit de verser une indemnité d'un montant qui ne saurait être inférieur à la somme de 10 000 euros, soit de procéder à la réalisation des travaux préconisés par l'expertise.
2. Par la requête n° 22NT02203, la communauté d'agglomération relève appel de ce jugement et demande à la cour de rejeter la demande de Mme A... ou de n'y faire droit qu'en tant qu'elle est dirigée contre la commune de Pleumeur-Bodou. Mme A..., par la voie de l'appel incident, demande à la cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande, et de condamner la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 35 096,40 euros en réparation des préjudices subis et une somme de 3 440,89 euros en remboursement des frais d'huissier, d'étude, et d'expertise amiable qu'elle a exposés. La commune de Pleumeur-Bodou demande à la cour de rejeter les conclusions subsidiaires de la communauté d'agglomération dirigées contre elle de la requête d'appel et, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a fait droit à la demande de Mme A... et de rejeter ses demandes.
3. Par la requête n° 22NT02238, Mme A... demande à la cour d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande, et de condamner la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 35 096,40 euros en réparation des préjudices subis et une somme de 3 440,89 euros en remboursement des frais d'huissier, d'étude et d'expertise amiable qu'elle a engagés. La communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté conclut au rejet de la requête, et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué, de rejeter les demandes de Mme A..., ou subsidiairement de la mettre hors de cause et de ne faire droit à ces demandes qu'en tant qu'elles sont dirigées contre la commune de Pleumeur-Bodou.
4. Les requêtes n° 22NT02203 et 22NT02238 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. Le tribunal administratif de Rennes, qui était initialement saisi par Mme A... de conclusions exclusivement dirigées contre la commune de Pleumeur-Bodou, ne pouvait ordonner d'office la mise en cause, en qualité de défendeur, de la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté. Dès lors, en appelant à la cause la communauté d'agglomération par courrier du 17 juin 2020 afin qu'elle produise un mémoire en défense, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité, alors même qu'à la suite de cette mise en cause irrégulière, les parties ont ultérieurement dirigées leurs conclusions également à l'encontre de cette collectivité. Il s'ensuit que le jugement attaqué doit être annulé.
6. Il y a lieu dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens d'irrégularité du jugement attaqué, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes.
Sur la personne publique responsable :
7. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
8. La qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public.
9. Mme A... demande réparation des préjudices résultant des inondations régulières des parcelles dont elle est propriétaire, qu'elle impute à l'insuffisance du diamètre de la buse cylindrique, permettant l'écoulement de l'eau du ruisseau sous la " route de ... ". Il est constant que cette route est une voie communale et que la buse cylindrée implantée sous cette voie, propriété de la commune de Pleumeur-Bodou, en constitue un accessoire indissociable. Dès lors, et sans que soit à cet égard déterminante la question de la personne publique compétente en matière de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, incluant notamment en vertu de l'article L. 211-7 du code de l'environnement l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, la commune de Pleumeur-Bodou, qui a la qualité de maître d'ouvrage de la voie communale sous laquelle est implantée la buse litigieuse, est responsable, même en l'absence de faute, des désordres causés aux tiers par cet ouvrage public.
Sur la prescription quadriennale :
10. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". L'article 2 de cette même loi prévoit que : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. ".
11. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée au titre d'un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi.
12. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport établi le 24 octobre 2018 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, que les préjudices dont Mme A... demande la réparation résultent des inondations successives que sa propriété a subies depuis son acquisition en 2003. La requérante déclare que les inondations sont devenues plus importantes et plus récurrentes à compter de l'année 2016. Mme A... a d'ailleurs saisi la commune de Pleumeur-Bodou par courrier du 1er mars 2016 afin de remédier aux conséquences dommageables résultant des inondations affectant les parcelles dont elle est propriétaire en mettant en cause le dimensionnement insuffisant de la buse cylindrée. Ce courrier, qui a trait au fait générateur de la créance dont elle se prévaut et à la demande de réparation des préjudices allégués, a interrompu le délai de prescription en application des dispositions du premier alinéa de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 citées au point précédent. Il s'ensuit que seules les créances rattachables aux années 2003 à 2011 incluse étaient prescrites. Dès lors, l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Pleumeur-Bodou doit être écartée s'agissant des créances qui se rattachent aux années ultérieures, soit celles correspondant aux préjudices résultant des inondations subis par Mme A... à compter de l'année 2012.
Sur la responsabilité :
13. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise judiciaire, que l'afflux d'eau provenant du bassin versant amont provoque, en période de fortes pluies, des inondations récurrentes sur les parcelles de Mme A... cadastrées ... situées en amont de la buse. Il résulte encore de l'instruction que les études hydrauliques et hydrologiques menées sur le site dans le cadre des opérations d'expertise ont permis de conclure que la buse en béton cylindrée qui passe sous la route de ... est sous-dimensionnée pour permettre un écoulement correct des débits de périodes de retour supérieurs à quatre ou cinq ans, ce qui est susceptible d'entraîner une inondation partielle de la chaussée à cet endroit et une zone potentiellement accidentogène. L'expert précise que ce sous-dimensionnement qu'il qualifie de " problème de conception " est l'unique cause des inondations des terrains de Mme A.... Dès lors que ces inondations résultent d'un dysfonctionnement de la buse cylindrée, les dommages en résultant revêtent en l'espèce un caractère accidentel. Il s'ensuit, conformément aux motifs rappelés au point 9, que la commune de Pleumeur-Bodou, propriétaire de l'ouvrage public, est responsable des préjudices causés par le fonctionnement de la buse à Mme A..., qui a la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage.
Sur l'évaluation des préjudices :
14. Mme A... demande d'abord réparation des troubles de jouissance subis en raison de la dégradation du terrain et des berges du ruisseau, en faisant valoir qu'elle est empêchée non seulement de circuler dans les parties inondées des parcelles non bâties ... mais encore de réaliser des plantations d'arbustes ou de fleurs à caractère persistant. Toutefois, ainsi que le relèvent la communauté d'agglomération et la commune, ces parcelles sont situées en zone naturelle du plan local d'urbanisme de la commune et les zones inondées sont identifiées au moins en partie comme étant situées en zone humide. Dans ces conditions, eu égard aux caractéristiques des terrains impactés par les inondations, il sera fait une équitable appréciation des troubles de jouissance subis par Mme A... depuis 2012 en les évaluant à la somme de 2 000 euros.
15. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la maison d'habitation de Mme A... ni même la parcelle ... sur laquelle elle est implantée, aurait subi des désordres du fait des inondations. L'expert judiciaire précise à cet égard que la maison est située à plus de vingt mètres du ruisseau et environ 7 à 8 mètres au-dessus du sommet de la buse et affirme que même en période de crue décennale, les eaux ne sont pas susceptibles d'atteindre les fondations de la maison de Mme A.... Si l'expertise amiable, diligentée à la demande de l'intéressée et dépourvue de caractère contradictoire, fait état d'un risque de saturation du sol d'assiette de la maison en raison d'un phénomène de remontée de la nappe phréatique susceptible d'entraîner à terme des problèmes d'humidité dans la maison, il résulte de l'instruction que le caractère certain d'un tel risque n'est pas établi.
16. Enfin, Mme A... peut prétendre au remboursement des frais d'huissier qu'elle a exposés à quatre reprises les 11 décembre 2017, 8 février 2019, 1er juillet 2022 et 29 juillet 2022 afin de faire constater les désordres, soit la somme totale de 1 424,49 euros. Elle a droit également au remboursement des frais qu'elle a engagés afin de faire réaliser une étude technique relative à la problématique de dégradation des berges du ruisseau, situées sur sa propriété, d'un montant de 504 euros, ainsi que le remboursement des frais d'expertise d'un montant de 1 512,40 euros, utiles pour apprécier l'étendue des désordres et l'urgence à procéder aux travaux proposés par l'expert judiciaire.
17. Il résulte des points 14 à 16 du présent arrêt qu'il y a lieu de condamner la commune de Pleumeur-Bodou à verser à Mme A... la somme de 5 440,89 euros en réparation de l'ensemble des préjudices imputables au dysfonctionnement de la buse.
Sur les conclusions à fin d'injonction de réaliser des travaux :
18. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.
19. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise judiciaire, que des travaux consistant à doubler la buse de 800 mm de diamètre existante et de poser en parallèle une conduite d'un diamètre équivalent, de 800 mm, permettraient d'obtenir une section de passage assurant correctement le transit de la crue de fréquence décennale et ainsi de pallier aux débordements du ruisseau " Le Samson " résultant du sous-dimensionnement de la buse existante. L'expert judiciaire a estimé le coût de ces travaux correctifs à la somme de 15 000 euros. Un tel coût n'apparaît pas manifestement disproportionné par rapport aux préjudices subis, d'autant que l'expert judiciaire a indiqué, ainsi qu'il a été dit au point 13, que le sous-dimensionnement de la conduite existante pour évacuer les débits de périodes de retour supérieures à cinq ans est de nature à entraîner une inondation partielle de la chaussée à cet endroit et donc une zone potentiellement accidentogène. L'expert précise néanmoins qu'en cas de réalisation de tels travaux, il " conviendra de réaliser une étude sur l'ensemble du cours d'eau car il est nécessaire d'évaluer l'impact que ces éventuels travaux pourraient avoir sur les terrains situés à l'aval. ". Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre à la commune de réaliser cette étude sur l'ensemble du ruisseau, puis, sous réserve que les conclusions de celle-ci ne s'y opposent pas au regard de l'impact des travaux correctifs envisagés sur les terrains situés à l'aval du cours d'eau, de procéder à la réalisation de ces travaux afin de permettre un bon écoulement de l'eau au droit de la propriété de Mme A.... La commune justifiera, selon les résultats de cette étude, soit de la réalisation des travaux entrepris dans le délai de 15 mois à compter de la mise à disposition du présent arrêt, soit de l'impossibilité d'y procéder.
Sur les frais liés au litige :
20. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ".
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 5 017,20 euros TTC par l'ordonnance n° 1803728 du 1er avril 2019 à la charge définitive de la commune de Pleumeur-Bodou.
22. D'autre part, en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de Pleumeur-Bodou doivent dès lors être rejetées. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que Mme A..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté une somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Pleumeur-Bodou une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 12 mai 2022 est annulé.
Article 2 : La commune de Pleumeur-Bodou est condamnée à verser à Mme A... une somme de 5 440,89 euros en réparation des préjudices subis.
Article 3 : Il est enjoint à la commune de Pleumeur-Bodou de faire réaliser l'étude hydrologique et hydraulique préconisée par l'expert sur l'ensemble du ruisseau, puis, sous réserve que les conclusions de celle-ci ne s'y opposent pas au regard de l'impact des travaux correctifs envisagés au droit de la propriété de Mme A... sur les terrains situés à l'aval du cours d'eau, de procéder à la réalisation des travaux proposés par l'expert pour permettre un bon écoulement de l'eau. La commune justifiera, selon les résultats de cette étude, soit de la réalisation des travaux entrepris dans le délai de 15 mois à compter de la mise à disposition du présent arrêt, soit de l'impossibilité d'y procéder.
Article 4 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 5 017,20 euros TTC par l'ordonnance du 1er avril 2019 (1803728), sont mis à la charge définitive de la commune de Pleumeur-Bodou.
Article 5 : La commune de Pleumeur-Bodou versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la commune de Pleumeur-Bodou et à la communauté d'agglomération Lannion-Trégor communauté.
Une copie en sera adressée, pour information, à l'expert.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.
La rapporteure,
J. LELLOUCH
La présidente,
C. BRISSON La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 22NT02203, 22NT02238