Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui verser, avec intérêts, la somme de 110 000 euros, à parfaire à la somme de 140 000 euros, en remboursement des frais exposés pour la prise en charge des préjudices subis à la suite de faits de viols et du meurtre de D..., le 4 avril 2014.
Par un jugement n° 2001246 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le département de l'Hérault à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 140 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2019.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 août 2021 sous le n° 21MA03625 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 21TL03625 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire complémentaire enregistré le 13 juin 2023, le département de l'Hérault, représenté par Me Audouin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il le condamne à verser une somme supérieure à 53 000 euros ;
2°) de réduire la condamnation prononcée à son encontre à la somme de 53 000 euros ;
3°) de mettre à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal a statué ultra petita, la condamnation prononcée incluant une somme de 30 000 euros qui était réclamée à la condition, qui ne s'est pas réalisée, que les indemnisations correspondantes soient libérées ;
- le versement effectif de cette somme par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions n'est pas établi et celle-ci ne constitue pas un préjudice certain ;
- les condamnations prononcées par le tribunal, qui s'est borné à reprendre les montants des sommes versées aux victimes, sans tenir compte notamment du critère de la cohabitation et d'un lien affectif insuffisant, sont excessives.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 6 mai 2022 et le 1er septembre 2022, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, représenté par le cabinet d'avocats Cassel, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que la condamnation du département de l'Hérault soit portée à la somme de 140 500 euros et à la réformation du jugement en conséquence ;
3°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du département de l'Hérault sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le département ne sont pas fondés ;
- il justifie d'un versement aux victimes d'une somme complémentaire de 500 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafon,
- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 4 avril 2014, A... E..., a été victime, au sein de l'institut thérapeutique éducatif et pédagogique de Campestre à Lodève (Hérault) où elle était placée au titre de l'aide sociale à l'enfance, de faits de viol suivi de meurtre commis par un autre mineur également pris en charge dans la même structure. La commission d'indemnisation des victimes d'infractions a homologué les accords transactionnels conclus entre les ayants droit de la victime et le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, prévoyant le versement de diverses sommes, pour un montant total de 110 000 euros. Le Fonds, subrogé dans les droits des victimes en application de l'article 706-11 du code de procédure pénale, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault, en charge du service de l'aide sociale à l'enfance, à lui rembourser la somme de 110 000 euros, à parfaire à la somme de 140 000 euros pour tenir compte d'une indemnisation complémentaire de 30 000 euros, dont l'homologation était dans l'attente de l'autorisation du juge des tutelles. Par un jugement du 15 juin 2021, le tribunal a fait droit à cette demande en reconnaissant la responsabilité sans faute du département au titre des dommages causés aux tiers par un mineur confié à un service de l'aide à l'enfance et en prononçant une condamnation à hauteur de la somme de 140 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2019. Le département de l'Hérault fait appel de ce jugement, en tant que le tribunal l'a condamné à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme supérieure à 53 000 euros. Par la voie de l'appel incident, ce dernier demande que la condamnation soit portée à la somme de 140 500 euros et la réformation du jugement en conséquence.
Sur la régularité du jugement :
2. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui verser une " somme de 110 000 euros (...) à parfaire à la somme de 140 000 euros lorsque les indemnisations allouées à C... (15 000 euros) et B... (15 000 euros) seront libérées, présentant pour le Fonds de garantie la nature d'un préjudice futur mais certain ". Dans ces conditions, les premiers juges, en prononçant une condamnation à hauteur de la somme de 140 000 euros, alors même que l'homologation de l'indemnisation complémentaire de 30 000 euros était toujours dans l'attente de l'autorisation du juge des tutelles, n'ont pas statué au-delà des conclusions indemnitaires dont ils étaient saisis. Il en résulte que le département de l'Hérault n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 706-11 du code de procédure pénale : " Le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes (...) ". En application de ces dispositions, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction, ou de toute personne tenue d'en assurer la réparation à un titre quelconque, le remboursement de l'indemnité versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge de ces personnes. La nature et l'étendue des réparations incombant à une personne publique ne dépendent pas de l'évaluation du dommage faite par le juge judiciaire dans un litige auquel elle n'a pas été partie, mais doivent être déterminées par le juge administratif compte tenu des règles relatives à la responsabilité des personnes morales de droit public. Le juge administratif n'est pas davantage lié par le contenu des transactions conclues par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
4. Le département de l'Hérault conteste les montants des indemnités dues au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, subrogé dans les droits des victimes en application de l'article 706-11 du code de procédure pénale.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par jugement du 13 juin 2022, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions a mis à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions les deux indemnités complémentaires de 15 000 euros à verser au demi-frère et à la demi-sœur de A... en réparation du préjudice moral subi du fait des viols et du meurtre de cette dernière. Ces indemnités, qui ont été acquittées le 30 juin 2022, viennent s'ajouter aux sommes antérieurement homologuées par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour un montant total de 110 000 euros. Il en est de même de la somme de 500 euros, qui a été mise à la charge du Fonds de garantie par le même jugement du 13 juin 2022 au titre des frais exposés par la représentante légale du demi-frère et de la demi-sœur de A... et non compris dans les dépens et qui a été également acquittée le 30 juin 2022. L'intimé est d'ailleurs recevable à demander la condamnation du département de l'Hérault au paiement de cette somme, alors même qu'elle est réclamée pour la première fois en appel et vient majorer le montant total de l'indemnité réclamée en première instance, dès lors qu'elle s'apparente à un chef de préjudice qui se rattache au même fait générateur et qui constitue un élément nouveau apparu postérieurement au jugement du tribunal administratif. Il en résulte, en tout état de cause, que le Fonds intimé justifie avoir versé des indemnités et frais en lien avec les faits de viols et le meurtre de A... à hauteur de la somme totale de 140 500 euros.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il est mentionné dans le jugement attaqué, que la jeune A..., alors âgée de douze ans seulement, a été victime d'un meurtre par asphyxie, résultant d'un étranglement et/ou de la position comprimée dans laquelle son corps a été abandonné dans une case de rayonnage, précédé de viols accompagnés de violences spécifiques au regard des lacérations internes de l'enfant. Dans de telles circonstances, le tribunal administratif de Montpellier s'est livré à une juste appréciation du préjudice d'affection subi par la mère de A..., bien que cette dernière ait été placée, en l'évaluant à la somme de 30 000 euros. Ces mêmes circonstances permettent de considérer que tel est également le cas de l'évaluation du préjudice moral du père de A..., qui, bien que n'ayant pas vu sa fille depuis qu'elle avait cinq ans, avait conservé un lien affectif, et de sa grand-mère, fixés par les premiers juges respectivement à 20 000 euros et 10 000 euros.
7. En troisième lieu, d'une part, le tribunal administratif de Montpellier a procédé à une juste appréciation du préjudice d'affection subi par les deux frères de A..., son demi-frère et sa demi-sœur, ainsi que sa belle-sœur, en le fixant à 15 000 euros chacun, compte tenu de ce qu'ils ont partagé la même communauté éducative au sein du foyer familial ou une réelle proximité affective, qui n'est pas sérieusement contestée.
8. En quatrième lieu, le préjudice d'affection subi par le beau-père de A..., compagnon de sa mère, peut, par une juste évaluation, être fixé, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, à la somme de 5 000 euros.
9. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a droit au remboursement de la somme de 500 euros qui a été mise à sa charge au titre des frais exposés et non compris dans les dépens par le jugement du 13 juin 2022 de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions.
10. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le département de l'Hérault n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions une somme supérieure à 53 000 euros, d'autre part, que ce dernier est fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que le tribunal a limité cette condamnation à la somme de 140 000 euros, qu'il convient de porter à 140 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Hérault le versement au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions de la somme de 2 000 euros en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par le département de l'Hérault est rejetée.
Article 2 : La somme que le département de l'Hérault est condamné à verser au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions est portée à 140 500 euros.
Article 3 : Le jugement n° 2001246 du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le département de l'Hérault versera au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Hérault et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2023.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
A. Barthez
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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