Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) FRA Architectes a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les titres exécutoires émis à son encontre par la communauté d'agglomération du Grand Angoulême les 7 novembre 2016 et 2 mars 2017 pour le recouvrement d'une somme de 62 535,72 euros.
Par un jugement n° 1700065-1701144 du 6 mars 2019, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'annulation du titre exécutoire du 7 novembre 2016 et a rejeté le surplus de la demande.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 mai 2019, 18 mars et 30 avril 2021, la société FRA Architectes, représentée l'AARPI Drouineau 1927, agissant par Me Veyrier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1700065-1701144 du 6 mars 2019 ;
2°) d'annuler le titre exécutoire du 2 mars 2017 et de la décharger de l'obligation de payer qui en résulte ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Angoulême une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le titre exécutoire litigieux ne comporte pas les bases de liquidation de la créance ;
- ce titre porte sur une créance qui n'avait pas été liquidée et qui n'était par suite pas exigible dès lors que le décompte général n'a pas été établi et qu'elle n'a commis aucun manquement justifiant que des travaux supplémentaires soient mis à sa charge ;
- elle ne peut être redevable de cette créance en sa qualité de mandataire du groupement dès lors que ce groupement a cessé d'exister après la réception des travaux ;
- les maîtres d'œuvre de l'opération n'ont pas commis de faute à l'origine des travaux supplémentaires dont la communauté d'agglomération demande le paiement.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 juin 2020, 26 mars 2021 et 23 avril 2021, la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, représentée par Me Juffroy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société FRA Architectes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre le dispositif du jugement constatant qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande dirigée contre le premier titre exécutoire, et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 19BX01806 du 3 juin 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 mars 2019 ainsi que le titre exécutoire du 2 mars 2017, et a déchargé la société FRA Architectes de l'obligation de payer la somme demandée.
Par une décision n° 455188 du 10 octobre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 19BX01806 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la Cour après cassation
Par un mémoire, enregistré le 10 mai 2023, la société FRA Architectes conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures.
Elle soulève les mêmes moyens et soutient, en outre, que l'intervention du décompte général et définitif, dont la validation ne nécessite pas une décision formelle du maître de l'ouvrage, interdit à celui-ci de rechercher la responsabilité contractuelle de son cocontractant.
Par un mémoire enregistré le 18 juin 2023, la communauté d'agglomération du Grand Angoulême conclut aux mêmes fins et demande, en outre, qu'il soit mis à la charge de l'appelante une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par ordonnance du 19 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juillet 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI) approuvé par le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Bernardeau, substituant Me Veyrier, pour la société FRA Architectes et de Me Juffroy pour la communauté d'agglomération du Grand Angoulême.
Considérant ce qui suit :
1. Le 15 février 2010, la communauté d'agglomération du Grand Angoulême a conclu un marché de maîtrise d'œuvre relatif à la construction d'une médiathèque avec un groupement conjoint dont le mandataire solidaire était la société Loci Anima, devenue la société FRA Architectes. Les travaux ont été réceptionnés, pour le dernier lot, le 15 décembre 2015 et toutes les réserves ont été levées le 12 juillet 2016. La communauté d'agglomération du Grand Angoulême, estimant que des travaux supplémentaires ont dû être réalisés en cours de chantier en raison de fautes imputables à la maîtrise d'œuvre, a, le 7 novembre 2016, émis à l'encontre de la société FRA Architectes, prise en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre, un titre exécutoire d'un montant de 62 535,72 euros. Ce titre exécutoire a été retiré et remplacé par un second titre du même montant émis le 2 mars 2017. La société FRA Architectes a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler ces deux titres exécutoires et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 62 535,72 euros. Par un jugement du 6 mars 2019, le tribunal administratif de Poitiers a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'annulation du titre exécutoire du 7 novembre 2016 et a rejeté la demande tendant à l'annulation du titre exécutoire émis le 2 mars 2017. La société FRA Architectes relève appel de ce jugement du 6 mars 2019. Elle doit être regardée comme tendant à l'annulation de ce jugement tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre le titre émis le 2 mars 2017.
Sur les conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 2 mars 2017 :
2. Aux termes de l'article 12.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI) approuvé par le décret du 26 décembre 1978, applicable au marché en litige en application du point 3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché : " 12.3. Paiement pour solde et paiements partiels définitifs. 12.31. Après réception (...) des prestations faisant l'objet du marché (...) le titulaire doit adresser à la personne responsable du marché le projet de décompte correspondant aux prestations fournies. / Le montant du décompte est arrêté par la personne responsable du marché ; si celle-ci modifie le projet de décompte présenté par le titulaire, elle lui notifie le décompte retenu. / Si le projet de décompte, malgré une mise en demeure formulée par la personne responsable du marché, n'a pas été produit dans un délai de trois mois à partir de la réception des prestations, la personne publique est fondée à procéder à la liquidation sur la base d'un décompte établi par ses soins. Celui-ci est notifié au titulaire. ".
3. Aux termes de l'article 7.4.5 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige : " Solde. Après constatation de l'achèvement de sa mission, le maître d'œuvre adresse au maître de l'ouvrage une demande de paiement du solde sous forme d'un projet de décompte final. La constatation fera l'objet d'une réunion sur chantier avec la maîtrise d'œuvre (...) ". Aux termes de l'article 7.4.6 du même CCAP : " Décompte final. Le décompte final établi par le maître de l'ouvrage comprend : 1. Le forfait de rémunération figurant au projet de décompte final ci-dessus, 2. La pénalité pour dépassement du seuil de tolérance sur le coût qui résulte des contrats de travaux passés par le maître de l'ouvrage, 3. Les pénalités éventuelles susceptibles d'être appliquées au maître d'œuvre en application du présent marché, 4. La rémunération en prix de base, hors TVA due au titre du marché pour l'exécution de l'ensemble de la mission...ce résultat constitue le montant du décompte final. ". Aux termes de l'article 7.4.7 du CCAP : " Décompte général - Etat du solde : Le maître de l'ouvrage établit le décompte général qui comprend : 1. Le décompte final ci-dessus, 2. La récapitulation du montant des acomptes arrêtés par le maître de l'ouvrage, 3. Le montant en prix de base hors TVA du solde ; ce montant étant la différence entre le décompte final et le décompte antérieur ; 4. L'incidence de la TVA, 5. L'état du solde à verser au titulaire, 6. La récapitulation des acomptes versés ainsi que du solde à verser ; cette récapitulation constitue le montant du décompte général. Le maître de l'ouvrage notifie au maître d'œuvre le décompte général et l'état du solde. Le décompte général devient définitif après acceptation par le maître d'œuvre ".
4. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. L'ensemble des conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Il revient aux parties d'y mentionner notamment les conséquences financières des travaux supplémentaires rendus nécessaires par une faute du maître d'œuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de travaux. Ainsi, la créance détenue par le maître de l'ouvrage sur le titulaire du marché ne saurait présenter un caractère certain et exigible et, par suite, faire l'objet d'un titre exécutoire en l'absence d'un tel décompte.
5. Si les stipulations de l'article 12 du CCAG-PI, citées au point 2, prévoient qu'une fois le projet de décompte transmis par le titulaire, le montant du décompte est arrêté par la personne responsable du marché, elles n'impliquent pas que la validation du projet soit formalisée par une décision explicite lorsque le maître d'ouvrage, auquel le titulaire a transmis son projet de décompte, ne le modifie pas et procède au versement des sommes correspondantes. Toutefois, au cas d'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que la société FRA Architectes aurait adressé son projet de décompte final à la communauté d'agglomération du Grand Angoulême, prévu par les stipulations contractuelles précitées du marché de maîtrise d'œuvre. A cet égard, les quatre notes d'honoraires adressées au maître de l'ouvrage entre le 30 juin 2015 et le 30 septembre 2016, qui se rapportaient à des prestations alors non encore facturées ou partiellement facturées, et qui en outre concernaient des prestations réalisées par la société FRA Architectes au titre de ses propres obligations et non de celles du groupement de maîtres d'œuvre, ne peuvent tenir lieu de projet de décompte final du marché de maîtrise d'œuvre. De même, il ne résulte pas de l'instruction que la communauté d'agglomération du Grand Angoulême aurait réglé l'ensemble des sommes qui resteraient dues à la société FRA Architectes en qualité de mandataire du groupement de maîtres d'œuvre, ni adressé à la société Fra Architectes une mise en demeure d'établir son décompte final. Dans ces circonstances, le marché de maîtrise d'œuvre en litige n'a fait l'objet d'aucun décompte général et définitif, même de manière non formalisée, comme le soutient d'ailleurs la communauté d'agglomération du Grand Angoulême elle-même.
6. Il est constant que la créance mise à la charge de la société FRA Architectes, en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre, par le titre exécutoire en litige du 2 mars 2017, correspond au surcoût des travaux que la communauté d'agglomération du Grand Angoulême a dû régler aux titulaires des lots des marchés de travaux en raison, selon elle, de fautes commises par les maîtres d'œuvre dans l'exécution de leurs missions. Alors notamment que le groupement de maîtrise d'œuvre s'était engagé, par l'article 14 du CCAP du marché, à faire respecter le coût de réalisation des travaux, défini comme " le coût qui résulte des contrats de travaux passés par le maître d'ouvrage pour la réalisation du projet ", la créance dont se prévaut la communauté d'agglomération du Grand Angoulême résulte de l'exécution du marché de maîtrise d'œuvre, et a ainsi vocation à figurer dans le décompte de ce marché, lequel doit retracer l'ensemble des conséquences financières de son exécution, y compris lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Or, lorsque le contrat prévoit l'établissement d'un décompte général et définitif, retraçant l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution du marché, la créance détenue par le maître de l'ouvrage sur le titulaire de celui-ci ne saurait présenter un caractère certain et exigible et, par suite, faire l'objet d'un titre exécutoire en l'absence d'un tel décompte. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit, aucun décompte définitif du marché de maîtrise d'œuvre n'est intervenu, la créance en litige dont se prévaut le maître de l'ouvrage sur la société FRA Architectes, en sa qualité de mandataire solidaire du groupement, correspondant au surcoût des travaux qu'elle met à la charge du groupement de maîtrise d'œuvre ne présente pas un caractère certain et exigible. En conséquence, cette créance ne pouvait faire l'objet du titre exécutoire en litige du 2 mars 2017 qui est, dès lors, entaché d'illégalité.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société FRA Architectes est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions dirigées contre le titre exécutoire du 2 mars 2017. Dès lors l'article 2 de ce jugement doit être annulé, et la société FRA Architectes doit être déchargée de la somme de 62 535,72 euros.
Sur les frais d'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la communauté d'agglomération du Grand Angoulême tendant à ce que la société FRA Architectes, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Angoulême la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société FRA Architectes et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1700065-1701144 du 6 mars 2019 et le titre exécutoire du 2 mars 2017 sont annulés.
Article 2 : La société FRA Architectes est déchargée de l'obligation de payer la somme de 62 535,72 euros résultant du titre exécutoire du 2 mars 2017.
Article 3 : La communauté d'agglomération du Grand Angoulême versera à la société FRA Architectes une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération du Grand Angoulême au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société FRA Architectes et à la communauté d'agglomération du Grand Angoulême.
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine MarkarianLa greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Charente et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX02876 2