La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2023 | FRANCE | N°23NC00449

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 décembre 2023, 23NC00449


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 13 mai 2022 par lequel le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné en cas de non-respect de ce délai.



Par un jugement nos 2200890-2200891 du 11 juillet 2022, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.



Procé

dure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 10 février 2023, M. B..., représenté par Me Bertin, de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 13 mai 2022 par lequel le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné en cas de non-respect de ce délai.

Par un jugement nos 2200890-2200891 du 11 juillet 2022, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 février 2023, M. B..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 11 juillet 2022 en ce qui le concerne ;

2°) d'annuler la décision du 13 mai 2022 par laquelle le préfet du Doubs lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours suivant notification de la décision à intervenir, à renouveler en l'attente du réexamen du droit au séjour et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet du Doubs a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle ;

- elle méconnait le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Sibileau a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant kosovar né le 2 avril 1962, est entré en France, selon ses dires, le 11 mai 2019. La consultation du fichier Eurodac a montré que l'intéressé et son épouse avaient déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 19 novembre 2018. Le préfet du Doubs, par des arrêtés du 24 juin 2019, a décidé, d'une part, de les remettre aux autorités allemandes et, d'autre part, de les assigner à résidence. Les recours dirigés contre ces arrêtés ont été rejetés par le tribunal administratif de Besançon le 27 juin 2019 et un arrêt de cette cour du 13 octobre 2020. La décision d'éloignement n'a toutefois pas été exécutée. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté le 29 septembre 2021 sa demande d'admission au statut de réfugié. Le 10 décembre 2021 la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a confirmé la décision de l'OFPRA. Par un arrêté du 13 mai 2022, le préfet du Doubs a obligé M. A... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 11 juillet 2022 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'appelant, l'arrêté contesté, qui comporte l'exposé des faits et des considérations de droit sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé, sans que M. A... ne puisse reprocher au préfet du Doubs de ne pas avoir spécifiquement visé le règlement UE n°603/2012 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

3. En deuxième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ayant repris, à la date de l'arrêté litigieux, les dispositions de l'article L. 513-2 du même code invoquées dans la requête : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

4. M. A..., dont la demande d'admission au statut de réfugié a d'ailleurs été rejetée par une décision du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, du 29 septembre 2021, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 10 décembre 2021, soutient que son appartenance à la communauté rom l'expose, en cas de retour dans son pays, à un risque de traitement prohibé par l'article 3 précité. Toutefois, il n'établit pas, par la seule production d'un rapport dont les références ne sont au demeurant pas produites, qu'il court personnellement des risques en cas de retour dans son pays ou que sa seule appartenance à la communauté rom l'expose à une pratique de mauvais traitements. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté en tout état de cause.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. M. A... soutient avoir des membres de sa famille en France dont certains ont acquis la nationalité française après l'obtention du statut de réfugié. Il ressort des pièces du dossier que la durée du séjour de l'appelant en France trouve essentiellement son origine dans son refus d'exécuter une précédente mesure d'éloignement, qu'il déclare avoir vécu de 1991 à 2016 en Allemagne avant d'être renvoyé à destination de la Serbie et que son épouse fait également l'objet d'une décision d'éloignement. Par ailleurs, M. A... n'établit pas l'ancienneté et l'intensité des liens entretenus avec les membres de sa famille qui résideraient régulièrement en France. Dès lors, compte tenu des circonstances de l'espèce et notamment de la durée et des conditions de séjour de l'intéressé en France, l'arrêté litigieux du 13 mai 2022 n'a pas porté au droit de l'appelant au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Ainsi, le préfet du Doubs n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / (...) ".

8. Pour contester l'arrêté du 13 mai 2022, M. A... produit notamment un certificat du 2 juillet 2022 d'un médecin généraliste indiquant que son état de santé actuel justifie une prise en charge pluridisciplinaire qui n'est pas dispensée dans son pays d'origine et que le non-respect de ces recommandations peut être à l'origine de conséquences d'une extrême gravité. Toutefois, ce certificat, postérieur à l'arrêté litigieux, est peu détaillé et est ainsi, en raison des termes dans lesquels il est rédigé, insuffisamment probant, alors que M. A... verse plusieurs compte-rendus d'examen opérés par des praticiens hospitaliers qui ne font nullement part des mêmes constats et inquiétudes. Par suite, les attestations médicales produites par M. A... qui n'a en toute hypothèse pas sollicité de titre de séjour en raison de son état de santé, ne comportent pas d'indication établissant que le défaut de prise en charge médicale pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ni qu'il ne pourrait bénéficier dans son pays d'un traitement approprié. Dès lors, l'appelant n'est pas fondé à soutenir qu'en prenant la décision attaquée le préfet du Doubs aurait méconnu les dispositions précitées.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

9. Si M. A... soutient que la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce moyen doit être écarté en l'absence d'éléments suffisants pour caractériser des risques pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 4 et 6 ci-dessus. Par ailleurs, M. A... n'est pas non plus fondé à soutenir que le jugement attaqué soit insuffisamment motivé sur ce point, alors qu'il indique notamment que les intéressés ne produisent aucune explication ou pièce de nature à établir le caractère réel, personnel et actuel des risques allégués.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par M. A... à fin d'annulation doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, celles présentées à fin d'injonction sous astreinte et au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLa présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : V. Chevrier La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

V. Chevrier

2

N° 23NC00449


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00449
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;23nc00449 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award