Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2021 par lequel le préfet de la Marne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2102851 du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 février 2023, Mme C..., représentée par Me Gabon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 27 janvier 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 2 décembre 2021 par laquelle le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dès la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- l'arrêté du 2 décembre 2021 est entaché d'incompétence ;
- le préfet de la Marne n'a pas suffisamment motivé sa décision car cette dernière est stéréotypée et ne prend pas en compte la présence et la scolarité de ses enfants ;
- le préfet de la Marne n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, elle n'a non seulement pas été mis en mesure de présenter ses observations mais n'a également pas pu bénéficier d'un interprète dûment qualifié dans une langue qu'elle comprend ;
- elle bénéficiait toujours du droit de se maintenir en France car la décision de la Cour nationale du droit d'asile ne lui a pas été notifiée régulièrement ;
- elle peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale ;
- l'arrêté du 2 décembre 2021 méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le préfet de la Marne a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
- l'arrêté du 2 décembre 2021 méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet de la Marne qui n'a pas produit de mémoire en défense dans la présente instance.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Sibileau a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante russe née le 10 novembre 1986, est entrée en France selon ses dires le 10 octobre 2018. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 juillet 2019, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 3 juin 2020. Le 6 juillet 2020, elle a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français qu'elle n'a pas exécutée. Elle a formulé une demande de réexamen de sa demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 12 août 2020, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 7 décembre 2020. Elle a présenté une seconde demande de réexamen de sa demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 avril 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 27 août 2021. Par un arrêté du 2 décembre 2021, le préfet de la Marne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement n° 2102851 dont Mme B... interjette appel, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, par un arrêté du 30 août 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet de la Marne a donné délégation à M. Emile Soumbo, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous les actes relevant des attributions du représentant de l'Etat dans le département, à l'exception d'actes parmi lesquels ne figurent pas les décisions attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux, qui n'avait pas à reprendre tous les éléments de la situation personnelle du requérant, précise les dispositions légales sur lesquelles il s'appuie, énonce les considérations de fait qui en constituent le fondement et rappelle de manière non stéréotypée les principales considérations relatives à la situation de Mme B..., notamment ses conditions d'entrée et de séjour en France, sa situation familiale et la formation au métier de maçon suivie. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cet arrêté doit être écarté. En outre, il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux que le préfet a procédé à un examen sérieux de la situation individuelle de l'intéressée en prenant notamment en compte sa situation administrative et familiale.
4. En troisième lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.
5. En l'espèce, l'obligation de quitter le territoire a été prise sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le rejet de la demande d'asile de l'appelante, de sorte que l'administration n'avait pas à la mettre à même de présenter spécifiquement des observations sur cette mesure. De surcroît et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents susceptibles d'influer sur le contenu de la décision en litige. Il s'ensuit que doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu comme celui tiré de ce qu'elle n'a pu présenter de telles observations avec l'aide d'un traducteur assermenté.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. " Aux termes de l'article R. 532-57 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La date de notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile qui figure dans le système d'information de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, et qui est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques, fait foi jusqu'à preuve du contraire. "
7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du relevé TelemOfpra produit en première instance par le préfet de la Marne, que l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile rejetant définitivement la demande de protection internationale de Mme B... lui a été notifiée le 9 novembre 2021. Les dispositions mentionnées ci-dessus de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'exigent pas que cette notification soit effectuée dans une langue que l'intéressée soit supposée comprendre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 542-1 précité doit être écarté.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1,
L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 435-1 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. "
9. Mme B... soutient vivre en France depuis le 10 octobre 2028 avec son époux et ses enfants. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la durée de présence de l'intéressée sur le territoire national trouve essentiellement son origine dans son refus d'exécuter une précédente mesure d'éloignement. Par ailleurs, son époux est également en situation irrégulière en France et il n'est ni établi ni même sérieusement allégué que l'intéressée est dépourvue de toute attache familiale et personnelle dans son pays d'origine, que la cellule familiale ne puisse s'y reconstituer ou que les enfants ne puissent y continuer leur scolarité. Par suite, compte tenu des circonstances de l'espèce et notamment de la durée et des conditions de séjour de Mme B... en France qui, de surcroît, ne pouvait ignorer la précarité de sa situation administrative, l'arrêté litigieux du 24 novembre 2021 n'a pas porté au droit de l'appelante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Ainsi, le préfet de la Marne n'a ni méconnu les stipulations précitées, ni commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressée. La requérante n'est, en outre, pas fondée à soutenir qu'elle remplissait les conditions pour obtenir de plein droit un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle ne peut utilement se prévaloir d'un droit au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du même code pour contester la mesure d'éloignement dont elle fait l'objet, dès lors que ces dispositions ne prévoient pas la délivrance d'un titre de séjour de plein droit.
10. En sixième et dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Mme B..., dont la demande d'admission au statut de réfugié a d'ailleurs été rejetée à plusieurs reprises par les autorités en charge de l'asile, soutient être exposée à un risque de traitement prohibé par les stipulations précitées en cas de retour dans son pays. Toutefois, elle ne produit à l'appui de ses allégations aucune précision ni aucun justificatif suffisamment probant, susceptible d'établir qu'elle court personnellement des risques en cas de retour dans son pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par Mme B... à fin d'annulation doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, celles présentées à fin d'injonction et au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Sibileau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
V. Chevrier La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière :
V. Chevrier
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N° 23NC00419