Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de D..., avant dire droit, d'enjoindre à l'université D... 1 Capitole de diligenter une enquête administrative impartiale sur les faits de harcèlement moral qu'elle subit, d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur de la D... C... of Management de l'université D... 1 Capitole a refusé de lui octroyer la protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement moral dont elle est victime, ensemble la décision du 7 mai 2018 de la présidente de l'université D... 1 Capitole rejetant le recours hiérarchique qu'elle a formé contre cette décision et d'enjoindre à l'université D... 1 Capitole de lui octroyer la protection fonctionnelle dans le délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1803071 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de D... a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 avril 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux sous le n°21BX01756, puis le 16 janvier 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de D... sous le n°21TL21756, et des mémoires enregistrés le 12 juillet 2023 et le 20 septembre 2023 qui n'ont pas été communiqués, Mme A... E..., représentée par Me Hirtzlin-Pinçon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 mars 2021 ;
2°) d'annuler la décision de refus de lui accorder la protection fonctionnelle en date du 7 mai 2018 ;
3°) d'enjoindre à l'université D... 1 Capitole de lui octroyer la protection fonctionnelle dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de diligenter une enquête administrative impartiale sur les faits de harcèlement qu'elle a subis ;
4°) de mettre à la charge de l'université D... 1 Capitole la somme de 3 500 euros hors taxes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative " dont distraction à Me Hirtzlin-Pinçon ", ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral consistant en une exclusion des conversations puis à une placardisation dans un bureau à part, ayant conduit à une altération de ses conditions de travail et de sa santé physique et mentale, à de nombreux arrêts de travail dont l'imputabilité au service a été reconnue, puis à sa démission ;
- la suspicion de harcèlement justifie l'octroi de la protection fonctionnelle ;
- la décision de l'université n'est pas motivée en droit et en fait ;
- elle n'a pas bénéficié d'un entretien auprès de la présidente de l'université ;
- l'université n'a mis en œuvre aucun acte de prévention ou de sensibilisation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 avril 2022 et 7 avril 2023, l'université D... 1 Capitole, représentée par Me Groslambert de la SARL Alteia, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme E... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par ordonnance du 12 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n°82-453 du 28 mai 1982 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hirtzlin-Pinçon, représentant Mme E..., et de Me Groslambert, représentant l'université D... 1 Capitole.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., maître de conférences qui exerçait alors ses fonctions au département marketing, dit " D... C... of Management " (TSM), de l'université D... 1 Capitole, a sollicité de son chef de service, le 18 janvier 2018, l'octroi de la protection fonctionnelle à raison d'actes de harcèlement moral dont elle s'estimait victime de la part de ses collègues enseignants-chercheurs. Après que sa demande a été implicitement rejetée, elle a formé un recours hiérarchique auprès de la présidente de l'université. Par une décision expresse du 7 mai 2018, la présidente de l'université a rejeté ce recours. Mme E... a demandé au tribunal administratif de D... d'annuler cette décision du 7 mai 2018, qui s'est substituée à la décision implicite. Elle relève appel du jugement du 2 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de D... a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme E... soutient que le tribunal " n'a pas fondé son jugement en fait ". A supposer même que la requérante puisse être regardée comme ayant entendu soulever un moyen critiquant la régularité du jugement attaqué et tiré de son insuffisante motivation, il ressort cependant des termes de ce jugement que les premiers juges ont répondu de manière circonstanciée au moyen tiré de l'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions combinées des articles 6 quinquies et 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement, à le supposer soulevé, manque en fait et doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 6° refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; (...) ".
4. En l'espèce, la décision contestée rappelle la teneur de la demande de protection fonctionnelle présentée le 18 janvier 2018 par Mme E... sur le fondement des dispositions des articles 6 quinquies et 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et explicite les motifs du rejet de cette demande, en précisant notamment que les éléments dont se prévaut l'intéressée ne démontrent pas la volonté des autres membres du département marketing de l'écarter systématiquement et de leur propre chef de leurs échanges, que si ces derniers sont vifs ils ne présentent pas de caractère insultant et ne révèlent pas de volonté d'humiliation à son encontre, alors que son travail n'est pas remis en cause. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée ne peut donc qu'être écarté.
5. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou principe général du droit que la présidente de l'université D... 1 Capitole aurait été tenue de convoquer la requérante à un entretien préalablement à la décision contestée refusant de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle.
6. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Aux termes de l'article 11 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
7. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
8. En l'espèce, à l'appui de sa demande de protection fonctionnelle présentée le 18 janvier 2018, Mme E... a indiqué subir des actes de harcèlement et d'humiliation et faire l'objet de pression professionnelle et morale de la part de ses collègues de travail du département marketing de l'université D... 1 Capitole. Elle a en particulier fait état d'une " mise au placard " par l'exclusion de la liste de diffusion sur l'évolution du diplôme dit B... of Science in Marketing le 18 octobre 2017. Mme E... expose avoir ensuite reçu, sur la seule journée du 25 octobre 2017, six courriels de ses collègues tenant à son encontre des propos humiliants et dégradants et avoir fait l'objet d'un acharnement de la part de ses collègues enseignants qui adopteraient systématiquement une attitude de confrontation et de mésestime à son égard. Elle soutient en outre que la décision de son chef de service de la déplacer dans un bureau individuel est de nature à révéler le harcèlement allégué et la reconnaissance tacite de celui-ci par le service. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier, en particulier des échanges de courriels produits, que les relations au sein du département marketing étaient marquées par d'importantes dissensions entre les enseignants chercheurs, celles-ci étant systématiquement polarisées entre, d'un côté, la requérante et son conjoint qui est professeur émérite, de l'autre, leurs sept autres collègues, Mme E... n'établit pas que le mal-être causé par ces tensions professionnelles serait imputable à des comportements humiliants de la part de ses collègues. Ainsi, alors qu'à l'exception de son conjoint, les autres membres du département affirment que la requérante avait émis le souhait de ne plus participer aux discussions relatives au " B... of Science in Marketing ", l'intéressée n'établit pas, par les seuls échanges de courriels versés au dossier qu'elle en aurait été exclue de manière brutale sans l'avoir elle-même souhaité. Si les différents courriels produits émanant de ses collègues expriment à plusieurs reprises leur désapprobation et leur lassitude face à certains comportements de l'intéressée, ils ne font état d'aucun propos insultant ni dégradant à son égard. Si, sur sa demande réitérée le 9 mai 2018 exposant qu'elle ne supportait plus les deux collègues avec lesquelles elle partageait un même bureau, son chef de service lui a attribué un bureau individuel, cette circonstance ne permet pas d'établir que l'université aurait ainsi reconnu les faits de harcèlement moral allégués, ni qu'un tel harcèlement existait. La circonstance qu'une réunion du département ait été organisée à une date à laquelle la requérante n'était pas disponible, outre qu'elle est postérieure aux décisions attaquées, ne constitue pas davantage, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette pratique présentait un caractère systématique, un agissement susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Mme E... expose que la dégradation de ses conditions de travail à compter de l'année 2017 est démontrée par les nombreux arrêts de travail qui lui ont été prescrits depuis le 25 octobre 2017 ainsi que de la reconnaissance de l'imputabilité au service des différents accidents qu'elle a déclarés. Toutefois, la circonstance qu'elle ait été placée en arrêt de travail du 25 octobre au 26 octobre 2018, puis du 12 janvier au 14 janvier 2018 et du 9 février au 13 février 2018 au motif de " troubles anxieux suite à une dégradation des relations professionnelles au travail ", et que les accidents de travail déclarés aient été reconnus imputables au service par arrêtés du 5 décembre 2019, pris à la suite d'une expertise médicale, ne permet pas à elle seule d'établir qu'elle aurait été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral. En outre, Mme E... ne peut utilement se prévaloir, à l'appui de sa demande dirigée contre la décision du 7 mai 2018, de la circonstance que l'université n'a pas traité en temps utile sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service des accidents dont elle a indiqué avoir été victime les 25 octobre 2017, 12 janvier et 9 février 2018, alors que cette demande par courrier du 25 mai 2018 est postérieure à la décision contestée. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le directeur du département s'est montré attentif aux souffrances et aux revendications de la requérante et est régulièrement intervenu auprès des enseignants pour tenter d'apaiser les tensions qui y régnaient. Les attestations de collègues produites par Mme E..., si elles attestent de son professionnalisme, ne décrivent cependant aucun fait précis dénoncé par l'intéressée dont leurs auteurs auraient été les témoins. Ainsi, nonobstant la souffrance morale qu'a subie l'intéressée à raison des relations conflictuelles qu'elle entretenait avec les autres enseignants du département marketing, les éléments de faits invoqués ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué et, par suite, sont insusceptibles de lui ouvrir droit au bénéfice de la protection fonctionnelle sollicitée. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas fondée à reprocher l'absence de mise en œuvre par la présidente de l'université d'actes de prévention ou de sensibilisation, ou encore l'organisation d'une enquête administrative à la suite des faits dénoncés dans sa demande. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions combinées des articles 6 quinques et 11 de la loi du 13 juillet 1983 doit dès lors être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de D... a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université D... 1 Capitole, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En l'absence de dépens, sa demande présentée à ce titre doit être également rejetée.
11. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... le versement à l'université D... 1 Capitole d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige qu'elle a exposés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Mme E... versera à l'université D... 1 Capitole une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et à l'université D... 1 Capitole.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°21TL21756 2