Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du préfet de l'Essonne du 9 février 2022 portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination et d'enjoindre au préfet de l'Essonne de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter du jugement.
Par jugement n° 2201739 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Schinazi, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge d l'Etat la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal ne pouvait considérer avec une formulation aussi succincte et dépourvue d'examen circonstancié de sa situation personnelle la possibilité de reconstituer la cellule familiale dans le pays d'origine ;
- la décision portant refus de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'existence d'une condamnation pénale ne peut être prise en compte dans l'appréciation de l'insertion de l'étranger en France alors que la condamnation pour travail dissimulé concerne des faits commis en 2014, à une époque où il n'avait pas été admis au séjour ; il était dans une situation de vulnérabilité à cette époque, père de son premier enfant, sa nouvelle situation professionnelle devant lui ouvrir rapidement la possibilité d'une admission au séjour ;
- le tribunal correctionnel a tenu compte de ce contexte, en prononçant une condamnation avec sursis probatoire, laquelle n'a pas été frappée de recours, la probation n'ayant par ailleurs donné lieu à aucun incident ;
- la commission du titre de séjour a d'ailleurs été amenée à relever qu'il s'était employé à réparer les conséquences civiles de la condamnation, qu'il était à jour de ses remboursements, qu'il travaillait en qualité de cuisinier et que son épouse était en situation régulière, trois enfants étant issus de cette union, dont l'aîné avait neuf ans à cette époque ;
- les pièces produites par le préfet ne permettent pas à la défense de s'assurer qu'il a comparu devant la commission et a pu dès lors développer tous les arguments utiles ; la procédure suivie devant la commission du titre de séjour est entachée d'irrégularité dès lors qu'il n'était ni présent ni représenté ;
- la faute pénale doit être tenue pour un incident de parcours laissant sauve la volonté d'insertion, s'agissant d'une condamnation unique en près de vingt ans sur le territoire français, analyse qui ne ressort pas de la décision du tribunal administratif ;
- la décision contestée méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale et la convention internationale relative aux droits de l'enfant, l'atteinte portée n'est pas discutable alors que son épouse a un statut de résident qui l'autorise à résider en France jusqu'en 2025 ; les enfants ne parlent pas la langue turque.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 novembre 2022, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête par les moyens invoqués devant les premiers juges.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Albertini,
- et les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité turque, né le 1er janvier 1986, déclare être entré en France en 2004 et a sollicité le 3 août 2004 son admission au séjour en qualité de réfugié. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 septembre 2004, par décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 30 mars 2005. Il a finalement obtenu une carte de séjour temporaire, valable du 10 février 2016 au 9 février 2017, puis des cartes de séjour pluriannuelles régulièrement renouvelées du 10 février 2017 au 11 mars 2021, sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 3 février 2020, il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Par jugement du 18 juillet 2022, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 9 février 2022 par lequel le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal a pris en considération l'ensemble des éléments soumis à son appréciation et a répondu par un jugement qui est suffisamment motivé à l'ensemble des moyens soulevés dans la demande. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé doit être écarté.
3. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Pour demander l'annulation du jugement attaqué, M. A... ne peut donc utilement se prévaloir du défaut d'examen réel et complet de sa situation ni d'erreurs de droit ou d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges en en écartant à tort les moyens soulevés.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 432-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été convoqué, par un courrier du 29 septembre 2021, qu'il a retiré le 6 octobre suivant, devant la commission du titre de séjour qui s'est réunie le 18 octobre 2021. Ce courrier l'informait qu'il pouvait être représenté par son conseil ou tout autre personne de son choix. Par suite, contrairement à ce qu'il soutient encore en appel, la circonstance que M. A... n'ait pas entendu faire usage de cette possibilité, alors qu'il n'a pas été privé d'une garantie, puisqu'il a été convoqué devant la commission avec un délai suffisant en l'espèce pour se présenter avec un conseil ou toute personne de son choix, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure devant la commission du titre de séjour, pas plus que l'absence de mention sur l'avis de cette commission de la présence du requérant lors de la séance. Le moyen tiré du vice de procédure doit dès lors être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article L. 412-5 de ce code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " ". Enfin, aux termes de l'article L. 432-13 du même code : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative. / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en France en 2004 et en situation régulière depuis 2016, a fait l'objet d'une condamnation du tribunal correctionnel de Paris du 10 septembre 2020 à un an d'emprisonnement assorti d'un sursis probatoire pendant deux ans pour exécution en bande organisée d'un travail dissimulé, blanchiment aggravé, concours en bande organisée à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit du délit, abus des biens ou crédits d'une SARL par un gérant à des fins personnelles. Au regard de la gravité des faits ayant fait l'objet de cette condamnation et de la menace pour l'ordre public ainsi constituée par les agissements du requérant, le préfet de l'Essonne pouvait, sans méconnaître l'article L. 423-23 précité, refuser à M. A... le renouvellement de sa carte de séjour temporaire. La commission du titre de séjour, saisie en application des dispositions combinées de l'article L. 412-5 et de l'article L. 423-13, précitées, a d'ailleurs émis un avis défavorable au renouvellement du titre de M. A.... Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 précité doit donc être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Il appartient à l'autorité administrative qui envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise.
9. M. A... fait valoir que son épouse, également de nationalité turque, est en situation régulière et titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à résider en France jusqu'en 2025 et souligne que de cette union sont nés en France trois enfants en 2012, 2015 et 2020. Toutefois, il ne fait état d'aucune situation particulière faisant obstacle au retour de son épouse en Turquie et dans ces conditions, le refus de séjour et l'éloignement de l'intéressé n'ont pas, au regard des faits qu'il a commis et alors que la cellule familiale pourrait se reconstituer dans le pays d'origine des deux époux, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels ils ont été pris et ne méconnaissent pas, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
11. Ainsi qu'il a été dit au point 9, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue dans le pays d'origine du requérant dès lors que son épouse est également de nationalité turque. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2023.
Le président-assesseur,
J.-E. PILVENLe président-rapporteur,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE01861002