Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 29 septembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour en France d'une durée de quatre mois.
Par un jugement n° 2205510 du 29 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 14 mars 2023, M. D..., représenté par Me Mazas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 29 septembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 35 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement comporte des éléments erronés dans l'analyse des conclusions et des mémoires en méconnaissance des articles L. 9 et R. 741-2 du code de justice administrative en ce qui concerne la réponse au moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet ;
- le jugement n'est pas suffisamment motivé au regard du moyen tiré de l'erreur d'appréciation entachant la décision portant interdiction de retour sur le territoire français compte tenu de la plainte déposée par son épouse contre un réseau de traite des êtres humains ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est entachée d'un vice d'incompétence ;
- au regard de la durée et des conditions de son séjour en France, la mesure d'éloignement porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est privée de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- au regard de sa situation personnelle et familiale, alors que son épouse a déposé plainte contre un réseau de traite des êtres humains et qu'elle ne peut laisser seule sa fille en bas âge pour faire des déplacements seule, le préfet a commis une erreur d'appréciation dans l'application de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens relatifs à la régularité du jugement soulevés par l'appelant ne sont pas fondés et s'en remet à la défense produite devant le tribunal administratif pour les autres moyens.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Chabert, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 29 septembre 2022, le préfet de l'Hérault a obligé M. D..., ressortissant nigérian né en 1991, à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de quatre mois. M. D... fait appel du jugement du 29 novembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose : " Les jugements sont motivés. ". Aux termes de l'article R. 741-2 du même code relatif aux mentions obligatoires de la décision : " (...) Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ".
3. Il ressort des pièces de première instance qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté en litige devant le tribunal administratif, M. D... a indiqué que la mesure d'éloignement prononcée à son encontre était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors notamment que sa compagne était " victime d'un réseau de traite des êtres humains ", qu'elle avait " déposé plainte en 2020 contre le réseau de prostitution dont elle a été victime et qui continue de la menacer, ainsi que sa famille " et qu'il " soutient et accompagne sa compagne dans ses démarches ". Alors qu'il ressort des visas du jugement attaqué que le premier juge a visé les moyens selon lesquels la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, le premier juge fait mention au point 5 du jugement de risques encourus par la compagne de M. D... en cas de retour dans son pays d'origine dont ce dernier se prévaut en première instance. Dans ces conditions, le jugement attaqué n'a ni méconnu les dispositions précitées ni insuffisamment répondu aux moyens de M. D....
4. Il ressort également des pièces de première instance que M. D..., pour contester la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français, s'est borné à faire état de la plainte déposée par son épouse, que celle-ci est enceinte, qu'ils ont une fille en bas âge et que si son épouse a besoin de revenir en France au regard de sa plainte, elle ne pourra faire les déplacements seuls. Au regard de ces seuls éléments et alors que le premier juge a fait état antérieurement de l'allégation de risques encourus par Mme D... dans le pays d'origine du couple et de leur enfant âgée de trois ans, en relevant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait entaché l'interdiction de retour sur le territoire du territoire français, le tribunal n'a pas insuffisamment motivé la réponse apportée à ce moyen.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, par un arrêté du 20 juillet 2022, régulièrement publié au recueil des actes de la préfecture produit en première instance, le préfet de l'Hérault a donné délégation de signature à Mme A... C..., chef de bureau de l'asile, de l'éloignement et du contentieux, à l'effet de signer notamment les décisions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière sans que cette délégation soit conditionnée par l'absence ou l'empêchement de la directrice des migrations et de l'intégration. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté en litige doit être écarté.
6. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; (...) ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est entré en France le 22 juillet 2019 selon ses déclarations et a formulé auprès des services de la préfecture de l'Hérault une demande d'asile le 24 juillet suivant. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 novembre 2021, laquelle a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 22 juillet 2022. Il ressort également des mentions portées sur l'extrait de la base de données " Telemofpra " produit par le préfet de l'Hérault devant le premier juge, que la demande d'asile présentée par sa compagne qui fait valoir être victime d'un réseau de traite des êtres humains, a également été rejetée aux mêmes dates par les mêmes instances. Si l'appelant fait valoir qu'il réside en France avec sa conjointe et ses deux enfants mineurs, il ne démontre pas, d'une part, que la cellule familiale ne pourrait pas se reconstituer ailleurs qu'en France, notamment au Nigéria, où il a vécu jusqu'à vingt-huit ans et où il n'établit pas être dépourvu d'attaches. D'autre part, si l'appelant se prévaut de la naissance en France de son deuxième enfant le 11 janvier 2023, cette circonstance, postérieure à la date de l'arrêté attaqué, est sans incidence sur sa légalité. Au surplus, l'intéressé ne se prévaut d'aucun lien sur le territoire français en dehors de sa cellule familiale. Compte tenu de la durée et des conditions de séjour de M. D..., la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. Pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être mentionnés, les circonstances invoquées par M. D... ne permettent pas d'établir que la décision attaquée, qui n'a par ailleurs ni pour objet ni pour effet de fixer le pays de destination, aurait sur sa situation personnelle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
9. M. D... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, il ne peut utilement utilement soutenir que la décision fixant le pays de destination serait dépourvue de base légale.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
11. L'appelant soutient à nouveau en appel que sa compagne, alors enceinte, pourrait être amenée à revenir en France suite au dépôt de sa plainte et qu'il devrait alors l'accompagner compte tenu notamment de leur situation familiale avec un enfant en bas-âge. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme D... est en situation irrégulière et a également fait l'objet d'un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français assorti d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de quatre mois. Par suite, en prononçant une telle interdiction, le préfet de l'Hérault n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 35 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Me Sophie Mazas et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Chabert, président de chambre,
- M. Haïli, président assesseur,
- M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.
Le président-rapporteur,
D. Chabert
Le président-assesseur,
X. Haïli La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23TL00584