La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/12/2023 | FRANCE | N°22LY02456

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 07 décembre 2023, 22LY02456


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SARL Nino Fruits a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 1903275 du 10 juin 2022, le tribunal administratif d

e Grenoble a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête, enregistrée le 5 ao...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SARL Nino Fruits a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1903275 du 10 juin 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 5 août 2022, la société Nino Fruits, représentée par Me Delambre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la méthode de reconstitution de chiffres d'affaires est radicalement viciée ;

- une méthode de reconstitution de chiffre d'affaires était plus fiable en se fondant sur un relevé de prix pratiqué par le vérificateur sur un marché ;

- la motivation des pénalités de 40 % pour manquement délibéré est lapidaire ;

- l'administration ne pouvait pas appliquer la pénalité de 40 % pour manquement délibéré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 17 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Porée, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Nino Fruits, qui exerce une activité de vente au détail de fruits et légumes sur les marchés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, prorogée en matière de taxe sur la valeur ajoutée jusqu'au 31 décembre 2015. L'administration fiscale, après avoir constaté que la comptabilité de était dépourvue de valeur probante et que les taux de marge brute de 23,30 % en 2013, 19,89 % en 2014 et 20,48 % en 2015 ressortant de ses déclarations étaient faibles par rapport aux entreprises concurrentes exerçant dans le même secteur géographique, a procédé à une reconstitution de ses chiffres d'affaires, laquelle a révélé des omissions de recettes d'un montant de 101 376 euros au titre de l'exercice clos en 2013, de 118 750 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et de 169 074 euros au titre de l'exercice clos en 2015. Les impositions supplémentaires à l'impôt sur les sociétés assignées à la SARL Nino Fruits et les compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge à la suite de la réintégration des recettes manquantes dans ses chiffres d'affaires taxables et dans ses résultats imposables ont été assorties de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré et la SARL s'est vu infliger une amende pour distributions occultes. La société Nino Fruits relève appel du jugement du 10 juin 2022 en tant seulement que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ".

3. La SARL Nino Fruits ne conteste pas que sa comptabilité comporte de graves irrégularités au titre des exercices clos en 2013 et 2014. En outre, les impositions en litige ont été établies conformément à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires de Grenoble du 22 janvier 2018. Ainsi, la charge de la preuve incombe à la SARL Nino Fruits à qui il appartient de démontrer que, comme elle le soutient, la méthode de reconstitution de ses chiffres d'affaires menée par l'administration est excessivement sommaire et radicalement viciée dans son principe ou de proposer une méthode de reconstitution plus précise.

4. En premier lieu, il résulte de la proposition de rectification que l'administration a pris en considération, faute de pouvoir déterminer les taux réellement pratiqués à partir d'éléments précis propres à l'entreprise, en raison des graves lacunes de sa comptabilité et de l'absence de précisions de la part de la société dans sa réponse au questionnaire de l'administration au cours de la vérification de comptabilité concernant notamment les prix pratiqués, les achats de marchandises par la SARL Nino Fruits en l'affectant d'une variation de stock, puis a appliqué un taux de marge brute moyen déterminé à partir de ceux pratiqués par quinze vendeurs intervenant sur les mêmes marchés que la SARL Nino Fruits. Toutefois, par sa réponse aux observations du contribuable et suite aux observations de la contribuable, l'administration a abandonné la référence à quinze vendeurs pour ne se baser que sur six vendeurs au titre de l'exercice clos en 2013 et sur quatre vendeurs au titre de l'exercice clos en 2014 afin de ne prendre en considération que les commerçants qui achètent pour plus de 200 000 euros de marchandises par an. Il en est résulté des taux de marge brute retenus par l'administration de 43,10 % au titre de l'exercice clos en 2013 et de 46,91 % au titre de l'exercice clos en 2014, alors que les taux de marge brute ressortant des déclarations étaient de seulement 23,30 % et 19,89 % au titre respectivement de ces deux exercices.

5. D'une part, l'administration s'est fondée sur un échantillon suffisant en se référant à six commerçants au titre de l'exercice clos en 2013 et à quatre commerçants au titre de l'exercice clos en 2014, qui interviennent sur les mêmes marchés que la société requérante, pour déterminer des taux de marge brute moyens. En outre, la SARL Nino Fruits n'apporte aucun élément tendant à démontrer que la prise en considération de commerçants supplémentaires aurait permis de réduire les taux de marge brute précités de 43,10 % au titre de l'exercice clos en 2013 et de 46,91 % au titre de l'exercice clos en 2014.

6. D'autre part, si les numéros d'identification au fichier des redevables des professionnels de la direction générale des Finances publiques (numéros FRP) indiqués en annexe 1 de la réponse aux observations du contribuable ne mentionnent pas l'identité exacte des six et quatre commerçants pris en considération par l'administration fiscale pour fixer les taux de marge brute moyens, ces six et quatre commerçants font partie des quinze commerçants retenus par l'administration dans le cadre de sa proposition de rectification à la suite de son exercice du droit de communication auprès des communes de Viuz-en-Sallaz, Sallanches, Boëge et Thonon-les-Bains. Or, il résulte des tableaux et listes de commerçants produits par les communes de Sallanches, Boëge et Thonon-les-Bains que treize commerçants ayant servi de référence à l'administration fiscale exercent l'activité de primeur et vendent ainsi des fruits et légumes, et du courriel de la commune de Viuz-en-Sallaz, qui vise les commerçants de fruits et légumes, que les deux derniers commerçants ayant servi de référence à l'administration fiscale vendent des fruits et légumes. La SARL Nino Fruits ne démontre pas le contraire.

7. En deuxième lieu, la SARL Nino Fruits soutient que l'administration fiscale n'a pas pris en considération la circonstance qu'elle n'achète que des produits de qualité supérieure et essentiellement auprès de producteurs français, qui sont ainsi plus coûteux à l'achat. Toutefois, elle ne l'établit pas en se limitant à renvoyer à ses factures d'achat prises en considération par l'administration fiscale, sans les comparer aux prix d'achat de fruits et légumes par les commerçants pris en compte par l'administration et dont elle connaît l'identité suite à sa demande de communication du 6 décembre 2017 de l'identité des quinze professionnels retenus en annexe 1 de la proposition de rectification, à laquelle il a été satisfait par l'administration fiscale par courrier du 22 février 2018, et dont les coordonnées ont été précisées par les tableaux et listes établis par les communes de Viuz-en-Sallaz, Sallanches, Boëge et Thonon-les-Bains. En outre, si la SARL Nino Fruits se prévaut de ce qu'elle réduirait sa marge afin de ne pas répercuter la totalité des prix d'achat de ses produits sur les prix de vente, elle ne le démontre pas davantage en l'absence de tout élément produit.

8. En troisième lieu, l'administration a déterminé les taux de marge brute moyens au titre des exercices clos en 2013 et 2014 par application de la formule " (Total des ventes de marchandises - Total des achats de marchandises +/- Total des variations du stock) / Total des achats de marchandises ". Or, l'élément " Total des ventes de marchandises " de cette formule est nécessairement déterminé après déduction des pertes de produits qui ne peuvent pas être vendues, et ainsi l'administration fiscale a pris en considération des pertes au niveau des commerçants permettant de déterminer les taux de marge brute moyens. En outre, si la SARL Nino Fruits se prévaut d'un taux de perte de 30 % de ses achats, elle n'étaye ses dires par aucun élément permettant de démontrer que ses pertes seraient supérieures à celles des commerçants faisant partie de l'échantillon de comparaison qui ont la même activité de primeur, et alors qu'elle a indiqué dans sa réponse au questionnaire qui lui a été soumis par l'administration au cours de la vérification de comptabilité que ses pertes s'évaluaient entre 10 à 15 % en perte de poids et déshydratation, auxquelles il fallait ajouter des pertes en raison du vol et de la dégustation des clients, sans qu'il soit démontré que ces deux derniers phénomènes fassent passer les taux de 10 - 15 % à 30 %.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Nino Fruits ne démontre pas que la méthode de reconstitution de chiffres d'affaires utilisée par l'administration fiscale est radicalement viciée et de nature à entraîner une exagération des bases d'imposition.

10. En quatrième et dernier lieu, la SARL Nino Fruits invoque une méthode de reconstitution de chiffre d'affaires, qui serait selon elle plus fiable que celle utilisée par l'administration fiscale, fondée sur les factures d'achat de ses marchandises et sur un relevé de prix pratiqué par le vérificateur sur un marché. Toutefois, la vérification de comptabilité ayant eu lieu du 17 mars au 27 juillet 2016, le vérificateur n'aurait pas pu procéder à un relevé des prix pratiqués au cours des années 2013 et 2014, et l'utilisation par l'administration des taux de marge brute pratiqués par six commerçants au titre de l'exercice clos en 2013 et par quatre commerçants au titre de l'exercice clos en 2014 permettait de se référer aux prix effectivement pratiqués au cours de ces deux exercices. Dans ces conditions, la SARL Nino Fruits n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'exagération de ses bases d'imposition.

Sur les pénalités :

11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".

12. En premier lieu, l'administration a motivé l'application de pénalités pour manquements délibérés en retenant que la comptabilité est entachée de nombreuses irrégularités, qu'elle ne présente pas de caractère probant, que les irrégularités relevées au niveau de la comptabilisation des recettes ont entraîné des minorations significatives en matière de bases taxables à la taxe sur la valeur ajouté ainsi qu'en matière de chiffres d'affaires déclarés à l'impôt sur les sociétés, que la SARL Nino Fruits exerce depuis de nombreuses années une activité professionnelle et commerciale, qu'elle ne pouvait alors pas ignorer l'existence et la gravité de ces minorations de recettes, et que les minorations constatées présentent un caractère répétitif et systématique. Par suite, l'administration fiscale a suffisamment motivé les pénalités de 40 %.

13. En second lieu, il résulte de l'instruction que la comptabilité de la SARL Nino Fruits était entachée de graves irrégularités en l'absence d'un livre-journal, d'un grand livre, d'un inventaire des stocks, d'une caisse enregistreuse permettant de retracer les recettes, d'autres justificatifs de recettes, et en présence seulement d'un " cahier de recettes " ne mentionnant que le montant de la recette journalière ventilé par mode de paiement, sans indication des marchandises et des quantités vendues. Il résulte également de l'instruction que les chiffres d'affaires hors taxes nets imposables de la SARL Nino Fruits ont été portés par l'administration fiscale à 737 492 euros au titre de l'exercice clos en 2013 et à 722 648 euros au titre de l'exercice clos en 2014, alors que les chiffres d'affaires déclarés hors taxes étaient de 636 116 euros au titre de l'exercice clos en 2013 et de 603 898 euros au titre de l'exercice clos en 2014. Si toute méthode de reconstitution de chiffres d'affaires aboutit nécessairement à des résultats qui se rapprochent de la réalité économique de l'entreprise vérifiée sans être totalement exacte, les insuffisances précitées de déclarations de la part de la SARL Nino Fruits sont importantes et ne peuvent être affectées qu'à la marge par les incertitudes tenant à l'emploi d'une méthode de reconstitution de chiffres d'affaires par référence aux taux de marge brute moyens d'autres commerçants, qui exercent toutefois la même activité que la société requérante sur les mêmes marchés. Enfin, les insuffisances de déclarations ont affecté les deux exercices clos en 2013 et 2014. Eu égard à l'importance et du montant des omissions constatées et leur caractère répété, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de l'intention délibérée de la société requérante d'éluder l'impôt et par suite, du bien-fondé de la pénalité de 40 %.

14. Il résulte de ce qui précède que la SARL Nino Fruits n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Nino Fruits est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Nino Fruits et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02456


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02456
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-01-04-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. - Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Arnaud POREE
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : DELAMBRE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;22ly02456 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award