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07/12/2023 | FRANCE | N°21BX04559

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre (formation à 5), 07 décembre 2023, 21BX04559


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... F..., Mmes C... et A... F..., MM. G... et B... F..., agissant en leur nom personnel, en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs et en leur qualité d'ayant droit de M. D... F..., décédé

le 13 septembre 2017, ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM

) à leur verser une somme de 208 585,66 euros au titre des préjudices subis par M. D... F....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F..., Mmes C... et A... F..., MM. G... et B... F..., agissant en leur nom personnel, en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs et en leur qualité d'ayant droit de M. D... F..., décédé

le 13 septembre 2017, ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une somme de 208 585,66 euros au titre des préjudices subis par M. D... F...

et une somme globale de 333 737,56 euros en réparation des préjudices subis en leur qualité de victimes indirectes.

Par un jugement n° 1901245 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif

de Limoges a condamné :

- l'ONIAM et le CHU de Limoges à verser respectivement les sommes

de 8 760 euros et 5 840 euros au titre des préjudices subis par M. D... F... ;

- l'ONIAM à verser les sommes de 113 619 euros à sa veuve, 3 840 euros

à Mme C... F..., 3 660 euros à Mme A... F..., 4 020 euros chacun à MM. B... et G... F... et 1 500 euros à chacun des petits-enfants ;

- le CHU de Limoges à verser les sommes de 75 746 euros à sa veuve, 2 560 euros

à Mme C... F..., 2 440 euros à Mme A... F..., 2 680 euros chacun à MM. B... et G... F... et 1 000 euros à chacun des petits-enfants.

Ces indemnités ont été assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par l'ONIAM et le CHU de Limoges des demandes préalables du 29 avril 2019, ainsi que de la capitalisation des intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 décembre 2021

et 14 décembre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par

la SELARL Birot-Ravaut et associés, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges

du 21 octobre 2021 en tant qu'il l'a condamné à verser une indemnisation au titre des frais

de déplacement, des frais d'obsèques, de la perte de revenus et du préjudice d'affection

des ayants droit ;

2°) de rejeter la demande des consorts F... relative à ces chefs de préjudice ;

3°) de rejeter les conclusions d'appel des consorts F....

Il soutient que :

- son appel est recevable dès lors qu'aucune disposition ne prévoit l'irrecevabilité

du recours en cas de non-exécution du jugement ; en tout état de cause, la somme

de 172 939,75 euros a été versée le 2 décembre 2022 ;

- le principe de l'engagement de la solidarité nationale en raison d'une infection résultant d'une perforation digestive par plaie du côlon transverse lors du pontage aortocoronaire, qui a été regardée comme un accident médical non fautif, n'est pas contesté, pas plus que le taux de 60 % du dommage mis à sa charge, compte tenu des fautes commises par ailleurs par le CHU de Limoges dans le traitement de l'infection ;

- dans la liquidation des préjudices, il convenait de tenir compte des deux contrats " garantie des accidents de la vie " souscrits par la victime, conformément

à l'article L. 1142-17 du code de la santé publique ; ces contrats d'assurance couvraient les frais de déplacement, les frais d'obsèques, la perte de revenus et le préjudice d'affection des ayants droit ; l'ONIAM n'ayant pas la qualité d'auteur responsable lorsque la solidarité nationale est engagée, tout recours des tiers payeurs ou d'un tiers responsable est exclu ; par suite, la solidarité nationale n'a pas vocation à intervenir dans le cas où une compagnie d'assurance est tenue de couvrir le risque en application des garanties contractuelles souscrites par la victime ;

- en l'espèce, le contrat souscrit auprès de Groupama couvre, en cas de décès, dans la limite de deux millions d'euros, les frais d'obsèques, les pertes de revenus des proches, les frais divers que ceux-ci ont pu engager à l'occasion du décès et leur préjudice d'affection ; le contrat souscrit auprès de la Caisse d'épargne couvre les mêmes préjudices, dans la limite d'un million d'euros ; la solidarité nationale n'a pas lieu d'intervenir pour indemniser de tels préjudices, dès lors que ces contrats prévoient expressément leur intervention en priorité à toute autre forme de réparation ; le tribunal ne pouvait les écarter au motif qu'il n'était pas établi que des sommes aient été versées en exécution de ces contrats ou qu'un accord de prise en charge aurait été donné par les deux assureurs, dès lors que l'article L. 1142-17 du code

de la santé publique prévoit que doivent être déduites les indemnités reçues ou à recevoir ;

- le jugement peut être confirmé s'agissant de l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice d'accompagnement et s'agissant du rejet des demandes présentées au titre du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d'angoisse de mort imminente.

Par deux mémoires, enregistrés les 17 octobre et 22 décembre 2022, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges, représenté par le cabinet Le Prado, Gilbert, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges

du 21 octobre 2021 en tant qu'il l'a condamné à verser une indemnisation au titre des préjudices d'affection et d'accompagnement, des frais de déplacement, des frais d'obsèques et de la perte de revenus du conjoint survivant ;

2°) de rejeter la demande des consorts F... relative à ces chefs de préjudice ;

3°) de rejeter l'appel incident des consorts F....

Il fait valoir que :

- son appel provoqué est recevable car, contrairement à ce que les consorts F... font valoir, il ne s'est pas borné à solliciter l'annulation du jugement mais a également conclu à ce qu'il soit fait droit à ses demandes de première instance ; à supposer que son appel soit irrecevable, les conclusions incidentes des consorts F... le seraient aussi ;

- ainsi que le soutient l'ONIAM, c'est à tort que le tribunal a écarté les deux contrats d'assurance souscrits par M. F... et a indemnisé les préjudices d'affection et d'accompagnement, ceux liés aux frais de déplacement, aux frais d'obsèques et à la perte de revenus du conjoint survivant ; les consorts F... n'ont pas établi ne pas avoir perçu d'indemnités de la part des deux compagnies d'assurance ; le tribunal a méconnu son office en accordant une indemnisation sans avoir fait usage de ses pouvoirs d'instruction ;

- le tribunal n'a pas fait une sous-évaluation du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et des préjudices subis par les proches ;

- compte tenu des conclusions de l'expertise, c'est à juste titre qu'il a rejeté la demande au titre du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d'angoisse de mort imminente ;

- les frais de déplacement et d'obsèques doivent être indemnisés sur la base des frais réels que les consorts F... doivent justifier.

Par deux mémoires, enregistrés les 21 novembre 2022 et 1er février 2023,

les consorts F..., représentés par Me Dumont, concluent au rejet des demandes adverses et demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation allouée ;

2°) de condamner le CHU de Limoges à leur verser les sommes de 28 730 euros au titre des préjudices propres de M. D... F..., 126 820,76 euros au titre des préjudices subis par son épouse, 8 902,10 euros au titre des préjudices subis par ses enfants

et 4 000 euros en réparation des préjudices d'affection de ses petits-enfants ;

3°) de condamner l'ONIAM à leur verser les sommes de 43 095 euros au titre des préjudices propres de M. D... F..., 190 231,12 euros au titre des préjudices subis par son épouse, 13 407,12 euros au titre des préjudices subis par ses enfants et 6 000 euros en réparation des préjudices d'affection de ses petits-enfants ;

4°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal et de la capitalisation ;

5°) de mettre à la charge solidaire de l'ONIAM et du CHU de Limoges la somme

de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les conclusions présentées par l'ONIAM sont irrecevables, dès lors que l'établissement n'a pas exécuté le jugement ;

- les conclusions présentées par le CHU de Limoges sont irrecevables, dès lors que l'hôpital se borne à solliciter l'annulation du jugement sans conclure au fond sur ses demandes ;

- les contrats " garantie des accidents de la vie " ne couvrent pas les accidents médicaux fautifs ; en outre, les assureurs n'ont versé aucune indemnisation ; il appartient à l'ONIAM, s'il s'y croit fondé, d'exercer un recours à l'encontre des assureurs ;

- la répartition retenue par le jugement entre l'ONIAM et le CHU de Limoges n'est pas contestée ;

- le principe de réparation intégrale s'oppose à l'application d'un barème pour le calcul des préjudices ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire est insuffisante, eu égard notamment aux nombreuses interventions subies durant un mois et aux troubles dans les conditions d'existence ; sur la base d'un montant journalier de 25 euros, le préjudice peut être porté à 825 euros ;

- l'indemnisation des souffrances endurées, cotées 5 sur une échelle de 7, doit également être revue à la hausse et être portée à 15 000 euros ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. F... ayant été conscient de son état jusqu'à l'issue fatale, il a nécessairement subi un préjudice d'angoisse de mort imminente, qui peut être évalué à 50 000 euros ;

- alors même qu'il n'a pas été évalué par l'expert, le préjudice esthétique temporaire existe du fait de l'hospitalisation en soins intensifs, de l'intubation, des cicatrices et plaies, et peut être évalué à 1 000 euros ;

- le préjudice d'affection de son épouse peut être fixé à 30 000 euros et son préjudice d'accompagnement ne saurait être inférieur à 1 000 euros ;

- en retenant une part d'autoconsommation de la victime ramenée à 20 % et en appliquant le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022, la perte de revenus de son épouse s'élève à 281 234 euros, dont 168 740,40 euros à la charge de l'ONIAM ;

- les frais de déplacement doivent être indemnisés, non pas de manière forfaitaire, mais au vu des frais réellement exposés ; ils correspondent à un montant de 1 051,95 euros ;

- le préjudice d'affection de ses quatre enfants doit être revu à la hausse et porté

de 5 000 à 15 000 euros pour chacun d'eux, dont 9 000 euros à la charge de l'ONIAM ; il doit en aller de même pour le préjudice d'accompagnement, à porter de 400 à 1 000 euros chacun ;

- au vu des déplacements effectués, les frais exposés par les quatre enfants s'élèvent à 1 423,40 euros pour Mme C... F..., 738,39 euros pour Mme A... F..., 2 277,06 euros pour M. G... F... et 1 906,37 euros pour M. B... F... ;

- l'indemnisation du préjudice d'affection des six petits-enfants est insuffisante

et peut être portée de 2 500 à 10 000 euros pour chacun d'eux ;

- les frais funéraires se sont élevés à 3 765,93 euros, y compris les frais de plaque

et de colombarium.

Par une ordonnance du 23 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée,

en dernier lieu, au 1er février 2023.

Par un courrier du 2 octobre 2023, il a été demandé aux consorts F..., sur

le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de produire une pièce complémentaire.

Des observations, présentées pour les consorts F... en réponse à cette demande, ont été enregistrées les 12 et 13 novembre 2023.

Par lettre du 20 octobre 2023, les parties ont été informées, en application

de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur des moyens relevé d'office, tirés de :

- l'irrecevabilité des conclusions du CHU de Limoges dès lors qu'elles ne sont

pas dirigées contre l'appelant principal et constituent elles-mêmes un appel principal, présenté au-delà du délai d'appel ;

- l'irrecevabilité des conclusions des consorts F... dirigées contre le CHU

de Limoges, dès lors qu'elles constituent un appel incident sur l'appel principal tardif

de celui-ci ;

- l'irrecevabilité des conclusions des consorts F... dirigées contre l'ONIAM en tant qu'elles concernent les préjudices propres subis par M. D... F..., litige distinct de l'appel principal de l'ONIAM qui ne porte que sur les préjudices subis par les proches.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., âgé de 66 ans, s'est rendu le 1er août 2017 au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges pour une forte douleur thoracique au repos, conduisant au diagnostic de syndrome coronarien aigu. Après discussion en réunion pluridisciplinaire, il a été décidé de procéder à une revascularisation par pontage aortocoronaire, avec mise en place de drains médiastinaux, intervention qui a été réalisée

le 8 août suivant. Deux jours plus tard, en raison de l'apparition d'une fièvre et de résultats

de prélèvements bactériologiques ayant révélé la présence de levures et de germes,

une antibiothérapie a été mise en place et deux reprises chirurgicales ont été

réalisées les 12 et 18 août 2017. Malgré ces interventions, M. F... a présenté le 19 août une défaillance polyviscérale sur choc septique, qui a été traitée par une épuration extra-rénale. Le 29 août 2017, il a présenté une désaturation brutale avec bradycardie, de la fièvre,

un écoulement purulent à l'orifice des drains et une augmentation des globules blancs. Bien qu'un nouveau drainage, un lavage thoracique et une reprise chirurgicale aient été réalisés

les 11 et 12 septembre, M. F... est décédé le 13 septembre 2017.

2. Son épouse et ses quatre enfants, agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs et en leur qualité d'ayants droit

de M. D... F..., ont saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI), qui a diligenté une expertise. Au vu du rapport déposé le 10 février 2018, la commission a estimé, dans son avis du 19 avril 2018, que le dommage était dû à un accident médical non fautif

et à une infection nosocomiale, mais aussi à une faute du CHU dans le traitement de cette infection, et que la réparation incombait à 60 % à la solidarité nationale et à 40 % à l'établissement hospitalier. Les consorts F... n'ont pas donné suite aux propositions d'indemnisation faites par l'ONIAM et le CHU, et ont saisi le tribunal administratif

de Limoges. Par un jugement du 21 octobre 2021, le tribunal a retenu une responsabilité

du CHU de Limoges à hauteur de 40 % du dommage et l'engagement de la solidarité nationale à hauteur de 60 %. Il a, sur ces bases, condamné l'ONIAM à verser les sommes

de 8 760 euros au titre des préjudices subis par M. D... F..., 113 619 euros à sa veuve, 3 840 euros à Mme C... F..., 3 660 euros à Mme A... F..., 4 020 euros chacun à MM. B... et G... F... et 1 500 euros à chacun des petits-enfants. Il a également condamné le CHU de Limoges à verser les sommes de 5 840 euros au titre des préjudices subis par M. D... F..., 75 746 euros à Mme E... F..., 2 560 euros

à Mme C... F..., 2 440 euros à Mme A... F..., 2 680 euros chacun à MM. B... et G... F... et 1 000 euros à chacun des petits-enfants. Par la présente requête, l'ONIAM demande la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser une indemnisation au titre des frais de déplacement, des frais d'obsèques, de la perte de revenus et du préjudice d'affection des ayants droit. Le CHU de Limoges présente des conclusions similaires. Les consorts F... demandent le rehaussement des indemnités accordées.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

3. En premier lieu, si l'article R. 811-14 du code de justice administrative énonce que le recours en appel n'a en principe pas d'effet suspensif, il ne résulte d'aucune disposition de ce code que la non-exécution du jugement par la partie condamnée en première instance serait une cause d'irrecevabilité de son appel. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par les consorts F... aux conclusions d'appel présentées le 16 décembre 2021 par l'ONIAM,

qui au demeurant établit avoir exécuté le jugement le 2 décembre 2022, ne peut qu'être écartée.

4. En deuxième lieu, les conclusions présentées par le CHU de Limoges

le 17 octobre 2022 tendant à remettre en cause les sommes accordées aux consorts F... par le jugement du 21 octobre 2021 au titre des préjudices d'affection et d'accompagnement, des frais de déplacement, des frais d'obsèques et de la perte de revenus du conjoint survivant ont été enregistrées postérieurement au délai d'appel et ne sont pas dirigées contre l'ONIAM, appelant principal. Par suite, ces conclusions sont constitutives d'un appel principal tardif,

et comme telles sont irrecevables.

5. En dernier lieu, les consorts F... demandent, par des écritures enregistrées le 21 novembre 2022, également postérieurement à l'expiration du délai d'appel,

le rehaussement des indemnités allouées. Leurs conclusions dirigées contre l'ONIAM constituent un appel incident, recevable en tant qu'elles portent sur les préjudices des proches, objet de l'appel de l'ONIAM. En revanche, elles sont irrecevables en tant qu'elles portent sur les préjudices propres de M. D... F..., celui-ci n'étant pas concerné par l'appel principal de l'ONIAM. Enfin, les conclusions des consorts F... dirigées contre le CHU de Limoges, qui ont le caractère d'un appel incident sur un appel principal du CHU qui

est lui-même tardif, sont également irrecevables par voie de conséquence.

Sur les responsabilités :

6. Il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté en appel, que l'infection qui a contribué au décès de M. F... a pour origine une perforation digestive par plaie au niveau du côlon transverse, occasionnée lors de la pose des drains médiastinaux nécessaires au pontage aortocoronaire réalisé le 8 août 2017. Une telle perforation est un aléa thérapeutique qui survient de manière exceptionnelle, ouvrant droit à une prise en charge par la solidarité nationale. Il est également établi que le CHU de Limoges a commis trois manquements dans les suites de l'intervention chirurgicale du 8 août 2017, d'une part en posant d'abord un diagnostic erroné de médiastinite post-opératoire alors que les prélèvements réalisés auraient dû orienter l'équipe médicale vers une infection d'origine intestinale, d'autre part en ne réalisant la prise en charge chirurgicale digestive que

le 20 août alors que les prélèvements réalisés lors de la première et la deuxième reprises chirurgicales les 12 et 13 août avaient mis en évidence des micro-organismes d'origine digestive, et enfin en tardant à administrer des traitements antibiotiques et antifongiques par ailleurs insuffisants. Ainsi que l'a retenu le tribunal, en suivant le rapport d'expertise établi

le 10 février 2018, la prise en charge fautive du CHU est à l'origine d'une perte de chance

de 40 % d'éviter le décès, et les consorts F... étaient fondés d'une part à demander une condamnation du CHU à réparer leurs préjudices à hauteur de 40 % et d'autre part à solliciter l'engagement de la solidarité nationale, dès lors que le décès de leur ayant cause est imputable à l'accident médical non fautif, à hauteur de 60 %.

Sur les préjudices des proches :

En ce qui concerne les préjudices de Mme F... :

7. En premier lieu, Mme F... a supporté des frais d'obsèques, composés

de frais funéraires et de colombarium pour un montant de 3 610,68 euros. Elle justifie également, pour la première fois en appel, du coût d'une plaque funéraire pour un montant

de 155,25 euros. Par suite, le préjudice s'élève à un montant total de 3 765,93 euros.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'avis d'imposition du couple que leurs revenus s'élevaient, avant le décès de M. F..., à 38 416 euros. Le couple étant sans enfant à charge, la part des revenus que M. F... consacrait à sa propre consommation peut être évaluée à 30% de leurs revenus annuels, soit une somme de 11 525 euros. Après déduction de cette somme et des revenus perçus par Mme F..., soit 18 068 euros, la perte annuelle de revenus due au décès de M. F... correspond à 8 823 euros. Pour la période passée, courant de la date du décès à la date de la présente décision, soit 2 276 jours, le préjudice peut être fixé à 55 017 euros. Pour la période future, il convient d'appliquer à la perte annuelle de revenus l'euro de rente viagère du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 pour un homme qui aurait été âgé de 72 ans à la date de la présente décision, soit 13,874. Le préjudice futur s'élevant ainsi à 122 410 euros, le préjudice économique total pour Mme F... peut être estimé à la somme de 177 427 euros.

9. En troisième lieu, Mme F... soutient avoir supporté des frais de déplacement pour se rendre quotidiennement au chevet de son époux, durant son hospitalisation pendant 34 jours. Elle produit le certificat d'immatriculation de son véhicule ainsi qu'une attestation sur le nombre de kilomètres parcourus. Il résulte toutefois des attestations produites par ses enfants que ceux-ci, qui sollicitent également une indemnisation pour des frais de déplacement, déclarent avoir effectué, certains jours, du covoiturage avec leur mère, sans qu'il soit précisé quel véhicule a été utilisé. Par suite, il ne peut qu'être fait une juste appréciation du préjudice subi par chacun d'eux, et le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation du préjudice subi par Mme F... en le fixant à 1 000 euros.

10. En quatrième lieu, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation

du préjudice d'affection subi par Mme F... du fait du décès de son époux, avec lequel elle a vécu plus de 47 ans, en le fixant à 25 000 euros.

11. En dernier lieu, si Mme F... a été présente au chevet de son mari durant toute la durée de son hospitalisation, soit 34 jours, il ne résulte pas de l'instruction que

le tribunal aurait fait une insuffisante appréciation du préjudice d'accompagnement,

en l'évaluant à 800 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que les préjudices personnellement subis par Mme F... représentent un montant total de 207 992,93 euros et la part qu'il reviendrait à la solidarité nationale de prendre en charge, sous réserve d'autres indemnités à percevoir, s'élève à 124 796 euros.

En ce qui concerne les préjudices subis par les quatre enfants :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que les pièces produites, composées d'attestations et des certificats d'immatriculation des véhicules, ne permettent pas de déterminer les frais de déplacement que chacun des enfants a effectivement supportés, compte tenu du recours fréquent à du covoiturage. En l'absence de production de pièces plus précises en appel, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice

en le fixant à 1 000 euros pour Mme C... F..., 700 euros pour Mme A... F...

et 1 300 euros chacun pour MM. G... et B... F....

14. En deuxième lieu, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante évaluation du préjudice d'affection subi par chacun des quatre enfants, alors âgés entre 37 et 46 ans,

du fait du décès de leur père, en le fixant à 5 000 euros.

15. En dernier lieu, si les quatre enfants sont tous venus voir leur père à plusieurs reprises, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait fait une insuffisante appréciation de leur préjudice d'accompagnement en l'évaluant à 400 euros.

16. Il résulte de ce qui précède que la part des préjudices subis par les enfants de M. F... devant relever de la solidarité nationale s'élève à 3 840 euros pour

C... F..., à 3 660 euros pour Mme A... F... et à 4 020 euros chacun pour

MM. G... et B... F....

En ce qui concerne les préjudices subis par les six petits-enfants :

17. En fixant à 1 000 euros le préjudice d'affection subi par chacun des six

petits-enfants, le tribunal n'en a pas fait une insuffisante évaluation. La part incombant

à la solidarité nationale est ainsi de 600 euros.

Sur la déduction des indemnités d'assurance :

18. Aux termes de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique : " Lorsque

la commission régionale estime que le dommage est indemnisable au titre du II de

l'article L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis. / Cette offre indique l'évaluation retenue, le cas échéant à titre provisionnel, pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime, ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 précitée, et plus généralement des indemnités de toute natures reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice (...) ". En application de ces dispositions, le juge, saisi d'un litige relatif à l'indemnisation d'un dommage au titre de la solidarité nationale, s'il est conduit à évaluer le montant des indemnités qui reviennent à la victime ou à ses ayants droit, doit y procéder en déduisant du montant du préjudice total les prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, et, plus généralement, les indemnités de toute nature reçues, mais aussi à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, parmi lesquels se trouvent les assureurs.

19. Il résulte de l'instruction que M. F... avait souscrit deux contrats d'assurance " Garantie des accidents de la vie ", l'un auprès de la société Groupama, l'autre auprès de la Caisse d'épargne. Ces deux contrats prévoient, en cas de décès de l'assuré du fait d'un accident médical, sans exclure le cas d'un accident fautif, le versement d'indemnités afin de couvrir les frais d'obsèques, la perte de revenus des proches, les frais divers que ceux-ci ont été amenés à engager à l'occasion du décès (frais de transports, d'hébergement et de restauration) et leur préjudice d'affection. Ces indemnités ne sont pas déterminées forfaitairement mais calculées, après évaluation des préjudices subis, selon les règles du droit commun. Dès lors, ces sommes doivent être déduites du préjudice indemnisable mis à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. L'établissement public soutient que les intéressés ont été intégralement indemnisés par le versement des indemnités résultant de la mise en œuvre des contrats. Invités par la Cour à justifier de la perception ou non de sommes en vertu de ces deux contrats d'assurance, les consorts F... n'ont produit aucun justificatif, et ne sauraient se prévaloir du seul courriel qu'ils ont adressé le 4 octobre 2021 à une personne tierce dont les qualifications ne sont pas précisées pour solliciter une attestation de non-versement de sommes au titre des contrats. Dans ces conditions, il n'est pas établi qu'après déduction des indemnités d'assurance qui leur sont dues, les consorts F... conserveraient un préjudice relatif aux frais d'obsèques, à une perte de revenus, aux frais de transports ou à un préjudice d'affection, et l'ONIAM est fondé à soutenir que le tribunal ne pouvait refuser de tenir compte des indemnités à percevoir des assureurs au seul motif qu'elles n'auraient pas encore été versées.

20. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué en relevant à 124 796 euros le préjudice relevant de la solidarité nationale de Mme E... F..., et en déduisant de l'ensemble des sommes fixées aux points 7 à 10 pour Mme E... F... et 13, 14, 16 et 17 pour ses enfants et petits-enfants les indemnités à percevoir des assureurs, dont il appartiendra aux consorts F... de justifier le montant définitif.

Sur les frais liés au litige :

21. D'une part, il ressort des énonciations du jugement attaqué, plus précisément de son point 25, que les sommes mises à la charge de l'ONIAM sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable des consorts F..., datée

du 29 avril 2019, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts. Par suite, les conclusions des consorts F... tendant à cette fin sont sans objet.

22. D'autre part, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'ONIAM et du CHU de Limoges la somme que les consorts F... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les sommes que l'ONIAM a été condamné à verser au titre des préjudices subis par les proches de M. F... sont portées de 113 619 euros à 124 796 euros pour Mme E... F..., et maintenues à 3 840 euros pour Mme C... F..., à 3 660 euros pour Mme A... F..., et à 4 020 euros pour MM. G... et B... F... chacun, et à 600 euros pour chacun des six petits-enfants, le tout sous déduction des sommes à percevoir des assureurs, dont les consorts F... justifieront auprès de l'ONIAM.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 21 octobre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. G... F..., représentant unique des consorts F..., et au centre hospitalier universitaire de Limoges.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

Le président,

Luc Derepas

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX04559


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre (formation à 5)
Numéro d'arrêt : 21BX04559
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;21bx04559 ?
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