Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 22 février 2021, la société ECM Énergie France, représentée par Me Enckell, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2020 par lequel le Préfet de la Charente-Maritime a délivré à la société Ferme Eolienne des Terres du Pré René une autorisation environnementale pour l'implantation et l'exploitation d'un parc éolien constitué de cinq éoliennes et d'un poste de livraison sur les communes de Villeneuve-la-Comtesse et Vergné ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son intérêt à agir est incontestable compte tenu de sa qualité de voisine immédiate du projet et des inconvénients que le projet est de nature à engendrer sur son activité ;
- l'étude de danger est insuffisante s'agissant de l'analyse des effets dominos avec son propre parc ;
- l'étude d'impact est insuffisante au regard du cumul des incidences avec son propre parc sur les chiroptères, dans le cadre du volet acoustique ou pour la sécurité ;
- cet arrêté est entaché d'erreur d'appréciation quant aux risques pour la sécurité publique en raison de la proximité des deux parcs ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation s'agissant de l'impact sur l'environnement et sur l'atteinte acoustique au voisinage.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2021, la société Ferme Eolienne des Terres du Pré René, représentée par Me Verger, conclut au rejet de la requête et demande à titre subsidiaire qu'il soit fait usage de la possibilité de régularisation ouverte par l'article L. 181-18 du code de l'environnement et qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société ECM Energie France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la requête est irrecevable en l'absence d'intérêt à agir au regard de l'article R. 181-50 du code de l'environnement ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mars 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,
- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,
- et les observations de Me Fesquet, représentant la société ECM Energie France et de Mme A..., représentant le préfet de la Charente-Maritime.
Considérant ce qui suit :
1. Le 14 décembre 2016, la société Ferme Eolienne des Terres du Pré René a déposé une demande d'autorisation unique pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent composée de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison d'électricité sur le territoire des communes de Villeneuve-la-Comtesse et Vergné. Le 22 octobre 2020, le Préfet de la Charente-Maritime a délivré un arrêté autorisant la société à construire et exploiter l'installation. La société ECM Énergie France demande l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / 1° Par les pétitionnaires ou exploitants, dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision leur a été notifiée ; / 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de quatre mois à compter de :/ a) L'affichage en mairie dans les conditions prévues au 2° de l'article R. 181-44 ; / b) La publication de la décision sur le site internet de la préfecture prévue au 4° du même article. (...) ". Aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...)".
3. Aux termes de l'article L. 511-1 de ce code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. "
4. Au sens de ces dispositions, un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement délivrée à une entreprise, fut-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts visés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement commercial. Il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l'établissement justifie d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l'installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux.
5. La société requérante est autorisée à construire et exploiter un parc de sept éoliennes et un poste de livraison sur les territoires des communes de Villeneuve-la-Comtesse et Vergné, autorisés par l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime en date du 19 décembre 2013, modifié par l'arrêté du 15 septembre 2020 et des permis de construire délivrés par la préfète de la Charente-Maritime le 2 avril 2013.
6. D'une part, la société requérante fait valoir que l'implantation du nouveau parc présenterait un risque pour la sécurité de son exploitation en raison de la superposition des zones de risques des deux parcs. Il résulte toutefois de l'instruction que l'étude de danger du projet en litige a pris en compte l'existence des éoliennes de la société requérante situées en parallèle du parc en projet, à des distances comprises entre 375 mètres et 420 mètres. En outre, elle évalue la probabilité de projection de pales ou de fragments de pales comme un risque rare, soit un risque qui " s'est déjà produit mais a fait l'objet de mesures correctrices réduisant significativement la probabilité ", avec un niveau de gravité qualifié de sérieux s'agissant de l'exposition des personnes. Par ailleurs, cette étude précise qu'au vu de la littérature, l'effet domino ne doit être pris en compte que pour les éoliennes situées dans un rayon de 100 mètres, ce qui est confirmé par l'étude de danger figurant dans le dossier de demande du parc éolien la société requérante qui retient un risque d'accident tous les 300 000 ans pour ses éoliennes 6 et 7, distantes de 347 mètres. Enfin, la société requérante ne produit aucun élément propre au parc projeté qui mettrait en évidence que sa proximité avec le parc existant augmenterait les risques d'accident.
7. D'autre part, la société requérante soutient que l'implantation du parc projeté remet en cause les mesures compensatoires de plantation de haies prévues dans son propre projet. Toutefois, alors que les zones d'implantation potentielles de ces haies sont plus éloignées des éoliennes du projet que de celles de la requérante, il ne résulte pas des pièces du dossier que le projet en litige empêcherait la plantation de ces haies et la société requérante ne produit aucun élément qui établirait que le parc en projet remettrait en cause le caractère compensatoire de ces mesures.
8. Ainsi il ne résulte pas de l'instruction que le fonctionnement du parc projeté présenterait des inconvénients ou des dangers pour les intérêts visés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement de nature à affecter par eux-mêmes les conditions de l'exploitation du parc éolien pour lequel la société ECM Energie France détient une autorisation. Dans ces conditions, la société requérante ne peut être regardée comme un tiers justifiant d'un intérêt au sens l'article R. 181-50 du code de l'environnement, lui donnant qualité pour agir contre l'autorisation d'exploitation litigieuse. Sa requête est par suite irrecevable.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société ECM Energie France réclame au titre des frais liés au litige.
10. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la société ECM Energie France une somme de 1 500 euros à verser à la société Ferme Eolienne des Terres du Pré René au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société ECM Energie France est rejetée.
Article 2 : La société ECM Energie France versera une somme de 1 500 euros à la société Ferme Eolienne des Terres du Pré René au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ECM Energie France, à la société Ferme Eolienne des Terres du Pré René et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21BX00735 2