Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Modus a demandé au tribunal administratif de Pau la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017 et de toutes pénalités, majorations et intérêts de retard pour un montant total de 24 977 euros en droit et 1 074 euros en pénalités.
Par un jugement n° 1900154 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Pau a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 novembre 2021 et le 2 septembre 2022, la société Modus, représentée par Me Froget, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif du 23 septembre 2021 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions, majorations et accessoires mis à sa charge ainsi que de toutes les pénalités, majorations et intérêts de retard résultant de l'avis de mise en recouvrement du 16 août 2018.
Elle soutient que :
- les impositions mises à sa charge ne sont pas fondées en ce que la vente des terrains à bâtir peut effectivement bénéficier du régime de TVA sur la marge ;
- elle peut se prévaloir sur ce point de la doctrine administrative TVA IMM 10-20-10-201603 déjà invoquée devant le tribunal administratif ainsi que de trois réponses ministérielles ;
- les impositions mises à sa charge portent atteinte au principe de l'égalité devant l'impôt ;
- les actes rectificatifs qui ont été dressés par le notaire du contribuable font état du fait que les ventes ne sont pas assujetties à la TVA mais au régime spécial des marchands de biens qui correspond à l'activité de la société qui lui a vendu les terrains ;
- la prestation fournie par la SARL Shelbourne correspond à un service réellement rendu et ouvre à ce titre droit à déduction de la TVA.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 mai 2022 et le 19 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution et notamment son Préambule ;
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sébastien Ellie ;
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Modus, qui exerce une activité de maîtrise d'œuvre, de conseil en immobilier et de marchand de biens, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 et jusqu'au 30 septembre 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Par une proposition de rectification du 30 avril 2018, l'administration fiscale a remis en cause, d'une part, le choix du régime de la TVA sur marge sur plusieurs opérations de vente de terrain à bâtir et d'autre part, la TVA déductible d'un montant de 11 000 euros sur une facture réglée à la SARL Shelbourne France au motif que la prestation n'était pas justifiée. Par un avis en date du 3 septembre 2018, les sommes de 24 977 euros en droit et 1 074 en pénalités ont été mises en recouvrement. La SAS Modus a formulé une réclamation qui a été rejetée le 20 novembre 2018. Par un jugement du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Pau, saisi par la SAS Modus, a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de 15 667 euros en droit et 878 euros en intérêts de retard en raison du dégrèvement prononcé par l'administration par une décision du 16 juillet 2019 et a rejeté le surplus des conclusions présentées par la société. La SAS Modus relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions, portant sur la somme de 9 310 euros en droits et 196 euros en intérêts de retard.
Sur la taxe collectée :
2. Aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable ou d'après le contenu d'un acte présenté par lui à la formalité de l'enregistrement. ".
En ce qui concerne le régime de TVA :
3. Le I de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du b du 2 de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession. L'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble ; / b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués (...) ".
4. Les dispositions de l'article 268 du code général des impôts, qui doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 28 novembre 2006 dont elles assurent la transposition en droit interne, permettent d'appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe, que lorsque leur acquisition n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et notamment de son arrêt du 30 septembre 2021 dans l'affaire C-299/20, qu'en dehors de ces hypothèses, le régime de taxation sur la marge ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée.
5. Il résulte de l'instruction que la SAS Modus a acquis, le 15 juin 2016, trois terrains à bâtir auprès de la SARL Ilbarritz Bab, pour un prix unitaire de 75 000 euros TVA sur la marge comprise, le montant de cette TVA ayant été fixé à 4 722,22 euros. Elle a acquis le même jour un autre terrain à bâtir auprès de la SCI Lackan pour un montant de 75 000 euros, TVA sur la marge d'un montant de 1 500 euros comprise. Ces terrains avaient préalablement été acquis par ces sociétés auprès de la SARL Shelbourne, laquelle avait elle-même acquis un vaste ensemble de parcelles auprès de la commune de Lit-et-Mixe pour la réalisation d'un projet d'aménagement. La vente initiale entre la commune et la SARL Shelbourne était en dehors du champ de la TVA, le propriétaire cédant étant une collectivité territoriale. Les ventes réalisées ensuite par la SARL Shelbourne ont été quant à elles soumises à la TVA sur la marge dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit, l'acquisition initiale était hors du champ d'application de la TVA.
6. La SAS Modus a tout d'abord cédé à la SCI AML deux de ces terrains le 28 septembre 2016, pour un prix de 350 000 euros, TVA sur la marge d'un montant de 33 333 euros comprise. Elle a cédé à la même SCI un troisième terrain le 3 janvier 2017 pour un prix de 150 000 euros, TVA sur la marge d'un montant de 12 500 euros comprise. Elle a enfin cédé le quatrième terrain le 20 janvier 2017 à un particulier pour un prix de 175 000 euros, TVA d'un montant de 29 167 euros comprise, liquidée sur la totalité du prix de vente.
7. Les terrains en cause ont été acquis auprès de deux sociétés, la SARL Shelbourne et la SCI Lackan, qui ont été régulièrement assujetties à la TVA lors de la revente des terrains à la SAS Modus, ainsi qu'il ressort des actes de vente versés au dossier par l'administration en première instance. Ces actes, qui mentionnent le prix hors TVA et le montant de la TVA appliquée, ont ouvert un droit à déduction de la TVA à la SAS Modus, qu'elle ait décidé ou non de demander cette déduction. L'administration fiscale a d'ailleurs procédé elle-même à la déduction de TVA en cours d'instance, conduisant au dégrèvement partiel de la SAS Modus évoqué au point 1 du présent arrêt. Ainsi, dans la mesure où la SAS Modus disposait du droit de déduire la TVA mentionnée dans les actes d'acquisition, le régime dérogatoire de la TVA sur marge prévu par l'article 268 du code général des impôts n'était pas applicable aux opérations de vente des terrains à bâtir appartenant à la société requérante, sans que la SAS Modus puisse utilement soutenir que les biens en cause n'ont pas connu de modification de leurs caractéristiques physiques ou juridiques entre leur acquisition et leur vente.
8. La SAS Modus invoque également la doctrine administrative référencée TVA IMM 10-20-10-201603. Toutefois, les paragraphes de cette doctrine qu'elle cite ne comportent aucune interprétation du texte fiscal différente de celle qui en est faite dans le présent arrêt. Si elle se prévaut également de réponses ministérielles, elle ne donne aucune indication permettant de les identifier. Ainsi, elle n'est pas fondée à se prévaloir de ces éléments de doctrine sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
9. Enfin, la SAS Modus produit trois actes rectificatifs du 16 avril 2022, modifiant les actes d'acquisition de 2016, supprimant la mention selon laquelle le prix s'entend TVA comprise et indiquant que c'est par erreur que l'opération a été assujettie à la TVA car elle était située hors champ de la taxe. Toutefois, si elle soutient que la société Ilbarritz Bab est un marchand de biens, elle n'apporte aucune précision sur l'incidence de cette qualification quant à la soumission à la TVA des ventes qu'elle a elle-même consenties des terrains acquis. Par ailleurs, en admettant que la société ait entendu soutenir que les actes rectificatifs lui permettent de bénéficier du régime de TVA sur la marge, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le régime de taxation sur la marge ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque l'opération est hors du champ de la taxe ou en est exonérée et que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens n'incorpore pas un montant de taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont par le vendeur initial.
En ce qui concerne le principe d'égalité devant l'impôt :
10. Il y a lieu d'écarter le moyen soulevé par la SAS Modus dans les mêmes termes devant les juges de première instance, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal, la requérante ne faisant état devant la cour d'aucun élément nouveau de fait ou de droit de nature à remettre en cause le bien-fondé du jugement attaqué sur ce point.
Sur la déductibilité de la taxe ayant grevé le prix de la prestation qui aurait été réalisée par la SAS Shelbourne :
11. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. - 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) / II. - 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (...) ". Le 2) de l'article 272 du même code précise que : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture. ". Enfin, le 4) de l'article 283, toujours du même code prévoit que : " Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée. "
12. Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
13. L'administration a refusé d'admettre la déduction de TVA d'un montant de 11 000 euros sur une facture d'un montant de 55 000 euros établie par la SARL Shelbourne, régulièrement inscrite au registre du commerce et des sociétés, pour des prestations de services intitulées " commissions sur ventes ", au motif que la réalisation effective de ces prestations n'était pas établie. Pour établir le caractère fictif de la facture, l'administration fiscale fait valoir qu'une première facture mentionnait un montant de 90 000 euros TTC pour cette prestation, non conforme à l'écriture comptable de 66 000 euros TTC, et que si une nouvelle facture a été présentée pendant la procédure de vérification, celle-ci ne mentionnait pas qu'elle avait pour objet de rectifier la facture antérieure. L'administration ajoute que les déclarations de chiffre d'affaires de la SARL Shelbourne ne mentionnent aucune prestation encaissée au taux normal de TVA et qu'aucun document entre la SARL Shelbourne et la SAS Modus n'a été produit, malgré ses demandes, pour justifier d'une prestation d'intermédiaire ou de négociation. Il n'est en outre pas contesté que le gérant de la SARL Shelbourne, également président de la SAS Modus, a tout d'abord justifié la prestation par des commissions sur les cessions des terrains de la SARL à la SAS, pour indiquer ensuite, au regard des interrogations de l'administration quant à la possibilité pour le vendeur d'un terrain de facturer des commissions de vente à l'acquéreur de ce même terrain, que la facture litigieuse correspondait à des frais de commercialisation liés au transfert d'hypothèques nécessaires à la réalisation des ventes. L'administration relève toutefois que les actes notariés ne mentionnent aucun transfert d'hypothèques et que les frais de mainlevée de ces dernières ont été mis à la charge du vendeur. L'administration fait ainsi état d'éléments suffisamment probants et circonstanciés permettant de considérer que la facture de 55 000 euros émise par la SARL Shelbourne ne correspondait à aucune prestation réalisée. La SAS Modus, qui se borne à soutenir que la nature et la réalité des prestations sont bien justifiées et que " la facture sur laquelle figure la taxe n'a pas à retracer un travail réel mais être uniquement justifiée par un tel travail " n'apporte quant à elle aucun élément de nature à justifier de la réalité d'une prestation de service. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré que la TVA acquittée à hauteur de 11 000 euros n'était pas déductible.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Modus n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté ses conclusions tendant à la décharge, en droit et pénalités, des rappels restant à sa charge.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Modus est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Modus et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction régionale du contrôle fiscal Sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 où siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2023.
Le rapporteur,
Sébastien Ellie
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°21BX04277