Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière Lackan a demandé au tribunal administratif de Pau la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 et de toutes pénalités, majorations et intérêts de retard pour un montant total de 29 000 euros en droit et 3 894 euros en intérêts de retard.
Par un jugement n° 1900155 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 novembre 2021 et le 2 septembre 2022, la SCI Lackan, représentée par Me Froget, demande à la cour :
1°) de reformer le jugement du tribunal administratif du 23 septembre 2021 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions, majorations et accessoires mis à sa charge ainsi que de toutes les pénalités, majorations et intérêts de retard résultant de l'avis de mise en recouvrement du 16 août 2017.
Elle soutient que :
- la procédure de taxation d'office mise en œuvre par le service n'était pas régulière ;
- les impositions mises à sa charge ne sont pas fondées en ce que la vente des terrains à bâtir peut effectivement bénéficier du régime de TVA sur la marge ;
- elle peut se prévaloir sur ce point de la doctrine administrative TVA IMM 10-20-10-201603 déjà invoquée devant le tribunal administratif ainsi que de deux réponses ministérielles ;
- les impositions mises à sa charge portent atteinte au principe de l'égalité devant l'impôt ;
- les actes rectificatifs qui ont été dressés par le notaire du contribuable font état du fait que les ventes ne sont pas assujetties à la TVA mais au régime spécial des marchands de biens qui correspond à l'activité officielle de la société venderesse ;
- elle doit être déchargée des pénalités mises à sa charge dès lors que la procédure de taxation d'office n'était pas régulière.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 mai 2022 et le 19 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution et notamment son Préambule ;
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sébastien Ellie ;
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Lackan, qui exerce une activité de construction, location et vente de biens immobiliers, a fait l'objet en 2018 d'un contrôle sur pièces portant sur la période du 1er avril 2016 au 31 mai 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). À l'issue de ce contrôle, l'administration a mis en œuvre la procédure de taxation d'office pour établir des rappels de TVA sur deux ventes de terrains à bâtir non déclarées. Un avis de mise en recouvrement à hauteur de 29 000 euros en droit et 3 894 euros en intérêts de retard a été adressé le 16 août 2018 à la société, laquelle a formulé une réclamation qui a été rejetée le 20 novembre 2018. La SCI Lackan relève appel du jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté ses demandes tendant à la décharge des rappels de TVA mis à sa charge, ainsi que des pénalités, majorations et intérêts de retard correspondants.
Sur la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes ".
3. Ainsi que l'ont retenu les premiers juges, il n'est pas contesté que la SCI Lackan n'a pas déposé de déclaration de chiffre d'affaires trimestrielle CA3 au titre du second semestre 2016 pour la vente de la parcelle AC n°512, intervenue le 15 juin 2016. De même, la SCI Lackan n'a pas déposé de déclaration mensuelle CA3 au titre du mois de mai 2017 à raison de la vente de la parcelle AC n°513, intervenue le 5 mai 2017. Par suite, en l'absence de dépôt de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée et alors même que les actes notariés mentionnaient l'assujettissement de la SCI Lackan à la TVA, l'administration a pu régulièrement recourir à la procédure de taxation d'office.
Sur les conclusions à fin de décharge :
4. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ".
En ce qui concerne le régime de TVA :
5. Le I de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du b du 2 de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession. L'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble ; / b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués (...) ".
6. Les dispositions de l'article 268 du code général des impôts, qui doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 28 novembre 2006 dont elles assurent la transposition en droit interne, permettent d'appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe, que lorsque leur acquisition n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et notamment de son arrêt du 30 septembre 2021 dans l'affaire C-299/20, qu'en dehors de ces hypothèses, le régime de taxation sur la marge ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée.
7. Il résulte de l'instruction que la société Shelbourne France a acquis en 2007, de la commune de Lit-et-Mixe (Landes) une parcelle de terrain et que cette vente n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, en l'absence d'assujettissement du vendeur à la taxe. Cette société a procédé à la division du terrain en lots et a cédé, le 21 mai 2015, deux des lots, les parcelles cadastrées section AC n° 512 et 513, à la société Lackan pour un prix de 132 000 euros, l'acte indiquant que la société Shelbourne optait pour la TVA sur la marge et stipulant que le prix s'entendait TVA sur la marge comprise pour un montant de 0 euros. La société Lackan a revendu ces deux terrains le 15 juin 2016, s'agissant de la parcelle AC 512, pour un prix de 75 000 euros TTC incluant la TVA sur la marge pour 1 500 euros, et le 5 mai 2017, s'agissant de la parcelle AC 513, pour un prix de 165 000 euros TTC incluant la TVA sur le prix total pour 27 500 euros et l'acte stipulant que le vendeur déclare " opter à la taxe sur la valeur ajoutée, l'acquisition du terrain ayant ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ".
8. En premier lieu, il est constant que la taxe rappelée sur la vente du terrain AC 512 correspond à la TVA sur la marge indiquée dans l'acte de vente. Le moyen invoqué par la société requérante tiré de ce que l'administration aurait dû appliquer le régime de la TVA sur la marge est, dès lors, inopérant.
9. Pour ce qui est, en second lieu, de la vente du terrain AC 513, si la requérante soutient qu'il s'agit d'un terrain à bâtir acquis en vue d'une cession et qu'elle n'avait pas bénéficié d'un droit à déduction de la taxe ayant grevé l'acquisition du terrain, il résulte de l'instruction, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'acquisition du terrain par le vendeur, la société Lackan, a été soumise à la TVA. Quand bien même cette taxe était égale à 0 euros, la société Lackan, assujettie à la TVA ainsi que l'indique l'acte du 5 mai 2017, n'apporte aucun élément permettant d'estimer que l'opération d'achat du terrain ne lui aurait pas ouvert un droit à déduction. Par suite, et alors même que les caractéristiques du terrain n'ont pas été modifiées entre l'acquisition et la vente, le régime de la TVA sur la marge ne trouve pas à s'appliquer pas à cette opération.
10. La société Lackan invoque en outre la doctrine administrative référencée TVA IMM 10-20-10-201603. Toutefois, les paragraphes de cette doctrine qu'elle cite ne comportent aucune interprétation du texte fiscal différente de celle qui en est faite dans le présent arrêt. Si elle se prévaut également de réponses ministérielles, elle ne donne aucune indication permettant de les identifier. Ainsi, elle n'est pas fondée à se prévaloir de ces éléments de doctrine sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
11. Au surplus aux termes du 3 de l'article 283 du code général des impôts : " Toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation ". Il en résulte que la taxe est due par toute personne qui la mentionne sur une facture ou tout document en tenant lieu. L'administration fiscale a en l'espèce procédé aux rappels de TVA sur la vente des parcelles en cause au regard des sommes et qualifications mentionnées dans les actes de vente, soit 1 500 euros de TVA sur marge pour la vente de la parcelle cadastrée section C n° 512 et 27 500 euros de TVA sur le prix total pour la vente de la parcelle cadastrée section C n° 513. L'administration est donc fondée à soutenir que ce motif peut également justifier les rappels mis à la charge de la société Lackan.
12. Enfin, la société Lackan produit un acte rectificatif du 22 janvier 2022, modifiant l'acte d'acquisition par elle, le 21 mai 2015, des deux parcelles AC 512 et 513, mentionnant le prix de 132 000 euros mais supprimant la mention selon laquelle le prix s'entend TVA comprise et indiquant que c'est par erreur que l'opération a été assujettie à la TVA car elle était située hors champ de la taxe. Toutefois, d'une part, cet acte rectificatif est sans incidence sur l'application par l'administration de l'article 283 du code général des impôts dès lors qu'il ne modifie pas les actes de cession des parcelles par la société Lackan qui mentionnent la TVA. D'autre part, si la société requérante soutient que la société Shelbourne est un marchand de biens, elle n'apporte aucune précision sur l'incidence de cette qualification quant à la soumission à la TVA des ventes qu'elle a elle-même consenties des terrains acquis. Enfin, en admettant que la société ait entendu soutenir que, pour ce qui est de la cession de la parcelle AC 513, l'acte rectificatif lui permet de bénéficier du régime de TVA sur la marge, il résulte de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus que le régime de taxation sur la marge ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque l'opération est hors du champ de la taxe ou en est exonérée et que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens n'incorpore pas un montant de taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont par le vendeur initial.
En ce qui concerne le principe d'égalité devant l'impôt :
13. Il y a lieu d'écarter le moyen soulevé par la SCI Lackan dans les mêmes termes devant les juges de première instance, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal, la requérante ne faisant état devant la cour d'aucun élément nouveau de fait ou de droit de nature à remettre en cause le bien-fondé du jugement attaqué sur ce point.
Sur les conclusions à fin de décharge de la pénalité :
14. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 1727 I du code général des impôts : " Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. À cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. " Selon l'article 1728 du même code : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (...) "
15. Il résulte de ces dispositions que les pénalités prononcées à l'encontre de la société requérante découlent du seul défaut de déclaration et non de la mise en œuvre de la procédure de taxation d'office. La société n'ayant pas souscrit les déclarations auxquelles elle était tenue, comme indiqué au point 3, c'est à bon droit que l'administration fiscale a fait application de la pénalité prévue par l'article 1728 a) du code général des impôts.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Lackan n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Lackan est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Lackan et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction régionale du contrôle fiscal Sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 où siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2023.
Le rapporteur,
Sébastien Ellie
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°21BX04276