Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... et M. A... D... ont demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 10 octobre 2019 par laquelle le directeur général du travail a rejeté la demande d'inscription de l'établissement, situé à Calais, de la société Huntsman PetA France, devenue société Venator, sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs à l'amiante pour la période de 1967 à 2002.
Par un jugement n° 1910408, 1910415 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2023, MM. C... et D..., représentés par Me Quinquis, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 décembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 10 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de procéder à l'inscription de l'établissement, situé à Calais, de la société Huntsman PetA France, devenue société Venator, sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que l'établissement remplit les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 pour une inscription sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante, dès lors que ses opérations de calorifugeage à l'amiante ont, par leur fréquence et la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté sur la période en cause une part significative de son activité.
Par un mémoire enregistré le 16 mai 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2023, la société Venator France, représentée par Me Wilinski et Me Hart, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête se borne à reprendre intégralement et exclusivement les écritures de première instance et est irrecevable ;
- la demande présentée devant le tribunal administratif était tardive et par suite irrecevable ;
- l'activité accessoire de calorifugeage ne présente pas de caractère significatif.
Par une ordonnance du 11 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 5 septembre 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, notamment son article 41 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Wilinski et de Me Hart, représentant la société Venator France.
Considérant ce qui suit :
1. L'établissement industriel situé 1 rue des Garennes à Calais, qui a appartenu successivement aux sociétés Tioxide, Huntsman PetA France, puis Venator France, a eu pour activité, de 1967 à 2017, la production de pigments de dioxyde de titane nécessaires à la fabrication de peintures, d'encres ou encore de matières plastiques. Par un courrier adressé à l'administration du travail le 11 juillet 2016, l'intersyndicale CFE-CGC, CGT et UNSA de cet établissement a demandé qu'il soit inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Par une décision du 10 octobre 2019, la ministre du travail a rejeté cette demande au motif que la part représentée par les activités exposant à l'amiante au sein de l'entreprise n'était pas significative. M. C..., délégué syndical de l'entreprise dans laquelle il a travaillé de 1980 à 2019, et M. D..., salarié de cette entreprise de 1987 à 2020, ont sollicité l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Lille qui, après avoir joint leurs demandes, les a rejetées par un même jugement du 8 décembre 2022. MM. C... et D... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 : " Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que peuvent seuls être légalement inscrits sur la liste qu'elles prévoient les établissements dans lesquels les opérations de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté sur la période en cause une part significative de l'activité de ces établissements. Il en va ainsi alors même que ces opérations ne constitueraient pas l'activité principale des établissements en question. Les opérations de calorifugeage à l'amiante doivent, pour l'application de ces dispositions, s'entendre des interventions qui ont pour but d'utiliser l'amiante à des fins d'isolation thermique. Ne sauraient par suite ouvrir droit à l'allocation prévue par ce texte les utilisations de l'amiante à des fins autres que l'isolation thermique, alors même que, par l'effet de ses propriétés intrinsèques, l'amiante ainsi utilisée assurerait également une isolation thermique.
4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport établi le 3 septembre 2018 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France, dans le cadre de l'instruction de la demande, que les pigments de dioxyde de titane produits à compter de 1967 par l'établissement industriel de la société Venator France étaient élaborés à partir de minerai titanifère enrichi, ou " slag ", nécessitant, pour l'extraction de ce dioxyde, l'utilisation massive de vapeur sous pression. Cette vapeur était produite par des chaudières à gaz, puis acheminée par un réseau de conduites vers les installations nécessaires à la production de dioxyde, tels des bacs, des réacteurs, des évaporateurs, des séchoirs et des broyeurs. Le procédé de fabrication, qualifié d'énergivore dans le rapport de la DIRECCTE, nécessitait l'isolation thermique de l'ensemble des équipements et matériels de production afin de faire face aux contraintes physico-chimiques de cette production et de limiter les coûts en énergie. Les mesures prises pour cette isolation thermique doivent être regardées comme des opérations de calorifugeage, ce qui n'est pas contesté par les parties. Si la société Venator soutient que ces opérations mettaient en œuvre, pour l'essentiel, des protections en laine de roche, il ressort encore des pièces du dossier, notamment du rapport précité, que des matériaux à base d'amiante étaient utilisés dans des proportions importantes à des fins de calorifugeage thermique, ainsi que des produits amiantés sous forme de tresses, de plaques et de joints permettant l'étanchéité des portes et parois des équipements et la protection de certains matériels de la chaleur ambiante. A défaut d'une autre utilisation de l'amiante dans l'établissement, il s'ensuit que seules les opérations de calorifugeage à l'amiante doivent être prises en compte pour déterminer, eu égard à la proportion de salariés qui y étaient affectés et à la fréquence de leurs interventions, le caractère significatif que représentaient ces opérations dans l'activité de l'établissement.
5. D'une part, les requérants soutiennent que l'isolation était assurée par des calorifuges en amiante mis en place, entretenus et remplacés après une usure rapide par une partie significative des salariés de l'entreprise, au moins jusqu'en 1997. Toutefois, si le rapport de la société Wanner du 17 octobre 1995, les rapports de l'APAVE du 19 novembre 2001, le courrier de la société Schonberg du 30 novembre 2001, le rapport rédigé le 1er mars 2002 par la société Enersol, le constat de la société Flandres du 2 décembre 2005 et le plan de retrait établi le 6 avril 2007 par la société Assistance Industrie Services attestent de la présence d'amiante dans les équipements de l'établissement, notamment dans les chaudières et le bac à soufre, ces documents ne comportent aucune mention sur la participation de salariés à des opérations de calorifugeage à l'amiante. MM. C... et D... produisent une trentaine d'attestations, établies en 2016 et en 2017, dans lesquelles des salariés et d'anciens salariés de l'usine décrivent les travaux qui leur étaient confiés, les mettant au contact de matériaux amiantés. Si certains de ces témoignages se rapportent à des opérations de calorifugeage, ils sont insuffisamment précis sur la fréquence de ces interventions et le nombre de personnes mobilisées par chacune d'entre elles. La société Venator France conteste que plusieurs de ces salariés aient pu participer de façon quotidienne à des opérations de calorifugeage alors que, d'après les fiches de poste produites à l'instance, leurs fonctions de chimistes, d'aide-chimistes, de magasiniers, de mécaniciens, d'électriciens ou d'électromécaniciens ne leur donnaient pas vocation à participer à des opérations de maintenance sur l'isolation des matériels. Si les requérants soutiennent que le recours à des prestataires extérieurs chargés d'intervenir sur le calorifugeage des matériels n'a débuté qu'en 1995, dans le cadre du désamiantage du site, la société Venator France fait état, en appel, de plusieurs bons de commande et de factures indiquant que des opérations de calorifugeage ont été confiées à des entreprises spécialisées au cours des années 1973, 1974, 1975, 1976, 1987, 1988 et 1992. Il ressort en outre des pièces du dossier, notamment du rapport précité de la DIRECCTE, que les travaux visant à retirer l'amiante des équipements de l'établissement, à partir de la fin des années 1990, ont été effectués par des entreprises sous-traitantes spécialisées et non par des salariés de l'usine. Dans ces conditions, il n'est pas établi que les opérations de calorifugeage réalisées par les salariés de l'établissement ont représenté une part significative des tâches qui leur étaient confiées.
6. D'autre part, les requérants soutiennent que les salariés de l'établissement manipulaient des matériaux amiantés dans une proportion de 25,6 % des effectifs et se réfèrent sur ce point à un tableau montrant que, sur quatre cent vingt-six salariés, cent neuf d'entre eux, exerçant les fonctions de chimistes, d'aide-chimistes, de magasiniers, de chaudronniers plombiers, de maçons, de mécaniciens, d'électriciens, de préparateurs, de calorifugeurs, d'instrumentistes, de personnels encadrants et de techniciens de fabrication étaient quotidiennement exposés à l'amiante. Toutefois, ils ne précisent pas à quoi correspond l'effectif de quatre cent vingt-six salariés alors que, d'après le rapport de la DIRECCTE, le nombre de personnes employées par l'établissement a évolué de cinquante salariés en 1967 à trois cents en 1973, puis à six cent cinquante en 1990 avant de redescendre à deux cent soixante-dix dans les années 2010 puis à cent treize à la suite d'un plan de sauvegarde de l'emploi en 2015. En outre, d'après le tableau des requérants, les effectifs indiqués pour chacun des postes précités donnent un total de deux cent soixante-dix-sept salariés conduits à manipuler quotidiennement des calorifuges en amiante, soit un nombre de personnels bien plus important que celui qu'ils revendiquent. L'évaluation proposée inclut le personnel encadrant, pour vingt-deux postes, dont les titulaires n'effectuent pas d'activités de calorifugeage. MM. C... et D... ne donnent en appel aucun élément de nature à justifier leurs estimations, alors que les incohérences affectant leur tableau ont été relevées par les premiers juges. En revanche, la société Venator se prévaut d'évaluations tirées du registre du personnel, dont il ressort que les salariés affectés dans les postes retenus par les requérants comme particulièrement exposés à l'amiante, à l'exclusion des postes d'encadrement, ont représenté 8,62 % des effectifs au cours de la période de 1966 à 2002, et que les personnels affectés dans ces mêmes postes, à l'exclusion des postes d'encadrement, de chimistes, d'aides-chimistes et de magasiniers, ont représenté 5,36 % des effectifs au cours de la même période. En ne retenant que les salariés employés comme plombiers, tuyauteurs, chaudronniers ou maçons, seuls affectés à des tâches de maintenance des calorifuges selon la société, l'estimation se limiterait à 1,81 % des effectifs de 1966 à 2002. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas de la demande d'inscription de l'établissement sur la liste prévue à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 que cette inscription aurait été demandée pour la période d'activité de 1967 à 1996, avant les premiers travaux de désamiantage, de telle sorte que les estimations de la société Venator France, prenant en compte la situation des effectifs jusqu'en 2002, seraient
sous-évaluées. Le rapport de la DIRECCTE indique au contraire que l'inscription a été sollicitée au titre de la période de 1967 à 2002, pendant laquelle les matériaux en amiante ont été utilisés au sein de l'établissement. Si les requérants font encore état de la faute inexcusable retenue à l'encontre de l'employeur pour avoir exposé des salariés à l'amiante, la société Venator précise, sans être contredite sur ce point, que sept salariés ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale pour faire valoir une telle faute et que huit autres ont obtenu la reconnaissance de leur maladie comme professionnelle, sur deux mille huit cent quarante-sept salariés employés par l'établissement depuis sa création en 1966. Dès lors, il n'est pas démontré que les salariés affectés à des opérations de calorifugeage ont représenté une proportion significative du personnel de l'établissement.
7. Il résulte de ce qui précède que les opérations de calorifugeage à l'amiante réalisées par les salariés de l'établissement industriel situé 1 rue des Garennes à Calais ne peuvent, compte tenu de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, être regardées comme ayant représenté une part significative de l'activité de l'établissement. Il résulte encore de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que MM. C... et D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes. Par suite, leurs conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont MM. C... et D... demandent le versement au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MM. C... et D... une somme de 2 000 euros, à verser à la société Venator France sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de MM. C... et D... est rejetée.
Article 2 : MM. C... et D... verseront une somme de 2 000 euros à la société Venator France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à M. A... D..., à la société Venator France et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience publique du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
N. Roméro
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N° 23DA00177