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01/12/2023 | FRANCE | N°23NT00041

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 01 décembre 2023, 23NT00041


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... E..., Mme C... D... épouse E... et Mme A... E... ont chacun demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 29 août 2022 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.



Par un jugement nos 2204680, 2204681, 2204682 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes

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Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E..., Mme C... D... épouse E... et Mme A... E... ont chacun demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 29 août 2022 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays de renvoi en cas d'éloignement d'office.

Par un jugement nos 2204680, 2204681, 2204682 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 janvier 2023 et 6 novembre 2023, M. B... E..., Mme C... D... épouse E... et Mme A... E..., représentés par Me Baudet, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 novembre 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 29 août 2022 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer leurs situations respectives dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de les munir dans l'attente de ce réexamen d'autorisations provisoires de séjour dans un délai de quarante-huit heures à compter de cette même date ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

Sur la régularité du jugement attaqué : ce jugement méconnaît le principe du contradictoire, en ce que le premier juge s'est fondé sur un moyen invoqué d'office qui n'était pas d'ordre public sur lequel les requérants n'ont pas été mis en mesure de présenter leurs observations ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français :

- elles sont insuffisamment motivées ;

- elles n'ont pas été précédées d'un examen particulier de leur situation ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences sur leur situation personnelle ;

En ce qui concerne le délai de départ volontaire de trente jours qui leur a été accordé :

- le préfet a entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :

- elles sont entachées d'erreurs de fait ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Lellouch a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... épouse E..., de nationalité arménienne, déclare être entrée en France le 2 juillet 2018 avec l'une de ses filles, A... E..., alors âgée de seize ans. Son époux, M. E..., déclare les avoir rejoints sur le territoire français le 28 octobre 2019. Leurs demandes d'asile respectives ont été définitivement rejetées par la Cour nationale du droit d'asile, le 12 avril 2021 s'agissant des demandes de Mme D... épouse E... et de Mme A... E... et le 22 juin 2022, s'agissant de celle de M. E.... Par trois arrêtés du 29 août 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé les pays de renvoi en cas d'éloignement d'office. Ils relèvent, tous les trois, appel du jugement du 2 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, le premier juge a répondu à l'ensemble des moyens invoqués devant lui, notamment ceux tirés de l'erreur de fait et du défaut d'examen particulier de la situation des intéressés. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit dès lors être écarté.

3. D'autre part, il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions. Saisi de moyens présentés au soutien des conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi, tirés de l'erreur de fait quant à la nationalité de M. E... et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le premier juge s'est borné à répondre à ces moyens et n'a pas relevé d'office des moyens qui n'étaient pas d'ordre public sans en avoir informé les parties, même s'il a fondé son raisonnement sur ce que M. E... devait être considéré comme ayant conservé la nationalité arménienne, alors que le défendeur ne contestait pas qu'il était exclusivement de nationalité russe, ainsi que le soutenait l'intéressé. Il s'ensuit qu'en retenant cette argumentation, qui n'avait pas été discutée par les parties, pour écarter les moyens invoqués devant lui, le premier juge n'a pas méconnu le principe du contradictoire.

4. Dès lors, les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué doivent être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français :

5. Les mesures d'obligation de quitter le territoire français litigieuses mentionnent qu'elles sont prises au visa du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et précisent que les intéressés ayant vu chacun leurs demandes d'asile rejetées par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile, ils ne bénéficient plus du droit de se maintenir en France et rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors du territoire national. Ainsi, les mesures d'éloignement en litige, qui n'ont pas à reprendre de manière exhaustive l'ensemble des éléments relatifs à la situation familiale des requérants, comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

6. Il ressort des motifs des décisions litigieuses, en dépit de l'erreur de fait selon laquelle Mme A... E... serait la seule fille du couple présente en France alors que leur fille majeure, mariée et mère de deux enfants y réside également, que le préfet a procédé à un examen particulier de leur situation. Quant à la circonstance selon laquelle les requérants ne pourraient pas être éloignés dans le même pays, elle est sans incidence sur la légalité des obligations de quitter le territoire français litigieuses, qui ont pour seul objet d'éloigner les intéressés du territoire français.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... épouse E... et Mme A... E..., d'une part, et M. E..., d'autre part, résidaient en France en qualité de demandeurs d'asile depuis respectivement quatre ans et demi et trois ans à la date des arrêtés litigieux et que leurs demandes ayant été définitivement rejetées à cette date, ils ne justifiaient d'aucun droit à se maintenir sur le territoire français. Si les requérants font valoir que la fille cadette du couple, prénommée Rita, née en 1994, réside en France avec son mari de nationalité russe et leurs deux enfants, et qu'elle n'a pas fait l'objet d'une mesure d'éloignement, ils ne justifient pas qu'elle serait en situation régulière sur le territoire national. En toute hypothèse, dès lors qu'elle est âgée de près de trente ans et qu'elle a créé sa propre cellule familiale, ses parents et sa jeune sœur n'ont pas nécessairement vocation à vivre auprès d'elle. Au demeurant, il est constant que la fille aînée des époux E..., née en 1993, réside en Russie. Dans ces conditions, et alors que les requérants ne font pas état d'une particulière insertion dans la société française, les obligations de quitter le territoire français litigieuses, qui n'ont pas pour effet de séparer les époux et leur plus jeune fille A..., n'ont pas porté une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Les arguments avancés sur le pays à destination duquel ils seraient susceptibles d'être renvoyés sont sans incidence sur la légalité des obligations de quitter le territoire français. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Il en va de même du moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ces mesures d'éloignement sur la situation personnelle des intéressés.

En ce qui concerne le délai de départ volontaire :

9. Aux termes de l'article L. 612-1 du même code : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. ".

10. La circonstance selon laquelle les requérants n'ont pas de passeport et que les titres de séjour dont étaient titulaires Mme C... D... épouse E... et sa fille A... en Biélorussie sont périmés ne sont pas de nature à établir qu'en ne leur accordant pas à titre exceptionnel un délai de départ volontaire supérieur à trente jours, le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :

11. Il est constant que Mme D... épouse E... est de nationalité arménienne ; M. E... est quant à lui de nationalité russe et affirme ne pas posséder la nationalité arménienne. Il ressort des pièces du dossier, et des déclarations des requérants, que ces derniers ont vécu en Biélorussie au moins depuis la naissance de leur fille A... en 2002 et qu'ils y séjournaient régulièrement avant de quitter ce pays pour la France. Mme D... épouse E... était titulaire, à l'instar de sa fille, d'une carte de résident biélorusse valable entre juillet 2016 et juillet 2021. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les requérants ne pourraient pas être légalement admis en Russie ou en F..., dont il est constant qu'au moins l'un des membres du couple E... est ressortissant, ou encore en Biélorussie, pays dans lequel ils ont vécu en situation régulière de nombreuses années et dans lequel ils ont acquis un bien immobilier avant d'entrer en France. Dans ce contexte, en fixant comme pays de renvoi des mesures d'éloignement d'office des époux E... F..., la Russie ou tout autre pays dans lequel ils seraient légalement admissibles, et s'agissant de leur fille A... E..., le pays dont elle a la nationalité, F... ou tout autre pays dans lequel elle serait légalement admissible, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni commis d'erreurs de fait.

12. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Les conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... E..., Mme C... D... épouse E... et Mme A... E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., Mme C... D... épouse E... et Mme A... E... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

La rapporteure,

J. LELLOUCH

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00041


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00041
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BAUDET

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;23nt00041 ?
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