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01/12/2023 | FRANCE | N°21DA01143

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 01 décembre 2023, 21DA01143


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La métropole européenne de Lille (MEL) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à titre subsidiaire sur le fondement de la garantie décennale, la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Agence Laverne, la société par actions simplifiée (SAS) Osmose, la SAS Urbatec Ingénierie, la SAS Colas Nord Est et la SAS Jarbeau, à lui verser la somme de 1 615 744,16 euros

ou, à défaut, de condamner, sur les mêmes fondements, la société Agence Laverne à lui verse...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La métropole européenne de Lille (MEL) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à titre subsidiaire sur le fondement de la garantie décennale, la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Agence Laverne, la société par actions simplifiée (SAS) Osmose, la SAS Urbatec Ingénierie, la SAS Colas Nord Est et la SAS Jarbeau, à lui verser la somme de 1 615 744,16 euros ou, à défaut, de condamner, sur les mêmes fondements, la société Agence Laverne à lui verser la somme de 242 361,62 euros, la société Osmose à lui verser la somme de 403 936,04 euros, la société Urbatec Ingénierie à lui verser la somme de 161 574,41 euros et solidairement la SAS Colas Nord Est et la société Jarbeau, à lui verser la somme de 807 872 euros et, à titre infiniment subsidiaire, de condamner solidairement, au titre des manquements à leur devoir de conseil, la société Agence Laverne, la société Osmose et la société Urbatec Ingénierie à lui verser la somme de 1 615 744,16 euros ou, à défaut, de condamner chacune de ces sociétés à lui verser les sommes correspondant à leur part de responsabilité, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1811827 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Lille a condamné solidairement les sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie, Osmose, Colas et Jarbeau, à verser à la MEL la somme de 1 447 443,03 euros, a mis les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 54 228,11 euros toutes taxes comprises à la charge définitive et solidaire des sociétés Colas Nord Est, Urbatec Ingénierie, Agence Laverne, Osmose et Jarbeau, a condamné les sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie, Colas Nord Est et Jarbeau, à relever et garantir la société Osmose à hauteur, respectivement, de 5%, 10%, 30% et 30% des condamnations, les sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie, Osmose et Jarbeau, à relever et garantir la société Colas Nord Est à hauteur, respectivement, de 5%, 10%, 25% et 30% des condamnations, les sociétés Urbatec Ingénierie, Osmose, Colas Nord Est et Jarbeau, à relever et garantir la société Agence Laverne à hauteur, respectivement, de 10%, 25%, 30% et 30% des condamnations, les sociétés Agence Laverne, Osmose et Colas Nord Est à relever et garantir la société Urbatec Ingénierie à hauteur, respectivement, de 5%, 25% et 30% des condamnations et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés, respectivement, le 23 mai 2021 et les 25 mai 2021 et 31 mars 2023, la société Colas France, venant aux droits de la société Colas Nord-Est, représentée par la SELARL GMR Avocats, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du 16 mars 2021 ;

2°) à titre subsidiaire :

- de réformer ce jugement en ramenant le préjudice indemnisable de la MEL à la somme de 952 272 euros TTC ou, à défaut, à la somme de 1 196 130, 20 euros HT ;

- d'ordonner un complément d'expertise concernant l'évaluation du préjudice ;

- de condamner, à hauteur de 70 %, solidairement, les sociétés Osmose, Urbatec et Agence Laverne, et, à hauteur de 30 %, la MEL, ou, en totalité, la société Jarbeau, à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de réformer ce jugement en ramenant sa part de responsabilité à la hauteur de 25 % ;

4°) de mettre, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement de la somme de 15 000 euros à la charge, à titre principal, de la MEL et, à titre subsidiaire, in solidum, des sociétés Osmose, Urbatec et Agence Laverne et de la MEL.

Elle soutient que :

- sa requête a été introduite dans le délai d'appel ;

- le jugement est entaché d'irrégularité en raison de l'absence de réponse aux moyens tirés, d'une part, de ce que, faute d'avoir respecté la procédure imposée par le CCAG, le préjudice matériel correspondant au coût des interventions en régie de la MEL et par des entreprises extérieures aux marchés en cause ne peut lui être opposé et, d'autre part, de ce que, la commune de Tourcoing ne souhaitant pas remettre en place des pavés mais un enrobé classique, le quantum des sommes réclamées est injustifié dès lors que doivent être pris en compte, d'une part, l'économie réalisée par la commune de l'entretien qu'elle aurait eu à assumer si le choix architectural initial avait été conservé, d'autre part, du prix de revente des pavés ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut plus être recherchée dès lors que la réception des travaux du lot n° 1 est intervenue le 8 juillet 2014, assortie de réserves en lien avec les désordres en litige, qui ont été tacitement levées par le maître d'ouvrage et que l'action fondée sur cette responsabilité contractuelle est prescrite ;

- les demandes fondées sur la garantie décennale doivent être rejetées, dès lors que les désordres en litige étaient connus, dans toute leur ampleur, lors de la réception des travaux et la levée des réserves et qu'en tout état de cause, ils ne sont pas de nature décennale ;

- le coût de la pose d'avaloirs supplémentaires et l'intervention d'un maître d'œuvre sont des prestations qui ne sauraient lui être imputées ;

- le préjudice subi par la MEL ne peut dépasser la somme de 1 196 130,20 euros HT, soit le prix du marché de travaux de reprise des désordres ;

- le lien de causalité entre les désordres invoqués et le préjudice relatif à la pose de panneaux de signalisation, le préjudice de jouissance, et le préjudice causé aux riverains n'est pas établi ;

- elle ne peut être condamnée à indemniser la MEL au titre des fautes commises par son co-traitant, la société Jarbeau, en dépit de l'éventuelle insolvabilité de cette dernière ;

- la société Jarbeau étant entièrement chargée des travaux à l'origine des désordres, celle-ci doit être condamnée à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

- sa part de responsabilité ne saurait excéder l'évaluation faite par le rapport d'expertise, soit 25 %.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 30 juillet 2021, 5 septembre 2022 et 31 mars 2023, la société Osmose, représentée par Me Gilles Grardel, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement ;

2°) à titre subsidiaire :

- à ce qu'il soit ordonné, avant dire droit, à la MEL de produire les factures correspondant aux travaux de reprise qu'elle a entrepris ;

- par la voie de l'appel incident sur appel provoqué, de ramener le préjudice indemnisable de la MEL à la somme de 952 272 euros TTC ;

- par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner solidairement les sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie et Colas France et la société Jarbeau, à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de rejeter les appels en garantie présentées à son encontre par les sociétés Colas Nord Est, Agence Laverne et Urbatech Ingénierie et les conclusions d'appel incident sur appel provoqué présentées par la MEL ;

4°) de mettre à la charge de la MEL le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité contractuelle ne peut plus être recherchée dès lors que la réception des travaux du lot n° 1 est intervenue le 8 juillet 2014, assortie de réserves en lien avec les désordres en litige, qui ont été tacitement levées par le maître d'ouvrage ;

- les demandes fondées sur la garantie décennale sont irrecevables, dès lors que les désordres en litige étaient connus, dans toute leur ampleur, lors de la réception des travaux et la levée des réserves et qu'en tout état de cause, ils ne sont pas de nature décennale ;

- le maître d'ouvrage n'a pas respecté les prescriptions d'entretien décrites dans la notice d'entretien qui lui a été transmise le 6 janvier 2015 ;

- au sein du groupement de maîtrise d'œuvre, sa part de responsabilité ne peut excéder 10% dès lors que les principales responsabilités pèsent sur les sociétés Urbatec et Laverne, rédactrices du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), lequel n'a prévu aucune classe minimum de pavé et que sa responsabilité ne peut être retenue qu'en ce qui concerne l'épaisseur trop importante du lit de pose, qui n'a eu qu'un rôle secondaire dans la survenance des désordres ;

- le quantum des travaux de reprise s'élève à la somme de 793 560 euros HT, soit 952 272 euros TTC, qui correspond aux travaux qu'envisage d'entreprendre la commune de Tourcoing de sorte qu'indemniser la MEL à hauteur du coût des travaux de reprise à l'identique, alors que ces travaux ne seront pas effectués en réparation des désordres, ferait bénéficier la MEL d'un enrichissement sans cause ;

- l'expert n'a pas tenu compte de la possible réutilisation des pavés, de telle sorte que le préjudice subi par la MEL doit être diminué de la somme issue de la possible revente des pavés non réutilisés ;

- l'évaluation de l'expert, en ce qui concerne les frais de maîtrise d'œuvre, est excessive ;

- les troubles de jouissance, le préjudice d'image et les préjudices relatifs à la pose de panneaux de signalisation et au coût des interventions réalisées par les propres services de la MEL ne sont pas établis.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 15 avril 2022, 14 février et 9 mai 2023 et des pièces complémentaires reçues les 11 et 28 septembre 2023, la métropole européenne de Lille, représentée par Me Eric Sagalovitsch, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Colas et les conclusions des autres parties dirigées contre elle ;

2°) par la voie de l'appel incident et provoqué :

- de réformer le jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 1 447 443,03 euros ;

- de condamner solidairement, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à titre subsidiaire sur le fondement de la garantie décennale, la société Agence Laverne, la société Osmose, la société Urbatec Ingénierie, la société Colas Nord Est et la société Jarbeau, à lui verser la somme de 1 595 922,245 euros ou, à défaut, de condamner, sur les mêmes fondements, la société Agence Laverne à lui verser la somme de 239 388,30 euros, la société Osmose à lui verser la somme de 398 980,56 euros, la société Urbatec Ingénierie à lui verser la somme de 159 592,22 euros et solidairement la SAS Colas Nord Est et la société Jarbeau, à lui verser la somme de 797 961,12 euros, ces sommes étant assorties des intérêts à compter du 24 décembre 2018 et de leur capitalisation ;

- à titre infiniment subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Agence Laverne, Osmose, Urbatec Ingénierie sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, pour manquement à leur devoir de conseil, à lui verser la somme globale de 1 595 922,25 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018, ou, subsidiairement, condamner chaque société à lui verser les sommes correspondant à leur part de responsabilité dans le manquement au devoir de conseil ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la société Agence Laverne, de la société Osmose, de la société Urbatec Ingénierie, de la société Colas Nord Est et de la société Jarbeau, le versement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de la société Colas France est irrecevable faute d'avoir été introduite dans le délai d'appel ;

- elle est fondée à rechercher la responsabilité contractuelle des constructeurs dès lors que les désordres ont fait l'objet, lors de la réception des travaux, de réserves qui n'ont pas été levées, dans la mesure où, dans deux courriers du 10 juin 2015, elle s'est opposée à leur levée, seules des interventions urgentes de mise en sécurité des ouvrages ont été réalisées, à sa demande, à compter du mois de juillet 2015, par les sociétés STPI, GDTP et VRL, la société Colas Nord Est et le maître d'œuvre ont été mis en demeure d'intervenir par deux courriers du 10 juin 2015 et enfin elle n'a pas procédé au règlement du solde des marchés des constructeurs ;

- si le tribunal venait à considérer que les travaux en cause ont fait l'objet d'une réception tacite le 19 juin 2015, elle serait en tout état de cause fondée à invoquer, à titre subsidiaire, la garantie décennale des constructeurs dès lors que les désordres en cause n'étaient pas connus, à cette date, dans toute leur ampleur et qu'ils portent atteinte à la solidité des ouvrages et les rendent impropres à leur destination ;

- elle est fondée à rechercher, à titre infiniment subsidiaire, la responsabilité des membres du groupement de maîtrise d'œuvre à raison de manquements à leur devoir de conseil commises lors des opérations de réception, ces derniers ayant, dans le formulaire EXE8 du 19 juin 2015, proposé la levée complète des réserves ;

- les désordres ne sont pas imputables à un défaut d'entretien de la voirie de sa part ;

- le préjudice relatif aux travaux de reprise doit être indemnisé à hauteur de ce qui est nécessaire à la remise en état de l'ouvrage tel qu'il avait été commandé, indépendamment des travaux effectivement envisagés par le maître d'ouvrage et le montant des frais de maîtrise d'œuvre n'est pas excessif ;

- les pavés, en raison de leurs dimensions irrégulières, ne sont pas réutilisables et peuvent difficilement être revendus ;

- il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement pour vétusté de l'ouvrage du fait de la date d'apparition des désordres ;

- les interventions réalisées en régie pour sécuriser la voirie et pour adapter la signalisation suite à l'interdiction de circulation dans certaines rues, en conséquence des désordres, le préjudice d'image de la MEL et les indemnités qu'elle a dû versées aux riverains victimes d'accidents en raison du mauvais état de la voirie doivent donner lieu à indemnisation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2022, la société Agence Laverne, représentée par Me Carmen Del Rio, demande à la cour de :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement, par la voie de l'appel incident sur appel provoqué, et de rejeter les conclusions des autres parties à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident sur appel provoqué, que les sommes réclamées soient ramenées à de plus justes montants et, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner solidairement les sociétés Osmose, Urbatec Ingénierie, Colas France et Jarbeau à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) que soit mise à la charge de la MEL ou de toute partie perdante le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité contractuelle ne peut plus être recherchée dès lors que la réception des travaux du lot n° 1 est intervenue le 8 juillet 2014, assortie de réserves en lien avec les désordres en litige, qui ont été tacitement levées par le maître d'ouvrage ;

- sa responsabilité au titre de la garantie décennale ne peut pas être recherchée dès lors les désordres en litige étaient connus, dans toute leur ampleur, lors de la réception des travaux et la levée des réserves et qu'en tout état de cause, ils ne sont pas de nature décennale ;

- les désordres en litige ne lui sont pas imputables car elle n'a été chargée que de la conception esthétique du projet ;

- la faute de la MEL dans l'entretien de l'ouvrage est de nature à exonérer les constructeurs de toute responsabilité ;

- elle est fondée à appeler en garantie les sociétés Osmose, Urbatec, Colas Nord Est et Jarbeau, prise en la personne de son mandataire liquidateur ;

- le quantum des travaux de reprise s'élève à la somme de 793 560 euros HT, soit 952 272 euros TTC, qui correspond aux travaux qu'envisage d'entreprendre la commune de Tourcoing de sorte qu'indemniser la MEL à hauteur du coût des travaux de reprise à l'identique, alors que ces travaux ne seront pas effectués en réparation des désordres, constituerait un enrichissement sans cause ;

- l'indemnité réclamée par la MEL doit être diminuée de la somme issue de la possible revente des pavés non réutilisés ;

- les frais de maîtrise d'œuvre doivent être limités à une somme correspondant à 3% du coût des travaux de reprise ;

- il y a lieu de tenir compte de la vétusté de l'ouvrage pour déterminer le montant de l'indemnité au bénéfice de la MEL ;

- les troubles de jouissance, le préjudice d'image et les préjudices relatifs à la pose de panneaux de signalisation et au coût des interventions réalisées par les propres services de la MEL ne sont pas établis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2022, la SAS Urbatec Ingénierie, représentée par la SELARL Simoneau Vynckier Henneuse Vercaigne Vandenbussche Vitse-Bœuf Meurin Surmont, demande à la cour de :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement, par la voie de l'appel incident sur appel provoqué, et de rejeter les conclusions des autres parties à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident sur appel provoqué, que les sommes réclamées soient ramenées à de plus justes montants et, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner solidairement les sociétés Agence Laverne, Osmose et Colas Nord Est à la relever et garantir de toute condamnation présentée à son encontre ;

3°) que soit mise à la charge de la MEL la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité contractuelle ne peut plus être recherchée dès lors que la réception des travaux du lot n° 1 est intervenue le 8 juillet 2014, assortie de réserves en lien avec les désordres en litige, qui ont été tacitement levées par le maître d'ouvrage ;

- sa responsabilité au titre de la garantie décennale ne peut pas être recherchée dès lors les désordres en litige étaient connus, dans toute leur ampleur, lors de la réception des travaux et la levée des réserves ;

- elle n'a commis aucun manquement à son devoir de conseil en tant que maître d'œuvre ;

- la faute de la MEL dans l'entretien de l'ouvrage est de nature à exonérer les constructeurs de toute responsabilité ;

- elle est fondée à appeler en garantie les sociétés Osmose, Urbatec et Colas Nord Est ;

- le quantum des travaux de reprise s'élève à la somme de 793 560 euros HT, soit 952 272 euros TTC, qui correspond aux travaux qu'envisage d'entreprendre la commune de Tourcoing de sorte qu'indemniser la MEL à hauteur du coût des travaux de reprise à l'identique, alors que ces travaux ne seront pas effectués en réparation des désordres ;

- l'indemnité réclamée par la MEL doit être diminuée de la somme issue de la possible revente des pavés non réutilisés ;

- les frais de maîtrise d'œuvre doivent être limités à une somme correspondant à 3% du coût des travaux de reprise ;

- il y a lieu de tenir compte de la vétusté de l'ouvrage pour déterminer le montant de l'indemnité au bénéfice de la MEL ;

- faute d'avoir respecté la procédure imposée par le CCAG, le préjudice matériel correspondant au coût des interventions en régie de la MEL et par des entreprises extérieures aux marchés en cause ne peut lui être opposé ;

- le préjudice d'image et les préjudices relatifs aux indemnités versées à des riverains victimes d'accidents en raison des désordres sur la voirie, à la pose de panneaux de signalisation et au coût des interventions réalisées par les propres services de la MEL ne sont pas établis.

- la définition technique du projet, telle que développée dans le CCTP qu'elle a rédigé, n'a pas concouru à la survenance des désordres en litige et ces derniers résultent de défauts dans l'exécution des travaux, phase durant laquelle elle n'est pas intervenue.

Par ordonnance du 16 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales relatif aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Sorin, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique ;

- les observations de Me Mégane Schvartz, représentant la commune de Lille, de Me Olivia Gréau substituant Me Carmen Del Rio, représentant la SARL Agence Laverne et de Me Stanislas Leroux représentant la SAS Osmose.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du projet de rénovation urbaine de la ville de Tourcoing, la Communauté urbaine de Lille (LMCU), devenue la Métropole européenne de Lille (MEL) à compter du 1er janvier 2016, a entrepris en 2008 la restructuration des espaces publics des rues de la Latte, Saint Roch et du Calvaire, situées aux abords du parc Clémenceau. La maîtrise d'œuvre du projet a été attribuée, par un acte d'engagement conclu le 10 septembre 2009, à un groupement conjoint d'entreprises constitué de la société Agence Laverne, mandataire du groupement, de la société Osmose et de la société Urbatec Ingénierie. Les travaux du lot n° 1 " voirie et réseaux divers " ont été confiés, par un acte d'engagement notifié le 27 août 2012, au groupement solidaire d'entreprises composé de la société Colas Nord Picardie, aux droits de laquelle est par la suite venue la société Colas Nord Est puis la société Colas France, et de la société Jarbeau, pour une durée de vingt mois. Une réception globale de l'ensemble des travaux a été prononcée, avec réserves, à effet au 8 juillet 2014, à l'exception de l'aménagement de l'ancienne zone fontaine, achevée le 12 juin 2015.

2. Le 3 janvier 2017, la MEL a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'une requête tendant à la désignation d'un expert chargé, notamment, de constater les désordres constitués par de nombreux déchaussements de pavés et des déformations de la voirie, d'en rechercher les causes, d'indiquer la nature et le coût des travaux propres à y remédier, et de fournir tous éléments de nature à permettre la détermination des responsabilités éventuellement encourues. Par une ordonnance n° 1700040 du 16 mars 2017, le président du tribunal a désigné M. C... en qualité d'expert et celui-ci a déposé son rapport le 3 juillet 2018. La société Colas France fait appel du jugement n° 1811827 du 16 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamnée solidairement avec les sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie, Osmose et Jarbeau, à verser à la MEL la somme de 1 447 443,03 euros, a mis les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 54 228,11 euros toutes taxes comprises à sa charge définitive et solidaire avec les sociétés Urbatec Ingénierie, Agence Laverne, Osmose et Jarbeau, et l'a condamnée à garantir les sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie et Osmose des condamnations mises à leur charge à hauteur de 30 %.

3. La MEL demande le rejet de la requête de la société Colas France à titre principal et, par la voie de l'appel incident et provoqué, à ce que l'indemnité à laquelle les constructeurs ont été solidairement condamnés par le tribunal soit portée en appel à la somme de 1 595 922,245 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018. Les sociétés Osmose, Agence Laverne et Urbatec Ingénierie demandent, par la voie de l'appel incident sur appel provoqué, l'annulation du jugement et le rejet de la demande d'indemnisation de la MEL. En outre, par la voie de l'appel incident et provoqué, les sociétés Osmose et Agence Laverne demandent la condamnation solidaire des autres constructeurs à les garantir de toute condamnation. Enfin, par la voie de l'appel incident et provoqué, la société Urbatec Ingénierie demande la condamnation solidaire des seules sociétés Agence Laverne, Osmose et Colas France à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête :

4. Il résulte de l'instruction que par un traité d'apport partiel d'actifs signé le 3 novembre 2020, et approuvé par les associés des sociétés Colas Nord-Est et Colas France le 23 décembre 2020, le patrimoine de la société Colas Nord-Est a été transmis à la société Colas France, sous le régime des scissions, à compter du 31 décembre 2020, emportant à cette même date le transfert de l'ensemble de ses droits et obligations. Dès lors, la société Colas France avait seule qualité pour faire appel du jugement n° 1811827 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Lille, notifié à la société Colas Nord-Est par un courrier daté du 23 mars 2021. Compte tenu de la circonstance que le lundi 24 mai 2021 était un jour férié, la requête régularisée de la société Colas France, introduite le 25 mai 2021, n'était pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête, opposée par la MEL, ne peut qu'être écartée.

Sur la régularité du jugement :

5. Il ressort des termes du jugement attaqué, et notamment de son point 22, que le tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que, faute d'avoir, conformément aux stipulations contractuelles, mis en demeure les entreprises titulaires du marché en litige ou de les avoir mis à même de suivre l'exécution des travaux, le maître de l'ouvrage n'était pas fondé à être indemnisé du coût afférent aux interventions de réparation provisoires réalisées par ses propres services ou par des entreprises tierces au marché en litige. En outre, les premiers juges ont, par les énonciations contenues dans le point 19 du jugement, jugé que l'indemnité due au maître de l'ouvrage au titre de la remise en état de ce dernier devait être évaluée par référence à la première solution de reprise définie par l'expert consistant en un pavage de la voirie avec joints en mortier. Ce faisant, le tribunal a implicitement mais nécessairement écarté le moyen, qu'il avait visé, tiré de ce que l'indemnité due au titre des travaux de remise en état devait être minorée de l'économie dans le coût d'entretien d'une voirie en enrobé plutôt qu'en pavage. Toutefois, le tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'indemnité due au titre des travaux de remise en état devait être également minorée de la plus-value représentative de la revente ou réutilisation possible des pavés posés par les entreprises titulaires du marché en litige, alors qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise de M. C... que ces pavés, aux dimensions irrégulières, ne pouvaient être réutilisés pour la remise en état de l'ouvrage. Par suite, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement qui encourt l'annulation en tant qu'il statue sur l'indemnité due à la MEL au titre des travaux de remise en état et des travaux de réparation provisoire de l'ouvrage.

6. Il y aura lieu, par suite, de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions de la MEL tendant à l'indemnisation des travaux de remise en état de l'ouvrage et des travaux de réparation provisoire des désordres en litige, et par la voie de l'effet dévolutif sur les autres conclusions des parties.

Sur la nature et l'origine des désordres :

7. Il résulte de l'instruction que les espaces publics pavés aux abords du parc Clémenceau sont dégradés en raison de l'existence de nombreux descellements ou de l'absence de pavés, de la présence d'ornières et du creusement ou de l'enherbement des joints en sable desdits pavés. Selon le rapport d'expertise du 25 juin 2018 de M. C..., non utilement contredit, ces désordres s'expliquent principalement par un choix inadapté de pavés aux dimensions irrégulières qui a eu pour conséquence la réalisation de joints de sable trop larges et d'un lit de pose trop épais pour permettre aux pavés de résister aux efforts horizontaux induits par la circulation routière, entraînant leur déchaussement et la détérioration continue de la voirie. Il résulte de ce même rapport que les désordres ont secondairement pour causes l'absence de drainage du lit de pose et le nombre insuffisant de grilles avaloirs par rapport à la surface de collecte des eaux pluviales, entraînant l'érosion du lit de pose, et enfin l'absence de blocage longitudinal des pavés en certains endroits et l'absence de blocages transversaux sur l'ensemble de l'ouvrage, l'ensemble de ces non-conformités accélérant l'instabilité des pavés.

Sur la responsabilité contractuelle des constructeurs :

8. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves.

En ce qui concerne la proposition de levée partielle des réserves du 12 juin 2015 :

9. Il résulte de l'instruction que les 11 tronçons du lot n° 1 ont donné lieu à autant de décisions de réceptions partielles par la MEL, retenant des dates d'achèvement des travaux s'échelonnant de juin 2013 à juin 2014 et comportant toutes, au titre des " épreuves concluantes à effectuer " les " vérification assainissement et vérification pavage ". Une réception dite " globale " a également été prononcée par le maître d'ouvrage à effet au 8 juillet 2014 et assortie de réserves tendant à la " vérification des pavés " et à la reprise des déchaussements et des déformations des chaussées et des trottoirs de l'ensemble des tronçons. Par un procès-verbal dressé le 12 juin 2015 par la société Osmose et accepté le même jour par la société Colas Nord-Est, le maître d'œuvre a proposé au maître d'ouvrage la levée partielle des réserves. Par un courrier daté du 3 septembre 2015, la MEL a adressé le formulaire " EXE9 " intitulé " Réception des travaux, propositions du maître d'œuvre et décision du maître de l'ouvrage relatives à la levée des réserves ", comportant la proposition signée de levée partielle des réserves du maître d'œuvre. Ce formulaire, signé par M. Francis Vercarmer, vice-président de la MEL, ne comportait aucune mention dans la partie relative à la décision du maître de l'ouvrage quant à la levée des réserves.

10. Dès lors que la MEL n'a fait état dans son courrier daté du 3 septembre 2015 d'aucun désaccord concernant la proposition du maître d'œuvre et qu'elle y faisait référence aux " décisions de réception signées ", la signature du formulaire " EXE9 " par M. B... doit être regardée comme caractérisant, conformément à la proposition du maître d'œuvre, une décision de levée des réserves, à l'exception de celles mentionnées expressément à l'annexe 1 à ce formulaire.

En ce qui concerne la proposition de levée des réserves du 19 juin 2015 :

11. Il résulte de l'instruction que, le 19 juin 2015, le maître d'œuvre a proposé la levée totale des réserves au maître d'ouvrage, lequel n'a pas fait connaître sa décision.

12. En premier lieu, aux termes de l'article 41.3 du cahier des clauses administratives générales, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 8 septembre 2009 : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. /

La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. /

Sauf le cas prévu à l'article 41. 1. 3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'œuvre ". Ces dispositions ne sont applicables qu'à la décision de réception du maître de l'ouvrage et non à la levée des réserves exprimées lors de la réception. Dès lors, le silence gardé par la MEL suite à la réception le 28 juillet 2015 de la proposition du maître d'œuvre de levée totale des réserves n'a pas fait naître une décision implicite de levée des réserves.

13. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les agissements de la MEL doivent être regardés comme caractérisant une levée totale des réserves. Tout d'abord, il n'est pas démontré que la MEL aurait notifié aux titulaires le décompte général, le virement mentionné par la société Colas France daté du 8 septembre 2016 correspondant au paiement d'un acompte mensuel intitulé " situation n° 17 ", payé sur la base du décompte transmis le 24 février 2016 par le maître d'œuvre et non au règlement du solde du marché, lequel a fait l'objet d'un projet de décompte général transmis par le maître d'œuvre au maître de l'ouvrage le 19 mai 2016. En outre, ni la prise de possession de l'ouvrage par la MEL, dès lors qu'elle est intervenue après sa réception, ni les interventions des services de la MEL et d'entreprises tierces en réparation des désordres, effectuées pour la plupart d'entre elles sans lien avec les réserves exprimées le 12 juin 2015 et au-delà du délai de garantie de parfait achèvement, ni la circonstance que la MEL n'aurait pas notifié les réserves à l'établissement financier avec lequel a été souscrit la garantie à première demande, ce à quoi elle n'était nullement tenue en application de l'article 103 du code des marchés publics dans sa rédaction applicable au marché en litige, ne sont de nature à révéler une levée implicite de la totalité des réserves exprimées.

14. Il résulte de ce qui précède que les rapports contractuels entre la MEL et les constructeurs ne se sont poursuivis qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves mentionnées dans la décision de la MEL du 3 septembre 2015. Tout d'abord, les travaux de reprise ayant fait l'objet de ces réserves consistant principalement à la reprise de déchaussements de pavés ou au rechargement en sable sur des zones très circonscrites de la voirie, seuls des travaux de même nature sont susceptibles de donner lieu à une indemnisation sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Or, il résulte de l'instruction qu'à l'exception des travaux de réparation visant les mêmes parties de l'ouvrage que les travaux réservés, dont l'indemnisation, examinée aux points 35 et 36 du présent arrêt, n'est possible que sur le fondement contractuel, l'indemnisation demandée par le maître de l'ouvrage est relative à des travaux de réparation provisoire et de remise en état ou des préjudices affectant d'autres parties de l'ouvrage que les travaux réservés ou l'ensemble de la voirie. Par suite, les sociétés Colas France, Agence Laverne, Osmose et Urbatec Ingénierie sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille les a condamnées solidairement avec la société Jarbeau à indemniser la MEL de ces préjudices sur le fondement de leur responsabilité contractuelle.

15. Il appartient cependant à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel ou en ce qui concerne les postes de préjudices mentionnés au point 6, par la voie de l'évocation, de statuer sur les autres fondements de responsabilité invoquées par la MEL devant le tribunal et par ailleurs réitérés devant la cour.

Sur la garantie décennale des constructeurs :

En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :

16. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres, apparus après la réception de l'ouvrage et dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité.

17. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise de M. C... que les désordres en litige consistent principalement en de nombreux descellements de pavés et déformations de la voirie, qui ont notamment conduit à l'interdiction de la circulation des véhicules dans les rues ayant fait l'objet des travaux par un arrêté du 21 février 2018 du maire de Tourcoing. Dans ces conditions, il est établi que les désordres en litige, qui s'accentuent avec le temps, compromettent la solidité de l'ouvrage et le rendent impropres à sa destination.

18. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, si plusieurs descellements de pavés ont fait l'objet de réserves à la réception par le maître de l'ouvrage, les vices dont procèdent ces déchaussements, à savoir le caractère irrégulier des pavés et l'insuffisance des dispositifs d'infiltration et de blocage, ainsi que l'aggravation prévisible de ces désordres, n'ont été connus par le maître de l'ouvrage, dans toute leur ampleur et leur origine, qu'à l'issue de l'expertise de M. C.... Dans ces conditions, la manifestation des malfaçons et la gravité de leurs causes et de leurs conséquences n'ont pu être appréciées dans toute leur ampleur par le maître de l'ouvrage que postérieurement à la réception.

19. Il résulte de ce qui précède que les désordres en litige présentent un caractère décennal.

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :

20. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

21. En premier lieu, il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise de M. C... que les désordres en litige sont la conséquence de manquements tant dans la conception que dans l'exécution des travaux de restructuration des espaces publics des rues de la Latte, Saint Roch et du Calvaire, situées aux abords du parc Clémenceau à Tourcoing. Tout d'abord, en ce qui concerne le choix de pavés de dimensions irrégulières, principale cause des désordres, si l'utilisation de pavés de classe 2 ne figurait pas dans le cahier des clauses techniques particulières, cette recommandation, conformes aux règles de l'art concernant le pavage de voies empruntées par des véhicules, aurait dû être appliquée par les entreprises chargées de l'exécution des travaux. De surcroît, il résulte de de l'instruction que la maîtrise d'œuvre, dans son rôle de suivi et de contrôle de l'exécution des travaux, a validé l'utilisation de tels pavés. En outre, l'absence de drainage du lit de pose et le nombre insuffisant de grilles avaloirs par rapport à la surface de collecte des eaux pluviales et l'absence de blocage longitudinal des pavés en certains endroits et l'absence de blocages transversaux sur l'ensemble de l'ouvrage, relèvent de la conception de l'ouvrage, dont la maîtrise d'œuvre était chargée.

22. En deuxième lieu, en l'absence de stipulations contraires, les entreprises qui s'engagent conjointement et solidairement envers le maître de l'ouvrage à réaliser une opération de construction, s'engagent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais encore à réparer le préjudice subi par le maître de l'ouvrage du fait de manquements dans l'exécution de leurs obligations contractuelles ainsi qu'au titre de la garantie décennale des constructeurs. Un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises co-contractantes, au motif qu'il n'a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement, que si une convention, à laquelle le maître de l'ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l'exécution des travaux. Or, il ne résulte pas de l'acte de l'engagement du marché d'exécution des travaux que la répartition des missions entre les deux membres du groupement solidaire composé des sociétés Colas Nord Est et Jarbeau ait fait l'objet de stipulations particulières. Dans ces conditions, les sociétés Colas France et Jarbeau se sont engagées conjointement et solidairement à réparer le préjudice subi par le maître de l'ouvrage au titre de la garantie décennale.

23. En troisième lieu, l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre des travaux en litige fait apparaître que la société Agence Laverne, mandataire du groupement, sans qu'aucune stipulation contractuelle ne prévoit sa responsabilité solidaire mais rémunérée pour cette mission à hauteur de 5% du montant du marché, était chargée de la maîtrise d'œuvre dans ses dimensions " Paysage et urbanisme ", rémunérée à cette fin à hauteur de 44%, la société Osmose en ce qui concerne l'ordonnancement, le pilotage, la coordination et le suivi du chantier et les voiries et réseaux divers, à hauteur de 30% du montant du marché et enfin la société Urbatec concernant les voiries et réseaux divers, à hauteur de 21%. Toutefois, cette répartition générale est précisée par l'annexe à l'acte d'engagement qui indique que le marché de maîtrise d'œuvre comportait une mission de réalisation des études de projet pour laquelle la société Agence Laverne a été rémunérée à hauteur de 50 % (hors mission de mandataire), la société Urbatec à hauteur de 35 % et la société Osmose à hauteur de 10 %, des missions d' " examen de conformité - visa " et de direction de l'exécution du contrat de travaux pour lesquelles la société Agence Laverne a été rémunérée à hauteur de 35 % (hors mission de mandataire), la société Urbatec à hauteur de 10 % et la société Osmose à hauteur de 50 %. En outre, il résulte de l'instruction et en particulier des écritures de la société Urbatec Ingénierie que cette dernière est la rédactrice du CCTP du lot n° 1 en litige.

24. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que ni la production d'un courrier daté du 18 juin 2015 adressé par la société Colas à la MEL l'alertant sur des traces de balayeuse avec aspiration sur les voiries affectées par les désordres, procédé d'entretien non conforme aux préconisations transmises par le groupement Colas et Jarbeau, ni les constatations de l'expert quant au manque d'entretien de certaines grilles d'évacuation par le maître de l'ouvrage, n'établissent un manquement du maître de l'ouvrage dans l'entretien des voiries qui aurait été de nature à aggraver les désordres en cause. De surcroît, il résulte du même rapport d'expertise de M. C... que les désordres en litige, liés principalement à un choix inadapté de pavés, qui rend la saturation à refus des joints de sable impossible, seraient survenus que l'entretien des voiries soit conforme aux préconisations ou non. Par suite, les sociétés Agence Laverne et Osmose ne sont pas fondées à soutenir que la MEL aurait commis des fautes dans l'entretien de l'ouvrage de nature à exonérer, totalement ou partiellement, les constructeurs de leur responsabilité au titre de la garantie décennale.

25. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Colas France, Agence Laverne, Osmose et Urbatec Ingénierie, contrairement à ce qu'elles allèguent, et la société Jarbeau ont chacune pris part aux travaux dont ont résulté les désordres en litige et ne sauraient demander leur mise hors de cause. Dans ces conditions, les désordres en litige sont imputables à ces sociétés et engagent par suite leur responsabilité sur le fondement des principes qui régissent la garantie décennale.

Sur la réparation :

En ce qui concerne l'indemnisation due au titre de la remise en état de l'ouvrage :

26. D'une part, le maître de l'ouvrage a droit à la réparation intégrale des préjudices qu'il a subis lorsque la responsabilité décennale des constructeurs est engagée, sans que l'indemnisation qui lui est allouée à ce titre puisse dépasser le montant des travaux strictement nécessaires à la remise en ordre de l'ouvrage tel qu'il avait été commandé. En outre, le principe de la réparation intégrale n'implique pas de contrôle sur l'utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation.

27. D'autre part, lorsque la remise en état de l'ouvrage comporte des travaux supplémentaires par rapport au marché initial, indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art, la charge définitive en incombe, en principe, au maître de l'ouvrage. Le maître d'ouvrage n'a droit à une indemnisation que dans la mesure où il est amené à supporter un coût final supérieur à celui qui aurait dû être celui de l'ouvrage si sa conception et sa réalisation n'avaient été entachées d'aucun vice.

28. En premier lieu, il résulte du rapport d'expertise de M. C... que ce dernier a proposé deux solutions de reprise de l'ouvrage, limitées aux seules voies de circulation routière. La première solution consiste en la mise en place de pavés grès d'Inde de classe 2, avec des joints en mortier et non, comme le prévoyait le marché du lot n° 1, en joints en sable, le choix de tels pavés et de joints en mortier représentant un surcoût de 381 864 euros TTC par rapport au marché initial. Cette solution est chiffrée par l'expert à 1 456 715 euros HT soit 1 748 058 euros TTC et comprend également, parmi les prestations non prévues par le marché initial, la réalisation d'ouvrages de collecte des eaux supplémentaires afin de garantir une collecte des eaux pluviales proportionnée à la surface de l'ouvrage, pour une somme de 7 642 euros HT soit 9 206 euros TTC et un dispositif de drainage qui doit être incorporé dans le lit de pose des pavés pour une somme estimée à 5 000 euros HT soit 6 000 euros TTC. La deuxième solution de reprise proposée par l'expert est la réalisation d'une voirie en enrobé, en lieu et place de pavés sur lit de sable, pour un coût estimé à 793 560 euros HT, soit 952 272 euros TTC, comprenant la création, non prévue au marché initial, d'ouvrages de collecte des eaux pluviales supplémentaires pour une somme de 19 170 euros HT soit 23 004 euros TTC.

29. En deuxième lieu, s'il est établi que la MEL a décidé de passer un marché de travaux visant à la mise en œuvre d'un revêtement en enrobé sur les voiries concernées par les désordres, qui a été effectivement réalisée, une telle circonstance est sans incidence sur son droit à réparation intégrale au titre de la garantie décennale qui implique l'indemnisation des travaux nécessaires à la remise en état de l'ouvrage convenu entre les cocontractants du marché initial, soit, en l'espèce, la réalisation de voiries pavées. En outre, dès lors qu'une telle indemnisation est fondée sur la garantie décennale, elle ne peut être regardée comme un enrichissement sans cause du maître de l'ouvrage. Par suite, la solution de reprise sur la base de laquelle l'indemnisation au titre de la remise en état doit être évaluée est la première solution exposée au point précédent, telle que proposée par le rapport d'expertise. Il s'ensuit également que les conclusions de la société Osmose tendant à ce qu'il soit ordonné, avant dire droit, à la MEL de produire les factures correspondant aux travaux de reprise qu'elle a entrepris doivent être rejetées.

30. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les travaux permettant la remise en état de l'ouvrage, évaluée à la somme de 1 748 058 euros TTC, comprennent des prestations non prévues par le marché initial et permettant sa réalisation dans les règles de l'art, à savoir la réalisation de joints en mortier, la réalisation d'ouvrages de collecte des eaux supplémentaires et un dispositif de drainage incorporé dans le lit de pose des pavés. Dès lors qu'il n'est pas établi que le montant de l'ensemble des travaux de remise en état de l'ouvrage indispensables à la sa réalisation dans les règles de l'art soit supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si sa conception et sa réalisation n'avaient été entachées d'aucun vice, le coût total de ces travaux supplémentaires, évalué à la somme de 397 070 euros TTC, doit être déduit de l'indemnité due au titre des travaux de remise en état de l'ouvrage. Par suite, le coût des travaux de reprise au titre desquels le maître d'ouvrage est fondé à demander l'indemnisation doit être évalué à la somme de 1 350 988 euros TTC.

31. En quatrième lieu, il ressort du rapport d'expertise que les frais de maîtrise d'œuvre nécessaires à la remise en état de l'ouvrage sont évalués à un montant représentant 5,2 % du coût des travaux. Si les sociétés Osmose, Urbatec et Laverne font valoir qu'une telle évaluation est excessive, elles ne produisent aucun élément probant à l'appui de cette allégation, les travaux de M. A..., intervenu en qualité de sapiteur dans le cadre de l'expertise ordonnée par le tribunal, ne pouvant à cet égard être regardés comme de même nature que les missions de conception qui incombent au maître d'œuvre. Par suite, compte tenu du montant des travaux de remise en état dont la MEL est fondée à demander l'indemnisation, fixé au point précédent, l'indemnité due au maître d'ouvrage au titre des frais de maîtrise d'œuvre doit être fixée à la somme de 70 251, 38 euros TTC.

32. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction que si les pavés de dimensions irrégulières, principalement responsables des désordres en litige, ne peuvent être réutilisés pour la remise en état de l'ouvrage ni même pour la réalisation de voiries, leur réutilisation ou leur revente sont possibles en vue de la réalisation de voies piétonnes ou d'espaces de stationnement. Compte tenu du prix unitaire par m2 de 95 euros, qui inclut néanmoins également la pose, facturé dans le marché initial par le groupement Colas et Jarbeau et de la surface concernée par la solution de reprise évaluée à 4 546 euros m2, de l'usure des pavés utilisés dans le marché initial et de la nécessité pour le maître de l'ouvrage de les stocker avant leur revente ou leur réutilisation, il sera fait une juste appréciation de la plus-value relative à la possible revente ou réutilisation des pavés en défalquant de l'indemnité due au maître de l'ouvrage une somme de 50 000 euros TTC.

33. Enfin, compte tenu de la date d'apparition des désordres, il n'y a pas lieu de tenir compte de la vétusté de l'ouvrage pour la fixation de l'indemnité due au maître de l'ouvrage au titre de la remise en état de ce dernier.

34. Il résulte des points précédents que l'indemnisation due à la MEL en réparation des désordres aux fins de remise en état de l'ouvrage doit être fixée à la somme totale de 1 371 239, 38 euros TTC.

En ce qui concerne l'indemnisation due au titre des travaux de réparation provisoire par des entreprises tierces ou par ses propres services :

35. Aux termes de l'article 41.6 du CCAG, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44. 1. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse ". En outre, aux termes de l'article 44.1 du même CCAG : " Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44. 2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41. 4, le titulaire est tenu à une obligation dite obligation de parfait achèvement, au titre de laquelle il doit : / a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41. 5 et 41. 6 ; / b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'œuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci (...) ". Enfin, l'article 48 du même CCAG, relatif aux mesures coercitives, dispose : " 48.1. A l'exception des cas prévus aux articles 15.2.2, 15.4 et 47.2, lorsque le titulaire ne se conforme pas aux dispositions du marché ou aux ordres de service, le représentant du pouvoir adjudicateur le met en demeure d'y satisfaire, dans un délai déterminé, par une décision qui lui est notifiée par écrit. / Ce délai, sauf pour les marchés intéressant la défense ou en cas d'urgence, n'est pas inférieur à quinze jours à compter de la date de notification de la mise en demeure. / 48.2. Si le titulaire n'a pas déféré à la mise en demeure, la poursuite des travaux peut être ordonnée, à ses frais et risques, ou la résiliation du marché peut être décidée. / 48.3. Pour assurer la poursuite des travaux, en lieu et place du titulaire, il est procédé, le titulaire étant présent ou ayant été dûment convoqué, à la constatation des travaux exécutés et des approvisionnements existants ainsi qu'à l'inventaire descriptif du matériel du titulaire et à la remise à celui-ci de la partie de ce matériel qui n'est pas utile à l'achèvement des travaux. (...) 48.5. Le titulaire, dont les travaux font l'objet des stipulations des articles 48.2 et 48.3, est autorisé à en suivre l'exécution sans pouvoir entraver les ordres du maître d'œuvre et de ses représentants. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la poursuite des travaux aux frais et risques du titulaire d'un marché concerne tant les travaux ayant fait l'objet de réserves à la réception que ceux apparus durant le délai de garantie de parfait achèvement n'est possible qu'après une mise en demeure infructueuse du titulaire et la convocation de ce dernier aux fins de lui permettre de participer aux opérations de constatation des travaux déjà effectués et de suivre l'exécution de la poursuite des travaux.

36. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le maître de l'ouvrage a fait procédé à des travaux de réparation provisoire de la voirie par des entreprises externes au marché en litige de juillet 2015 à mars 2017. Tout d'abord, il ressort de l'ordre de service du 2 juillet 2015 que la MEL a demandé à la société STPI le démontage de pavés déchaussés et la pose de nouveaux pavés situés " rue de la Latte (angle rue Marceau) ", ces mêmes travaux ayant fait l'objet de réserves parmi celles maintenues, ainsi qu'il est énoncé ci-dessus, par le maître de l'ouvrage par une décision du 3 septembre 2015, et ne pouvant ainsi donner lieu à indemnisation que sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Dans ces conditions, la poursuite aux frais et risques du titulaire du marché de ces travaux nécessitait sa mise en demeure et sa convocation préalables. Or, si le maître de l'ouvrage se prévaut d'une mise en demeure adressée le 6 janvier 2015 aux titulaires du marché en litige visant à remédier aux imperfections et malfaçons exprimées lors de la réception de l'ouvrage et comportant notamment la nécessité de reprises des déchaussements et déformations de la chaussée, il n'établit pas avoir procédé à la convocation du titulaire avant la poursuite des travaux à ses frais et risques, lequel n'a ainsi pas été mis à même de veiller à la sauvegarde de ses intérêts. Dès lors, les travaux afférents à l'ordre de service du 2 juillet 2015 ne peuvent donner lieu à indemnisation du maître d'ouvrage sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de la prescription d'une telle demande. En revanche, dès lors qu'il ne ressort pas des autres ordres de services produits par la MEL que les travaux réalisés par des entreprises tierces pour des réparations provisoires et de sécurisation de la voirie soient afférents à des travaux faisant l'objet de réserves à leur date de réalisation et dès lors que la période de la garantie de parfait achèvement avait alors expiré, le maître de l'ouvrage est fondé à demander à être indemnisé sur le fondement de la garantie décennale, déduction faite des prestations facturées pour un montant de 6 464 euros TTC et relatives à des voies non concernées par les travaux en litige, effectuées en application des ordres de service des 23 septembre 2015 et 21 mars 2016. Par suite, l'indemnité due à la MEL au titre des interventions de réparation provisoire et de sécurisation de la voirie réalisées par des entreprises tierces doit être fixée à la somme totale de 22 333 euros TTC.

37. En deuxième lieu, l'affectation d'agents attachés préalablement à d'autres missions à l'exécution de travaux rendus nécessaires du fait de désordres, sans qu'il soit besoin de justifier ni du recrutement de personnel supplémentaire ni du versement de compléments de rémunération pour accomplir ces travaux, est susceptible de donner lieu à indemnisation par le responsable de ces désordres. Or, il résulte de l'instruction que la MEL a fait procéder à des interventions de sécurisation de la voirie en conséquence des déchaussements de pavés. Néanmoins, la MEL ne justifie de ces interventions que pour 45 d'entre elles, au cours des années 2015 à 2017, en produisant les fiches d'intervention comportant la nature des travaux, leurs dates et durées d'exécution. En outre, il ressort de ces fiches d'intervention que l'intervention du 1er avril 2016 est relative à la sécurisation de la voirie suite à des déchaussements de pavés situés au 61 rue St Roch et que les interventions du 12 août 2015, 26 février 2016 et 16 mars 2016 et 1er juin 2016 concernent en partie des travaux de reprise de déchaussements de pavés situés à l'intersection entre la rue Marceau et la rue de la Latte, qui faisaient l'objet des travaux réservés, tels que mentionnés par la décision du 3 septembre 2015 de la MEL, et ne pouvaient en conséquence faire l'objet d'une indemnisation que sur un fondement contractuel. Dès lors que la MEL n'établit pas avoir procédé à la convocation du titulaire avant la poursuite de ces travaux à ses frais et risques, qui n'a ainsi pas été mis à même de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, elle ne peut faire valoir son droit à indemnisation au titre de ces travaux, sans qu'il soit besoin là aussi de se prononcer sur le moyen tiré de la prescription de l'action en responsabilité contractuelle. Sous cette réserve, la MEL est fondée à être indemnisée du coût qu'ont représenté pour elle les interventions de sécurisation et de réparation provisoire de la voirie résultant des désordres en litige. Compte tenu du nombre d'heures d'intervention, évaluée à 166 heures, et du droit à être indemnisé à la fois des charges de personnel, de personnel d'exécution comme d'encadrement, du matériel utilisé et des fonctions support et charges fixes mobilisées, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant l'indemnité due à ce titre à la somme de 7 500 euros TTC.

38. Il résulte de ce qui vient d'être exposé que l'indemnité due à la MEL au titre des travaux de réparation provisoire de l'ouvrage doit être fixée à la somme de 29 833 euros TTC.

En ce qui concerne le préjudice d'atteinte à son image :

39. Il résulte de l'instruction que la voirie a fait l'objet de très nombreuses interventions de sécurisation, du fait des déchaussements de pavés, aboutissant à l'interdiction de la circulation par un arrêté municipal du 21 février 2018 puis, conformément aux conclusions du rapport d'expertise de M. C..., à de nouveaux travaux de réfection affectant l'ensemble de la voirie. En outre, il résulte de l'instruction que plus d'une centaine de riverains des voiries ayant fait l'objet des travaux en litige ont adressé une pétition au maire de Tourcoing, reçue le 9 mars 2017, qui, bien que n'incriminant pas expressément la MEL, s'adressait plus largement aux " élus de tous bords " et faisait état du mécontentement des riverains quant à l'état de la voirie, qualifiée de " véritable catastrophe ", et à sa dangerosité. Dans ces conditions, et compte tenu de ce que ces désordres affectent négativement l'ensemble du programme de restructuration des abords du parc Clémenceau à Tourcoing, la MEL est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a écarté ce poste de préjudice de l'indemnisation due par les constructeurs, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 5 000 euros. Par suite, le jugement attaqué sera réformé dans cette mesure.

En ce qui concerne le préjudice résultant de l'indemnisation d'usagers de l'ouvrage :

40. Si la MEL soutient qu'elle a indemnisé plusieurs usagers de la voirie victimes d'accidents de la circulation en conséquence des désordres, les seuls courriers émanant d'un assureur produits à l'appui de sa demande indemnitaire à ce titre, dès lors qu'ils ne comportent aucune précision quant aux circonstances des sinistres indemnisés, ne permettent pas d'établir un lien de causalité avec les désordres en litige. En outre, la MEL ne produit aucun élément permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande d'indemnisation au titre de l'augmentation de sa prime d'assurance en conséquence des sinistres indemnisés. Par suite, cette demande indemnitaire doit être rejetée.

En ce qui concerne le préjudice résultant de l'installation de panneaux de signalisation :

41. Il résulte de l'instruction que, par un arrêté du 21 février 2018, le maire de Tourcoing a interdit la circulation dans les rues ayant fait l'objet des travaux en litige, en visant " le rapport de l'expert judiciaire Monsieur C... " et les " accidents réguliers survenant sur la chaussée particulièrement dégradée ". Suite à cette interdiction, dont le lien avec les désordres en litige est ainsi établi, la MEL soutient qu'elle a assumé la charge de la fourniture et de la pose de panneaux de signalisation adéquats. Toutefois, la facture produite ne comporte aucune précision quant au lieu d'exécution de la prestation de pose de ce matériel. Dans ces conditions, cette demande d'indemnisation ne peut qu'être rejetée.

42. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité due au maître de l'ouvrage par les constructeurs en réparation des désordres doit être fixée à la somme totale de 1 406 072, 38 euros TTC Par suite, les conclusions de la MEL tendant à la majoration de la condamnation solidaire des constructeurs retenue par les premiers juges ne peuvent qu'être rejetés et les sociétés Colas France, Agence Laverne, Osmose et Urbatec Ingénierie sont seulement fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a porté l'indemnisation due au maître d'ouvrage à une somme excédant 1 406 072, 38 euros TTC.

Sur les conclusions d'appel en garantie :

43. En premier lieu, les conclusions des sociétés Osmose, Agence Laverne et Urbatec Ingénierie tendant à la condamnation solidaire des autres constructeurs à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre et des dépens de première instance mis à leur charge doivent être regardées à la fois comme des conclusions d'appel incident à l'égard de la société Colas France et comme des conclusions d'appel provoqué à l'égard des autres constructeurs. Il résulte des points 43 à 46 que l'appel de la société Colas France conduit à la minoration de la condamnation solidaire des sociétés Agence Laverne, Osmose Urbatec Ingénierie à indemniser la MEL en réparation des désordres en litige. Dans ces conditions, la situation de ces sociétés ne se trouvant pas aggravée par l'appel principal par rapport à celle résultant du jugement attaqué, les conclusions d'appel en garantie des sociétés Osmose, Agence Laverne et Urbatec Ingénierie, en tant qu'elles sont dirigées contre ces dernières et contre la société Jarbeau sont irrecevables. Par suite, les conclusions d'appel en garantie des sociétés Osmose, Agence Laverne et Urbatec Ingénierie ne sont recevables qu'en tant qu'elles tendent à majorer la part de responsabilité à hauteur de laquelle la société Colas France doit être condamnée à les garantir de toute condamnation et des dépens de première instance mis à leur charge.

44. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été précédemment exposé, dès lors qu'aucune faute du maître de l'ouvrage n'est établie, l'imputabilité des désordres aux constructeurs est totale. Par suite, les conclusions de la société Colas aux fins d'appel en garantie dirigées contre la MEL ne peuvent qu'être rejetées.

45. En troisième lieu, il résulte également de ce qui a été précédemment exposé que la cause principale des désordres est l'utilisation non conforme aux règles de l'art de pavés aux dimensions irrégulières, dont le choix fautif a été effectué par le groupement titulaire du lot n° 1. Toutefois, la maîtrise d'œuvre, chargée de veiller à l'adéquation des matériaux avec le projet, n'a contesté ni le choix de ces pavés ni émis de réserves quant à la largeur de joints excessive qui en a résulté, et a ce faisant commis une faute dans la direction de l'exécution du contrat de travaux. En outre, la maîtrise d'œuvre est responsable des erreurs de conception précédemment mentionnées, qui ont néanmoins joué un rôle plus secondaire dans la survenance des ordres. Dans ces conditions, le tribunal a fait une juste appréciation des parts de responsabilités de la maîtrise d'œuvre et des entreprises chargées de l'exécution des travaux en les fixant respectivement à 40 % et 60 %.

46. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction et de ce qui a été précédemment exposé qu'au sein du groupement de maîtrise d'œuvre, la société Osmose était principalement chargée du contrôle de conformité de l'exécution des travaux et de la direction de l'exécution des travaux, missions pour lesquelles elle était rémunérée à hauteur de 50 %. En outre, il résulte de l'instruction que la société Urbatec Ingénierie a rédigé le CCTP, comportant les prescriptions techniques relatives à la réalisation de la voirie mais n'a, selon la répartition des éléments de missions prévus par l'acte d'engagement du marché, pris qu'une part limitée à 10 % dans la direction de l'exécution des travaux et le contrôle de conformité. De plus, s'il ne résulte de l'instruction ni que la société Agence Laverne aurait donné son accord quant au choix des pavés litigieux, se bornant uniquement, ainsi qu'il résulte du bordereau d'envoi daté du 7 février 2013, à en valider le calepinage, lequel n'est pas en cause dans les désordres en litige, ni que sa mission de coordination du groupement ait participé à ces désordres et s'il ressort du compte-rendu de suivi du chantier n°13 du 30 janvier 2013 que seules les sociétés Osmose et Urbatec Ingénierie étaient identifiées comme interlocutrices des entrepreneurs en ce qui concerne le suivi des travaux et les renseignements techniques du lot 1 en litige, elle ne saurait cependant faire valoir que son rôle se serait limité aux seules dimensions esthétique et paysagère des travaux, dès lors qu'elle a bénéficié à hauteur de 35% de la rémunération prévue par le marché au titre des missions d'examen de conformité et de direction de l'exécution des travaux. Dans ces conditions, le tribunal a fait une juste appréciation des parts de responsabilité des sociétés Agence Laverne, Urbatec Ingénierie et Osmose en les fixant respectivement à 5 %, 10 % et 25 %.

47. En cinquième lieu, dès lors qu'aucune stipulation contractuelle ni aucune pièce versée au dossier ne permettent d'établir la répartition des missions au sein du groupement constitué des sociétés Colas et Jarbeau et, notamment, que l'une aurait pris une part plus déterminante que l'autre dans les fautes commises durant l'exécution des travaux, les sociétés Colas et Jarbeau doivent être regardées comme ayant concouru indissociablement aux désordres résultant des fautes commises durant l'exécution des travaux et engagent dès lors leur responsabilité solidaire. Par suite, les autres constructeurs condamnés solidairement sur le fondement de la garantie décennale sont fondées à appeler en garantie, au titre des fautes commises par le groupement titulaire du lot n° 1, soit solidairement les sociétés Colas et Jarbeau, soit l'une ou l'autre de ces sociétés.

48. Il résulte de ce qui précède que, dès lors que les sociétés Agence Laverne et Osmose ont été, par le jugement attaqué, garanties par les sociétés Jarbeau et Colas à hauteur de 30 % chacune des condamnations prononcées à leur encontre et des dépens mis à leur charge, leurs conclusions tendant, ainsi qu'il a été dit au point 43, à la majoration de la part de responsabilité à hauteur de laquelle la société Colas France a été condamnée à les garantir doivent être rejetées. En revanche, dès lors que la société Urbatec Ingénierie n'a pas été garantie, par le jugement attaqué, par la société Jarbeau, elle est fondée à demander à ce que la part de responsabilité à hauteur de laquelle la société Colas France a été condamnée à la garantir des condamnations prononcées à son encontre et des dépens mis à sa charge soit portée, compte tenu des énonciations contenues dans le point précédent, de 30 à 60 %. En outre, il résulte également de ce qui précède que la société Colas France est fondée à être garantie par les sociétés Agence Laverne, Osmose, Urbatec Ingénierie à hauteur respectivement de 5 %, 25 % et 10 % des de la condamnation par laquelle elle indemnise la MEL et des dépens de première instance mis à sa charge. De plus, les travaux des sociétés Colas France et Jarbeau ayant concouru indissociablement aux désordres résultant de l'exécution des travaux, la société Colas France est fondée à être garantie par la société Jarbeau de la condamnation par laquelle elle indemnise la MEL et des dépens de première instance mis à sa charge à hauteur de la moitié de la part de responsabilité résultant des fautes commises par le groupement auquel elle a participé, soit 30 %. Elle est également fondée à demander à être garantie, pour moitié, par la société Jarbeau des condamnations à garantir la société Urbatec Ingénierie à hauteur de 60 %.

Sur les intérêts moratoires :

49. La MEL a droit aux intérêts au taux légal de la somme de 1 406 072, 38 euros TTC à compter du 24 décembre 2018, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif.

Sur les frais et dépens liés au litige :

50. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

51. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

52. Compte tenu de la condamnation solidaire des constructeurs à indemniser la MEL, les dépens de la seule première instance, dès lors que la procédure d'appel n'a donné lieu à aucun dépens, doivent être mis à leur charge solidaire. Par suite, les conclusions des sociétés Agence Laverne et Urbatec Ingénierie tendant à la mise à la charge des dépens respectivement des autres parties et de la MEL doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1811827 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il statue sur l'indemnité due à la MEL au titre des travaux de remise en état et des travaux de réparation de l'ouvrage.

Article 2 : L'article 6 du jugement n° 1811827 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 3 : La somme de 1 447 443,03 euros TTC au paiement de laquelle ont été condamnées solidairement les sociétés Colas France, Osmose, Urbatec Ingénierie et Jarbeau par l'article 1er du jugement n° 1811827 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Lille est ramenée au montant de 1 406 072, 38 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2018.

Article 4 : Les sociétés Osmose, Agence Laverne et Colas France sont condamnées à garantir la société Urbatec Ingénierie à hauteur respectivement de 25%, 5% et 60% des condamnations prononcées aux articles 1er et 2 du jugement n° 1811827 du 16 mars 2021 du tribunal administratif de Lille.

Article 5 : La société Jarbeau est condamnée à garantir la société Colas à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à son encontre à l'article 4 du présent arrêt.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Colas France, à la Métropole Européenne de Lille, à la société Agence Laverne, à la société Osmose, à la société Urbatec Ingénierie, et à la société Jarbeau.

Délibéré après l'audience publique du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur ;

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

Le président-assesseur,

Signé : M. BaronnetLe président de chambre,

Signé : T. SorinLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°21DA01143


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01143
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Thierry Sorin
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : GRARDEL

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;21da01143 ?
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