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28/11/2023 | FRANCE | N°21TL04521

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 28 novembre 2023, 21TL04521


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, à titre principal, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au titre de la solidarité nationale, la somme totale de 1 011 589,63 euros, somme à affecter du taux de perte de chance de 50% et à assortir des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête, en réparation de son préjudice et de

déclarer le jugement opposable aux tiers payeurs notamment à l'organisme d'assurance mala...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier, à titre principal, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au titre de la solidarité nationale, la somme totale de 1 011 589,63 euros, somme à affecter du taux de perte de chance de 50% et à assortir des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête, en réparation de son préjudice et de déclarer le jugement opposable aux tiers payeurs notamment à l'organisme d'assurance maladie, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise menée par un collège d'experts afin de déterminer ses préjudices et de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1906347 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2021, sous le n°21MA04521 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL04521, un mémoire, enregistré le 15 décembre 2022, et un dépôt de pièces, enregistré le 16 février 2023, qui n'a pas été communiqué, M. B..., représenté par la SELARL Coubris, Courtois et associés agissant par Me Coubris, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du 4 octobre 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme totale de 1 093 205,90 euros, réduite de 50 % et à assortir des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête de première instance, en réparation de ses préjudices et de déclarer l'arrêt opposable à l'organisme d'assurance maladie ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise menée par un collège d'experts afin de déterminer ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales les dépens ainsi qu'une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les rapports d'expertise amiable sont opposables à l'office et il est fondé à solliciter leur homologation ;

- il remplit les conditions légales pour que son affection iatrogène ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale, notamment la condition d'anormalité du dommage, eu égard à la faible probabilité de sa survenue ;

- les frais divers, comprenant ceux liés à l'assistance d'une tierce personne et des frais de déplacement, doivent être fixés à hauteur de 112 494,05 euros ;

- les frais liés à l'aménagement d'un véhicule adapté seront fixés à la somme de 169 641,33 euros ;

- les frais futurs d'assistance par une tierce personne seront évalués à la somme de 212 109,67 euros ;

- les pertes de gains professionnels futurs s'élèveront à la somme de 35 000,85 euros ;

- l'incidence professionnelle peut être réparée par une indemnité de 50 000 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire sera indemnisé à hauteur de 29 760 euros ;

- les souffrances endurées seront indemnisées à hauteur de 45 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire sera évalué à la somme de 20 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent sera fixé à la somme de 239 200 euros ;

- le préjudice esthétique permanent sera évalué à la somme de 30 000 euros ;

- le préjudice d'agrément qu'il subit, en raison de l'arrêt de la danse, sera indemnisé à hauteur de 50 000 euros ;

- un préjudice sexuel devra être retenu à hauteur de 50 000 euros ;

- un préjudice lié à une pathologie évolutive devra également être retenu à hauteur de 50 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 26 avril 2022 et 17 janvier 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL De La Grange et Fitoussi Avocats, agissant par Me de La Grange, conclut à la confirmation du jugement entrepris, à sa mise hors de cause et au rejet de tout autre demande.

Il fait valoir que les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies, la condition d'anormalité du dommage n'étant pas remplie et que le dommage de M. B... ne peut être qualifié d'anormal au regard des critères jurisprudentiels.

Par une ordonnance du 20 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., alors âgé de 49 ans, qui présentait de fortes fièvres depuis le 16 janvier 2013, a été admis aux urgences du centre hospitalier de Narbonne (Aude), le 18 janvier suivant à 7 heures 30 pour orteils insensibles, fièvre et vomissements. Le même jour, dans l'après-midi, un tableau de choc septique avec défaillance multi-viscérale allié à un syndrome d'ischémie distale des membres inférieurs a conduit à son transfert dans le service de réanimation et à l'administration d'une antibiothérapie probabiliste et d'un vasoconstricteur, la noradrénaline. Le 19 janvier, le diagnostic de coagulation intravasculaire disséminée a été évoqué. Face à une aggravation de la thrombopénie et à une dégradation de son état respiratoire, M. B... a été transféré, le même jour, au centre hospitalier de Perpignan (Pyrénées-Orientales) et placé sous assistance périphérique " extracorporelle membrane oxygénation ". Durant cette hospitalisation, des nécroses sont apparues au niveau de ses pieds et le patient a vu son antibiothérapie adaptée, le germe intestinal responsable de la septicémie ayant alors été identifié. Après un nouveau transfert, le 6 février 2013, au centre hospitalier de Narbonne, puis le surlendemain, au centre hospitalier de Béziers (Hérault), la nécrose s'est étendue et, le 20 février, une amputation trans-tibiale de la jambe droite a dû être pratiquée, ainsi que, le 17 avril suivant, une amputation atypique de l'avant-pied gauche et enfin, le 25 avril 2014 à la clinique ... de Béziers, une amputation de la jambe gauche au niveau de la jonction du tiers moyen-tiers supérieur. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, saisie le 21 novembre 2013, a, par un avis du 9 septembre 2014, complété le 12 février 2018, estimé que la complication artérielle secondaire présentée par M. B... constituait une affection iatrogène qui ouvrait droit à l'indemnisation des préjudices de la victime au titre de la solidarité nationale dans la limite de 50%. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a, par lettre du 4 février 2015, réitérée le 16 mars 2018, cependant refusé de présenter une offre d'indemnisation. M. B... relève appel du jugement du 4 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

2. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire./ Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. " Selon le premier alinéa de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. "

3. Il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins non fautifs à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

4. D'une part, il est constant que M. B... présentait, lors de son admission au centre hospitalier de Narbonne, une infection d'origine endogène résultant d'une lésion colique, ayant entraîné un choc septique dont le taux de mortalité est évalué à 50%, compliquée d'un purpura fulminans, une forme grave de septicémie. Ainsi, M. B... était exposé à un risque élevé de décès, en l'absence de mise en place du traitement vasoconstricteur litigieux. En conséquence, l'administration de noradrénaline n'a, en l'espèce, pas entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé en l'absence de traitement, ce que ce dernier ne conteste plus dans le dernier état de ses écritures.

5. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport du collège d'experts du 19 juin 2014, qu'une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) de type sévère réalisant un purpura fulminans est à l'origine de lésions nécrotiques, qui, dans 5 à 20 % des cas, nécessiteront des greffes de peau ou des amputations. Il résulte également de l'instruction, notamment d'une note d'un médecin référent de l'office, qui reprend sur ce point un article de littérature médicale, également versé au débat, que le purpura fulminans " représente une forme caricaturale de CIVD compliquée engageant le pronostic vital dans 5 à 10 % des cas et le pronostic fonctionnel (amputation des membres) dans 10 à 20 % des cas. ". Dans ces conditions, les amputations subies par M. B... résultent d'un risque élevé de complications artérielles secondaires auxquelles l'administration de la noradrénaline a seulement concouru. En conséquence, la survenance du dommage ne peut être regardée comme présentant une probabilité faible.

6. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que la condition d'anormalité du dommage prévue à l'article L. 1142-1 du code de la santé publique n'est, en l'espèce, pas remplie.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise qu'il sollicite à titre subsidiaire, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que la condamnation de l'office à réparer ses préjudices soit assortie d'intérêts légaux ne peuvent également qu'être rejetées.

Sur la déclaration d'arrêt commun :

8. Il n'y a pas lieu de déclarer le présent arrêt commun aux caisses primaires d'assurance maladie de l'Aude et de l'Hérault, lesquelles ne peuvent exercer de recours subrogatoire à l'encontre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Sur les frais liés au litige :

9. En l'absence de dépens, les conclusions présentées par M. B... sur le fondement des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et aux caisses primaires d'assurance maladie de l'Aude et de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

Le rapporteur,

T. Teulière

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21TL04521


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL04521
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: M. Thierry TEULIÈRE
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : COUBRIS, COURTOIS ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;21tl04521 ?
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