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27/11/2023 | FRANCE | N°22MA02103

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 novembre 2023, 22MA02103


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée Société routière de Haute-Corse a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la résiliation juridictionnelle des lots nos 1 et 2 de l'accord-cadre relatif à la fourniture, la fabrication, le transport et la mise en œuvre d'enrobés denses à chaud sur le réseau routier départemental de la Haute-Corse, conclus entre la collectivité de Corse et la société par actions simplifiée Terrassements Corses " Terraco " le 20 décembr

e 2019.



Par un jugement n° 2000241 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Société routière de Haute-Corse a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la résiliation juridictionnelle des lots nos 1 et 2 de l'accord-cadre relatif à la fourniture, la fabrication, le transport et la mise en œuvre d'enrobés denses à chaud sur le réseau routier départemental de la Haute-Corse, conclus entre la collectivité de Corse et la société par actions simplifiée Terrassements Corses " Terraco " le 20 décembre 2019.

Par un jugement n° 2000241 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Bastia a prononcé la résiliation juridictionnelle des contrats relatifs à ces lots avec un effet différé de trois mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2022, la collectivité de Corse, représentée par la SELARLU Genuini Avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance de la Société routière de Haute-Corse ;

2°) de mettre à la charge de la Société routière de Haute-Corse une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La collectivité de Corse soutient que :

- la société Terraco n'avait pas l'obligation de justifier d'un engagement de la société Betag, dès lors que cette dernière intervient seulement comme son fournisseur ;

- subsidiairement, la société Terraco appartenait au même groupe que la société Betag, ce qui la dispensait de l'exigence d'un engagement écrit, ces deux entités ne pouvant être regardées comme des opérateurs économiques distincts ;

- cette supposée irrégularité, qui n'a entraîné aucun vice de consentement de la collectivité et " n'affecte aucunement le bien-fondé des travaux objet du marché ", ne saurait justifier, à elle seule, la résiliation du contrat, qui s'est poursuivi sans encombre et a d'ailleurs été renouvelé tacitement ;

- la résiliation n'a été prononcée qu'avec un effet différé de trois mois, qui est beaucoup trop court ;

- les autres moyens soulevés par le candidat évincé sont infondés.

Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2023, la société Terrassements Corses, dite " Terraco ", représentée par Me Pietra, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande de première instance de la Société routière de Haute-Corse ;

2°) de mettre à la charge de cette société la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dès lors qu'elle appartient au même groupe que la société Betag, elle pouvait se prévaloir des capacités techniques de cette dernière ;

- cette irrégularité n'était pas de nature à justifier l'annulation du contrat.

Par un mémoire, enregistré le 20 janvier 2023, la Société routière de Haute-Corse, représentée par Me Henochsberg, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la société Terraco, et à la condamnation de la collectivité de Corse à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens présentés par la collectivité de Corse sont infondés ;

- les autres moyens présentés à l'appui de sa demande de première instance étaient également fondés.

Par une lettre en date du 16 décembre 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er février 2023 et le 10 juillet 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 10 janvier 2023.

Par ordonnance du 15 février 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Genuini, pour la collectivité de Corse.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 12 mars 2019, la collectivité de Corse a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert portant sur l'attribution d'un accord-cadre à bons de commande sur le fondement de l'article 78 du décret du 25 mars 2016, en vue de la fourniture, la fabrication, le transport et la mise en œuvre d'enrobés denses à chaud sur le réseau routier départemental de la Haute-Corse. Par deux courriers en date du 3 décembre 2019, la Société routière de Haute-Corse a été informée du rejet des offres qu'elle avait présentées pour les lots nos 1 et 2, relatifs respectivement au secteur de Bastia, du Cap et du Golo, et au secteur de la Balagne, et de l'attribution de ces lots à la société Terrassements Corses (" Terraco "). La société routière de Haute-Corse a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une action en contestation de validité des contrats conclus avec la société Terraco. Par le jugement attaqué, dont la collectivité de Corse relève appel, le tribunal administratif a décidé la résiliation juridictionnelle de ces deux contrats avec un effet différé de trois mois.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

3. Aux termes de l'article 50 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, alors en vigueur : " (...) Si le candidat s'appuie sur les capacités d'autres opérateurs économiques, il justifie des capacités de ce ou ces opérateurs économiques et apporte la preuve qu'il en disposera pour l'exécution du marché public. Cette preuve peut être apportée par tout moyen approprié. ". Aux termes du point 6.1 du règlement de la consultation, les candidats étaient tenus de présenter, au titre des qualifications minimales exigées, " tout document attestant qu'ils sont titulaires d'une identité professionnelle (IP) attribuée par la fédération nationale des travaux publics comportant, selon la nomenclature de cette dernière, les rubriques : / 3221-Revêtements en matériaux enrobés classiques, / 324-Enduits superficiels ". Ce même règlement dispose que " Pour justifier des capacités professionnelles, techniques et financières d'autres opérateurs économiques sur lesquels il s'appuie pour présenter sa candidature, le candidat produit les mêmes documents concernant cet opérateur économique que ceux qui lui sont exigés par le pouvoir adjudicateur. En outre, pour justifier qu'il dispose des capacités de cet opérateur économique pour l'exécution des prestations, le candidat produit un engagement écrit de l'opérateur économique. ".

4. Il résulte des termes de l'offre de la société Terraco que celle-ci comptait s'appuyer, pour l'exécution du marché, sur les capacités techniques d'une autre société, la société Betag, qui, seule, possédait des moyens permettant la production de granulats et la fabrication d'enrobés bitumeux. Il n'est à ce titre pas contesté que la société Terraco ne disposait pas d'une centrale d'enrobage en propre, le poste d'enrobage étant fourni par la société Betag.

5. En outre, cette dernière société ne pouvait être regardée comme un simple fournisseur, dès lors que la fourniture de granulat et d'enrobé bitumeux constituait l'objet même du marché, qui portait sur la " Fabrication, [le] transport et [la] mise en œuvre des enrobés ", ce qui incluait " la mise à la disposition du maître de l'ouvrage de l'aire de stockage et des terrains nécessaires à la mise en place de la Centrale d'Enrobage " ainsi que la " fourniture du bitume pur et de l'émulsion nécessaire pour la couche d'accrochage ".

6. Par ailleurs, si les sociétés Terraco et Betag appartiennent à un même groupe, elles n'en constituent pas moins des opérateurs économiques distincts.

7. En application des dispositions et stipulations citées au point 3, la société Terraco devait donc apporter la preuve qu'elle disposerait des capacités de la société Betag pour l'exécution du marché public, le règlement de la consultation imposant à ce titre un engagement écrit de cette dernière société. Or, la société Terraco n'a justifié d'aucun engagement écrit de la société Betag pour l'exécution des prestations en cause. En outre, elle n'a pas renseigné, dans sa candidature, la partie relative à la désignation des opérateurs économiques sur lesquels elle entendait s'appuyer.

8. La candidature de la société Terraco était, dès lors, incomplète, et aurait dû être écartée comme irrecevable, sauf à faire l'objet de la demande de complément prévue par l'article 55 du décret susvisé du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Ce vice, qui affecte la recevabilité de la candidature de la société Terraco, attributaire, est en rapport direct avec l'éviction de la Société routière de Haute-Corse, puisqu'il faisait obstacle à ce que l'offre de la société Terraco fût retenue.

9. Un tel vice, s'il n'est pas régularisable devant le juge, ne s'oppose pas nécessairement à la poursuite de l'exécution du contrat conclu avec cette société. Il incombe au juge saisi d'une contestation de la validité du contrat, au regard de l'importance et les conséquences du vice, d'apprécier les suites qu'il doit lui donner.

10. En l'espèce, la justification des capacités techniques exigée des candidats vise à prémunir l'acheteur public contre les défaillances dans l'exécution du marché. En outre, si le mémoire technique de la société Terraco, produit à l'appui de l'offre de cette dernière, faisait incidemment état, en page 6, de ce que la société Betag était " membre du groupe Brandizi ", cette unique mention ne permettait pas, à elle seule, de s'assurer que les deux sociétés étaient effectivement contrôlées par la ou les mêmes personnes. Par ailleurs, la collectivité de Corse n'établit pas que les personnes ayant participé à la procédure de sélection auraient été informées de l'existence d'un tel contrôle et de son effectivité. Eu égard à la portée de ce manquement au règlement de la consultation et à l'article 50 du décret du 25 mars 2016, ce vice ne permet pas la poursuite de l'exécution du contrat et justifie la résiliation de celui-ci. Sont sans incidence sur cette analyse les circonstances que cette irrégularité ne caractérise aucun vice de consentement de la collectivité et que, dans les faits, le contrat a été exécuté sans encombre et renouvelé tacitement. Enfin, compte tenu des délais normalement requis pour le lancement d'une procédure de mise en concurrence, c'est à bon droit que les premiers juges n'ont différé la résiliation juridictionnelle du contrat que de trois mois.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la collectivité de Corse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de résiliation juridictionnelle présentée par la Société routière de Haute Corse. Pour les mêmes raisons, et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité, les conclusions présentées par la société Terraco doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la Société routière de Haute-Corse qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la collectivité de Corse une somme de 1 500 euros à verser à cette société en remboursement des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la collectivité de Corse est rejetée.

Article 2 : La collectivité de Corse versera à la Société routière de Haute-Corse une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la Société routière de Haute-Corse tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité de Corse, à la Société routière de Haute-Corse et à la société Terrassements Corses " Terraco ".

Délibéré après l'audience du 13 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 novembre 2023.

N° 22MA02103 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02103
Date de la décision : 27/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-02-03 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés. - Mode de passation des contrats. - Appel d'offres.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Renaud THIELÉ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : CABINET PIETRA & ASSOCIES - AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-27;22ma02103 ?
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