Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 16 mars 2020 par lequel le préfet du Gard a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de son éloignement.
Par un jugement n° 2103958 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète du Gard de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 mai 2022, la préfète du Gard demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nîmes.
Elle soutient que :
- la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nîmes était tardive ;
- l'arrêté en litige ne méconnait pas les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Gonand, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Gard de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1911 ou, à titre subsidiaire, sur le seul fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- sa demande de première instance était recevable ;
- le moyen soulevé par la préfète du Gard n'est pas fondé.
Par ordonnance du 24 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 21 avril 2023.
Mme A... a obtenu l'aide juridictionnelle totale par décision du 5 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lasserre, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante marocaine née en 1963, déclare être entrée en France le 29 octobre 2013. Le 14 novembre 2019, elle a sollicité son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 mars 2020, le préfet du Gard a rejeté cette demande, a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé son pays de destination. La préfète du Gard relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Sur les conclusions en annulation :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au litige : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de 1'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) ". Aux termes du I de l'article L. 512-1 du même code, applicable au litige : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou sur le fondement de l'article L. 511-3-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 ou au sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant (...) ".
3. D'autre part, il résulte de la combinaison de l'article 38, du premier alinéa de l'article 56 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 et du deuxième alinéa de l'article 23 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle. Il en va ainsi quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle, qu'elle en ait refusé le bénéfice, qu'elle ait prononcé une admission partielle ou qu'elle ait admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, quand bien même dans ce dernier cas le ministère public ou le bâtonnier ont, en vertu de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, seuls vocation à contester une telle décision.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué, qui comporte la mention des voies et délais de recours de manière conforme aux dispositions précitées de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, a été notifié à Mme A... le 6 juillet 2020. Le délai de recours contentieux de trente jours prévus par les dispositions du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été interrompu par le dépôt, le 17 juillet 2020, d'une demande d'aide juridictionnelle. Mme A... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2020, le délai de recours contentieux n'a recommencé à courir qu'à compter de la date de notification de cette décision, laquelle, ayant été effectuée par lettre simple conformément à l'article 56 du décret du 28 décembre 2020, ne peut être précisément établie. Dès lors, la requête de Mme A..., enregistrée au greffe du tribunal le 20 juillet 2021, ne peut être regardée comme tardive. Par suite, la préfète du Gard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a écarté la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de la tardiveté de la demande de première instance.
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
6. Mme A... établit, par les nombreuses pièces produites, notamment médicales, vivre en France depuis a minima le mois d'août 2016, auprès de ces cinq enfants majeurs, dont quatre sont français et le dernier réside régulièrement sur le territoire français, et de ses dix petits-enfants. En outre, elle justifie être divorcée depuis 2013 et établit le décès de ses parents en 2008 et 2013. Dans ces conditions et alors même qu'elle disposerait encore de frères et sœurs dans son pays d'origine où elle a vécu elle-même jusqu'à 50 ans, elle établit ainsi avoir fixé le centre de sa vie privée et familiale en France. Par suite, l'arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts d'intérêt public en vue desquels cette mesure a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Gard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 16 mars 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt, qui rejette la requête d'appel de la préfète du Gard, n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Gard de délivrer un titre de séjour à Mme A... alors qu'il ressort des termes du jugement du 22 avril 2022 que le tribunal administratif de Nîmes a enjoint à la préfète du Gard de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale ". Par suite, les conclusions en injonction présentées par Mme A... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gonand, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à ce titre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Gonand.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète du Gard est rejetée.
Article 2 : Les conclusions en injonction présentées par Mme A... sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à Me Gonand, avocat de Mme A..., une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Gonand et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
N. Lasserre
Le président,
D. ChabertLa greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21121