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21/11/2023 | FRANCE | N°22DA02335

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 21 novembre 2023, 22DA02335


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 1er juin 2022 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord a prononcé sa révocation à titre disciplinaire à compter du 1er juillet 2022.



Par une ordonnance n° 2205843 du 7 novembre 2022, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Proc

dure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2022, et un mémoire en réplique enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 1er juin 2022 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord a prononcé sa révocation à titre disciplinaire à compter du 1er juillet 2022.

Par une ordonnance n° 2205843 du 7 novembre 2022, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2022, et un mémoire en réplique enregistré le 18 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Jamais, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 7 novembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er juin 2022 ;

3°) d'enjoindre à l'administration de procéder à sa réintégration et à la reconstitution de sa carrière dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du SDIS du Nord une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le premier juge ne pouvait donner acte de son désistement sur le fondement de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative dès lors qu'il avait expressément confirmé le maintien de sa demande au fond après le rejet de sa demande en référé suspension ;

- l'ordonnance attaquée a été rendue par le magistrat qui avait rejeté sa demande en référé, en méconnaissance du principe d'impartialité ;

- la sanction du 1er juin 2022 est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'inexactitude matérielle ;

- les faits reprochés ne présentent pas de caractère fautif ;

- la sanction est disproportionnée au regard de la gravité de ces faits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2022, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, représenté par Me Segard, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, au renvoi de l'affaire devant le tribunal administratif, ainsi qu'à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée ne révèle aucun manquement de son auteur à l'obligation d'impartialité ;

- les moyens soulevés par le requérant à l'encontre de la sanction ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 27 octobre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Jamais, représentant M. B..., et de Me Chochois, représentant le SDIS du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., sergent-chef de sapeurs-pompiers professionnels auprès du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, a été mis en cause au cours de l'année 2020 pour avoir enregistré des images vidéos à caractère sexuel concernant une jeune collègue, et les avoir diffusées, ainsi qu'une photographie présentant le même caractère sexuel. Estimant que l'intéressé avait manqué à son devoir de dignité et porté atteinte à l'image de l'établissement et de la profession, le président du conseil d'administration du SDIS a décidé, par un arrêté du 1er juin 2022, de prononcer sa révocation, avec effet au 1er juillet 2022. M. B... a demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Lille, et a saisi le juge des référés d'une demande de suspension, dans l'attente que la juridiction se prononce au fond. Par une ordonnance n° 2205807 du 19 août 2022, le juge des référés a rejeté la demande de suspension de M. B..., en l'absence de moyens sérieux. Cette ordonnance lui a été notifiée en l'invitant à confirmer le maintien de sa requête au fond, dans les conditions prévues par l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2205843 du 7 novembre 2022, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif a donné acte du désistement de M. B.... Celui-ci relève appel de l'ordonnance du 7 novembre 2022 et demande à la cour d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2022.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté ". Il résulte de ces dispositions que, pour ne pas être réputé s'être désisté de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, si cette demande est rejetée au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés, sous réserve que cette notification l'informe de cette obligation et de ses conséquences et à moins qu'il n'exerce un pourvoi en cassation contre l'ordonnance du juge des référés. Il doit le faire par un écrit dénué d'ambiguïté.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'ordonnance du juge des référés du 19 août 2022 rejetant la demande de suspension de M. B... au motif qu'aucun des moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté du 1er juin 2022 n'était propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté, a été notifiée à l'intéressé par un courrier daté du même jour, le 19 août 2022, et dont il a reçu notification le 22 août suivant. Par un courrier du 22 août 2022, réceptionné au greffe de la juridiction le même jour, M. B... a informé le tribunal administratif, dans des termes dénués d'ambiguïté, qu'il entendait maintenir sa requête à fin d'annulation de l'arrêté du 1er juin 2022. Dès lors, M. B..., qui avait confirmé le maintien de sa requête dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance du juge des référés, ne pouvait être regardé comme s'étant désisté dans les conditions prévues par l'article R. 612-5-2 précité. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le second moyen d'irrégularité soulevé à l'encontre de l'ordonnance attaquée, le requérant est fondé à soutenir que cette ordonnance donnant acte de son désistement est entachée d'irrégularité et doit être annulée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité de l'arrêté du 1er juin 2022 :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 532-5 du code général de la fonction publique que toute décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. Par cette disposition, le législateur a entendu imposer, à l'autorité qui prononce une sanction, l'obligation de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire intéressé, de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

6. L'arrêté du 1er juin 2022 mentionne qu'il est reproché à M. B..., " entre juin et novembre 2020, d'avoir capté et diffusé deux vidéos ainsi qu'une photo à caractère sexuel représentant l'une de ses collègues sans jamais recueillir son consentement ", et que ces faits sont constitutifs d'un manquement au devoir de dignité incombant à tout sapeur-pompier professionnel et d'une atteinte à l'image de l'établissement et à celle de l'ensemble de la profession de sapeur-pompier. Si l'arrêté attaqué rappelle les motifs pour lesquels le conseil de discipline a proposé de retenir une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans, l'énoncé des faits retenus par le SDIS du Nord pour infliger la sanction de révocation à M. B... sont suffisamment précis pour lui permettre de connaître les motifs de cette sanction. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'administration, qui n'était pas tenue de suivre l'avis du conseil de discipline, n'avait pas, pour répondre à son obligation de motivation, à expliquer les raisons pour lesquelles elle a regardé comme établis les trois faits litigieux précités, contrairement au conseil de discipline qui avait estimé que deux d'entre eux ne l'étaient pas. Les circonstances que l'arrêté attaqué ne précise ni les raisons pour lesquelles les vidéos présenteraient un caractère sexuel, ni celles ayant conduit l'administration à considérer que les faits retenus portent atteinte à l'image de la profession, ne sont de nature à révéler un défaut de motivation dès lors que, au vu des mentions portées dans cet arrêté, le requérant est en mesure de contester le caractère sexuel de la vidéo et les conséquences des faits reprochés sur la réputation du corps des sapeurs-pompiers. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 1er juin 2022 est insuffisamment motivé.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. En premier lieu, M. B... conteste la réalité des faits qui lui sont reprochés et reconnaît seulement avoir enregistré et diffusé une unique vidéo ne présentant aucun caractère sexuel. Toutefois, il ressort des procès-verbaux de son audition des 10 et 23 décembre 2020 et des procès-verbaux de deux de ses collègues, également datés du 10 décembre 2020, dont les constatations factuelles ont d'ailleurs été reprises par le tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe dans son jugement du 3 décembre 2021, que deux séquences vidéos comportant chacune une mise en scène explicitement sexuelle, distincte l'une de l'autre, et une photographie présentant également un caractère sexuel ont été captées par le requérant en juin et juillet 2020, puis diffusées à son initiative au sein du groupe constitué avec trois autres sapeurs-pompiers sur le réseau social Facebook, par l'intermédiaire de la messagerie Messenger. Il ressort des mêmes procès-verbaux que les deux vidéos mettent en scène M. B... et l'une de ses collègues, que celle-ci est présentée dénudée sur la photographie et que son identité a été précisée aux personnes auxquelles le requérant a envoyé ces vidéos et cette photographie. Si la collègue de M. B..., décédée le 23 novembre 2020, n'a pu confirmer que ces images avaient été captées à son insu, sa sœur et une autre sapeur-pompier ont confirmé qu'elle s'était plainte auprès d'elles de l'enregistrement des vidéos et de leur diffusion sans son consentement par le requérant, qui a d'ailleurs admis, lors de son audition du 10 décembre 2020, l'avoir filmée à son insu au moins à une occasion. L'action pénale engagée contre M. B... pour avoir porté atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui a été rejetée comme irrecevable par le jugement précité du 3 décembre 2021 au motif qu'une telle action est subordonnée à une plainte de la victime et que celle-ci n'avait pas exprimé avant son décès la volonté de porter plainte pour les faits litigieux, et non en raison d'une inexactitude matérielle de ces faits. Les attestations établies les 23 et 27 avril 2022 par les deux collègues du requérant sont dépourvues de force probante et ne sont pas de nature à contredire leurs déclarations précises et circonstanciées faites aux services de police, lors de leur audition le 10 décembre 2020. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le SDIS du Nord s'est fondé sur des faits inexacts pour le sanctionner.

8. En deuxième lieu, le comportement d'un fonctionnaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration. Il ressort des pièces du dossier que les images litigieuses ont été diffusées par M. B... au sein du service, auprès de ses collègues sapeurs-pompiers, sans se limiter au groupe de quatre collègues constitué sur Facebook. Il a ainsi admis, lors de son audition du 23 décembre 2020, avoir montré l'une au moins des vidéos à des personnes extérieures à ce groupe, également sapeurs-pompiers. Si M. B... soutient que les faits reprochés n'ont donné lieu à aucune publicité à l'extérieur du service et n'ont ainsi porté aucune atteinte à la profession de sapeur-pompier, la captation d'images à caractère sexuel impliquant deux membres de cette profession et leur diffusion parmi les agents du service d'incendie et de secours ont eu pour effet de perturber le bon fonctionnement de ce service. Ces faits présentent donc un caractère fautif et appellent une sanction. A cet égard, la circonstance que la captation et la diffusion des images litigieuses ne présentent aucun lien avec le décès de la collègue impliquée, survenu par suicide le 23 novembre 2020, est sans incidence sur leur caractère fautif.

9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que les faits retenus à l'encontre de M. B..., qui révèlent de sa part un comportement contraire à la dignité de la profession de sapeur-pompier, sont d'une particulière gravité que ni l'avis rendu par le conseil de discipline en faveur de la sanction la plus élevée du troisième groupe, ni son maintien en fonctions l'année précédant l'édiction de la sanction, ne sont de nature à atténuer. Il n'est pas établi que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire aurait considéré ces faits comme se trouvant à l'origine du décès de la collègue de M. B..., et en aurait tenu compte pour fixer la sanction. Alors même que le requérant donnait satisfaction dans ses fonctions et qu'il n'avait jamais été sanctionné auparavant, l'autorité disciplinaire n'a pas, compte tenu de la nature et de la particulière gravité des faits reprochés, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant, au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, la sanction du quatrième groupe de révocation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées à fin d'injonction.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SDIS du Nord, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. B... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme dont le SDIS du Nord demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2205843 du 7 novembre 2022 de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lille est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions du SDIS du Nord présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au service départemental d'incendie et de secours du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 novembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

N. Roméro

2

N° 22DA02335


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02335
Date de la décision : 21/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SHBK AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-21;22da02335 ?
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