Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 2 août 2022 et un mémoire enregistré le 4 août 2023, la société Parc éolien du camp Thibault, représentée par Me François Versini-Campinchi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 13 juin 2022 par lequel la préfète de la Somme a rejeté sa demande d'autorisation environnementale en vue de construire et d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune d'Essertaux ;
2°) de délivrer l'autorisation demandée et d'enjoindre à la préfète de la Somme de préciser les prescriptions applicables dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il ne porte pas une atteinte significative à la cathédrale d'Amiens et à la tour Perret.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
La clôture de l'instruction a été fixée au 4 septembre 2023 à 12 heures par ordonnance du 14 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Jean-Baptiste Duclercq représentant la société Parc éolien du camp Thibault.
Considérant ce qui suit :
1. La société du Parc éolien du camp Thibault a déposé le 8 décembre 2020 une demande d'autorisation environnementale en vue de construire et exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Essertaux. Par un arrêté du 13 juin 2022, la préfète de la Somme a rejeté cette demande. La société Parc éolien du camp Thibault demande l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 13 juin 2022 :
En ce qui concerne la motivation :
2. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent son fondement. Il explique notamment dans ses points 5 à 12, contrairement à ce que soutient la société requérante, pourquoi il considère que le projet présente une atteinte à la conservation des sites et des monuments, qui constitue l'un des intérêts à prendre en compte au titre de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Dès lors, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être écarté.
En ce qui concerne l'atteinte aux paysages et à la commodité du voisinage :
3. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) ".
4. Le refus opposé par la préfète de la Somme dans l'arrêté du 13 juin 2022 est uniquement motivé par l'atteinte à la cathédrale d'Amiens, classée au titre des monuments historiques depuis 1862 et inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, ainsi qu'à la tour Perret, également classée monument historique.
5. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.
S'agissant de la qualité du site d'implantation :
6. Il ressort que le projet s'implante sur un plateau agricole de grande culture ouverte de plein champ, entre les vallées de la Selle et de la Noye. Le site du projet, qui ne fait l'objet d'aucune protection, ne présente pas en lui-même d'intérêt particulier.
S'agissant du périmètre de protection de la cathédrale d'Amiens :
7. Un périmètre de protection maximale a été défini autour de la cathédrale d'Amiens et s'étend sur un rayon de 10 kilomètres. Il est complété par un périmètre de vigilance allant jusqu'à 15 kilomètres. Le projet est situé à 17 kilomètres de la cathédrale d'Amiens. Il est donc hors de ces périmètres.
S'agissant de la visibilité depuis la cathédrale d'Amiens :
7. Du sommet de la tour Nord de la cathédrale qui est accessible au public, le projet est visible dans le lointain. Toutefois, ses dimensions sur la ligne d'horizon n'apparaissent pas marquantes et le projet n'arrête pas le regard à la différence de la tour de télécommunications située dans le même angle. D'autres parcs en fonctionnement ou autorisés, aussi peu visibles, sont d'ailleurs déjà présents dans le même angle. Par suite, contrairement à ce qu'a retenu la préfète de la Somme, le projet ne porte pas une atteinte significative au monument classé, compte tenu de sa visibilité depuis celui-ci.
S'agissant de la covisibilité avec la cathédrale d'Amiens et avec la tour Perret :
8. Depuis la route nationale n°25 qui offre un point de vue sur les monuments d'Amiens, notamment sur les silhouettes de la cathédrale et de la tour Perret, le projet est visible et situé quasiment dans l'axe de cette route. Toutefois, il résulte des photomontages n° 83, 84 et 85 pris respectivement à 26, 23 et 22 kilomètres du projet qu'ainsi que le note l'étude paysagère, le projet éolien " reste anecdotique compte tenu de la taille très petite des éoliennes " depuis ces points de vue. Par ailleurs, la ligne d'horizon sur laquelle le projet apparaît, comporte d'autres parcs éoliens et d'autres éléments artificialisés comme des pylônes de télécommunications. Enfin, il n'est pas contesté qu'à une distance plus proche des monuments, le projet n'est plus visible depuis cette route nationale. Dans ces conditions, le projet ne porte pas une atteinte significative aux monuments amiénois que sont la cathédrale et la tour Perret.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société du parc éolien du camp Thibault est fondée à soutenir que c'est à tort que la préfète de la Somme a refusé de délivrer l'autorisation environnementale Par suite, aucun autre motif de refus n'étant invoqué, l'arrêté du 13 juin 2022 doit être annulé.
Sur la délivrance de l'autorisation et l'injonction :
10. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.
11. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt et dès lors que l'Etat n'a pas invoqué un autre motif de refus, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale sollicitée, d'autre part, en la renvoyant devant le préfet de la Somme pour fixer les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, enfin, en enjoignant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
12. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation ainsi délivrée par la cour et l'information des tiers, le maire d'Essertaux et le préfet de la Somme procéderont, dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt aux mesures de publicité prescrites par l'article R. 181-44 du code de l'environnement, à savoir un affichage du présent arrêt à la mairie d'Essertaux pendant une durée minimum d'un mois, une publication sur le site internet des services de l'Etat du département de la Somme pendant une durée minimale de quatre mois et un envoi de l'arrêt par le préfet aux conseils municipaux et aux autorités locales qui ont été consultées.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros à verser à la société Parc éolien du camp Thibault.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 13 juin 2022 de la préfète de la Somme est annulé.
Article 2 : L'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison est accordée à la société Parc éolien du camp Thibault.
Article 3 : La société Parc éolien du camp Thibault est renvoyée devant le préfet de la Somme pour fixer les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Somme de fixer les prescriptions mentionnées à l'article 3 dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Le préfet de la Somme et le maire d'Essertaux procèderont aux mesures de publicités prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement.
Article 6 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Parc éolien du camp Thibault au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien du camp Thibault, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme.
Copie en sera adressée au maire d'Essertaux.
Délibéré après l'audience publique du 19 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
Le rapporteur
Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme, chacun en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 22DA01723 2