Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 mars et 14 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 mars 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours professionnel pour le recrutement de magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire en vue de la session 2025 ;
2°) d'enjoindre au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de reconnaître son expérience professionnelle comme particulièrement qualifiante pour l'exercice des fonctions judiciaires et de l'autoriser à participer à ce concours ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice de produire les motifs ayant fondé le refus d'admission à concourir qui lui a été opposé et de condamner l'Etat au paiement d'une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens de l'instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 ;
- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;
- le décret n° 2024-772 du 7 juillet 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 juillet 2025, présentée par Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. La loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire a réformé les voies d'accès à ce corps en créant, à compter du 1er octobre 2024, un concours professionnel pour le recrutement de magistrats aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire, qui se substitue, à la fois, à l'intégration directe par recrutement sur titres et au concours dit complémentaire, prévus respectivement aux anciens articles 22 et 23 et à l'ancien article 21-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Aux termes de l'article 22 de cette ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi organique du 20 novembre 2023 : " Un concours professionnel est ouvert pour le recrutement de magistrats des second et premier grades de la hiérarchie judiciaire. / Les candidats au concours professionnel doivent remplir les conditions prévues à l'article 16. / Les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article et aux articles 23 et 24 sont remplies au plus tard à la date de la première épreuve du concours. (...) ". L'article 23 de cette ordonnance, dans la rédaction issue de cette loi organique, précise que ce concours professionnel est ouvert, notamment, aux personnes qui, outre la condition de diplôme prévue au 1° de l'article 17, justifient, pour le recrutement au second grade du corps judiciaire, d'au moins sept années " d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ". Enfin, les articles 25-1, 25-2 et 25-3 de cette même ordonnance prévoient que les lauréats du concours professionnel suivent, en qualité de stagiaires, une formation probatoire organisée par l'Ecole nationale de la magistrature comportant un stage en juridiction, à l'issue de laquelle un jury se prononce sur l'aptitude des stagiaires à exercer les fonctions judiciaires, ceux qui ont été déclarés aptes suivant ensuite une formation complémentaire jusqu'à leur nomination. Aux termes de l'article 39-3 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature, modifié par le décret du 7 juillet 2024 tirant les conséquences de la réforme des voies d'accès à la magistrature issue de la loi organique du 20 novembre 2023, les épreuves de ce concours comprennent une épreuve d'admissibilité consistant en une note de synthèse et une épreuve d'admission consistant en un entretien avec le jury. L'article 40 de ce décret fixe la durée de formation en qualité de stagiaire auprès de l'Ecole nationale de la magistrature à douze mois.
2. Il résulte de ces dispositions que la participation aux épreuves du concours professionnel, qui participe de l'ouverture du corps judiciaire, est subordonnée, pour le recrutement au second grade de ce corps, à la condition que, outre les diplômes requis, les intéressés justifient de sept années au moins d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer, à l'issue d'une formation de douze mois, des fonctions judiciaires. Si si l'administration dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour évaluer si l'expérience professionnelle d'un candidat le qualifie particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, cette condition implique nécessairement, compte tenu de la nature des épreuves du concours et de la durée de formation des lauréats, que soient strictement appréciées, outre la qualification juridique des intéressés, leur aptitude à juger, afin de garantir la qualité des décisions rendues, l'égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement refuser l'admission à concourir d'un candidat au motif du caractère non particulièrement qualifiant de son expérience professionnelle.
3. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 3 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser Mme A... à participer aux épreuves du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire, session 2025, au motif qu'elle ne justifiait pas de la condition d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour l'exercice des fonctions judiciaires. Mme A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
4. En premier lieu, la décision attaquée, qui vise les dispositions applicables au concours en cause ainsi que le dossier de candidature de l'intéressée, énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., titulaire du titre de comptable et de deux masters intitulés " Droit et justice " et " Droit et entreprise ", fait valoir qu'elle a exercé en tant qu'assistante de justice au tribunal judiciaire de Saint-Etienne pendant un peu moins de deux ans, entre avril 2011 et octobre 2013, parallèlement à ses fonctions de chargée d'enseignement vacataire à la faculté de droit de Saint-Etienne, puis en tant qu'analyste chargée de la gestion de dossiers de recouvrement amiable ou judiciaire dans une étude de commissaires de justice pendant six mois et dans les services du contentieux d'établissements bancaires pendant un peu plus de quatre ans, ensuite en tant que gérante d'une entreprise pendant plus de deux ans, de 2021 à 2023, enfin en tant que mandataire judiciaire à la protection des majeurs pendant 18 mois, d'avril 2023 à novembre 2024. Eu égard à la teneur et au positionnement hiérarchique des fonctions de Mme A... au sein de l'étude de commissaires de justice et des services du contentieux d'établissements bancaires, celles-ci ne peuvent être regardées comme particulièrement qualifiantes pour l'exercice des fonctions judiciaires, et il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée puisse, comme mandataire judiciaire à la protection des majeurs, se prévaloir de missions spécifiques de nature à caractériser ainsi cet exercice. Dès lors, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a pu, sans erreur d'appréciation, considérer que Mme A... ne justifiait pas de la condition d'expérience professionnelle prévue à l'article 23 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 et lui opposer, pour ce motif, un refus d'admission à concourir.
6. Il ne résulte enfin pas des pièces du dossier que la décision attaquée serait entachée d'une discrimination illégale eu égard, d'une part, aux conditions prévues par l'article 23 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 pour l'admission à concourir des juristes assistants et des attachés de justice et, d'autre part, au statut de travailleur handicapé de la requérante.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice lui ayant refusé l'admission à concourir pour le recrutement des magistrats du second grade de la hiérarchie judiciaire. Ses conclusions à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 4 août 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Nathalie Destais
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo