Vu la procédure suivante :
Sous chacun des numéros 502423 et 502425, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 mars, 4 et 22 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 3 mars 2025 par lesquelles le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de l'autoriser à participer aux épreuves du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats, respectivement, du premier grade et du second grade de la hiérarchie judiciaire, pour la session 2025 ;
2°) d'enjoindre au ministre d'Etat, garde de sceaux, ministre de la justice, de l'admettre à participer à chacun de ces deux concours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 ;
- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;
- le décret n° 2024-772 du 7 juillet 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juillet 2025 sous les deux numéros, présentée par Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique du litige :
1. La loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire a réformé les voies d'accès à ce corps en créant, à compter du 1er octobre 2024, un concours professionnel pour le recrutement de magistrats aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire, qui se substitue, à la fois, à l'intégration directe par recrutement sur titres et au concours dit complémentaire, prévus respectivement aux anciens articles 22 et 23 et à l'ancien article 21-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Aux termes de l'article 22 de cette ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi organique du 20 novembre 2023 : " Un concours professionnel est ouvert pour le recrutement de magistrats des second et premier grades de la hiérarchie judiciaire. / Les candidats au concours professionnel doivent remplir les conditions prévues à l'article 16. / Les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article et aux articles 23 et 24 sont remplies au plus tard à la date de la première épreuve du concours. (...) ". Les articles 23 et 24 de cette ordonnance, dans la rédaction issue de cette loi organique, précisent que ce concours professionnel est ouvert, notamment, aux personnes qui, outre la condition de diplôme prévue au 1° de l'article 17, justifient, respectivement pour le recrutement au second ou au premier grade du corps judiciaire, d'au moins sept ou quinze années " d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ". Enfin, les articles 25-1, 25-2 et 25-3 de cette même ordonnance prévoient que les lauréats du concours professionnel suivent, en qualité de stagiaires, une formation probatoire organisée par l'Ecole nationale de la magistrature comportant un stage en juridiction, à l'issue de laquelle un jury se prononce sur l'aptitude des stagiaires à exercer les fonctions judiciaires, ceux qui ont été déclarés aptes suivant ensuite une formation complémentaire jusqu'à leur nomination. Aux termes de l'article 39-3 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature, modifié par le décret du 7 juillet 2024 tirant les conséquences de la réforme des voies d'accès à la magistrature issue de la loi organique du 20 novembre 2023, les épreuves de ce concours comprennent une épreuve d'admissibilité consistant en une note de synthèse et une épreuve d'admission consistant en un entretien avec le jury. L'article 40 de ce décret fixe la durée de formation en qualité de stagiaire auprès de l'Ecole nationale de la magistrature à douze mois.
2. Il résulte de ces dispositions que la participation aux épreuves du concours professionnel, qui participe de l'ouverture du corps judiciaire, est subordonnée à la condition que, outre les diplômes requis, les intéressés justifient de sept ou de quinze années au moins d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social les qualifiant particulièrement pour exercer, à l'issue d'une formation de douze mois, des fonctions judiciaires. Si l'administration dispose d'un pouvoir d'appréciation pour évaluer si l'expérience professionnelle d'un candidat le qualifie particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, cette condition implique nécessairement, compte tenu de la nature des épreuves du concours et de la durée de formation des lauréats, que soient strictement appréciées, outre la qualification juridique des intéressés, leur aptitude à juger, afin de garantir la qualité des décisions rendues, l'égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier si le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement refuser l'admission à concourir d'un candidat au motif du caractère non particulièrement qualifiant de son expérience professionnelle.
Sur la légalité des décisions attaquées :
3. Il ressort des pièces des dossiers que, par deux décisions du 3 mars 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a refusé d'autoriser Mme A... à participer aux épreuves de la session 2025 du concours professionnel ouvert pour le recrutement des magistrats des premier et second grades de la hiérarchie judiciaire, au motif qu'elle ne justifiait pas remplir la condition d'expérience professionnelle dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, Mme A... demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions.
4. En premier lieu, les décisions attaquées, qui visent les dispositions applicables au concours en cause ainsi que le dossier de candidature de l'intéressée, énoncent les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent.
5. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'irrégularité qui aurait été commise au regard des formalités prévues par l'arrêté du 18 octobre 2024 portant ouverture du concours professionnel au titre de l'année 2025 n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., titulaire d'une maîtrise en sciences de gestion et d'un master 2 en droit de la santé, fait valoir ses fonctions de directrice générale ou de directrice des affaires juridiques, administratives et financières d'une société de transport sanitaire, de juillet 1999 à mai 2016, et d'une société de transport routier de fret, de janvier 2019 à janvier 2022, ainsi que ses fonctions de présidente fondatrice d'une société holding, dont les activités ne sont pas précisées, sur plusieurs périodes entre 2016 et 2024. Alors même que l'exercice depuis décembre 2022 de la fonction élective de conseillère prud'homale dont se prévaut par ailleurs l'intéressée ne permet pas, par elle-même, de regarder la condition d'expérience professionnelle comme remplie, il ne ressort pas des pièces du dossier que ses fonctions de cadre ou de dirigeante d'entreprise aient comporté une dimension juridique substantielle, ni qu'elles puissent être regardées, eu égard à leur teneur, comme lui conférant l'aptitude à juger recherchée à l'issue de la formation prévue pour les lauréats du concours professionnel. Dès lors, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a pu, sans erreur d'appréciation, estimer que Mme A... ne justifiait pas d'au moins quinze ni même sept années d'exercice professionnel dans le domaine juridique, administratif, économique ou social la qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires, et lui refuser, pour ce motif, sans erreur de droit, de prendre part au concours professionnel de recrutement aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire.
7. En quatrième lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre des décisions en litige, du profil des candidats admis à participer, au cours des années précédentes, à d'autres voies de recrutement de la magistrature. Elle ne peut davantage utilement invoquer les dispositions applicables aux candidats justifiant de qualifications et d'exercices professionnels spécifiques, prévues aux articles 23 et 24 de l'ordonnance organique. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance du principe d'égalité entre candidats ne peut qu'être écarté.
8. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice lui ayant refusé l'admission à concourir pour le recrutement aux second et premier grades de la hiérarchie judiciaire. Ses conclusions à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de Mme A... sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 4 août 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Nathalie Destais
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo