Vu la procédure suivante :
La société Sogefimur a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de prononcer la réduction de ses cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties, de taxe spéciale d'équipement et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016, 2018 et 2019 à raison de ses établissements commerciaux situés à Grand-Camp, sur le territoire de la commune des Abymes. Par un jugement n° 2101459, 2101460 et 2101461 du 26 janvier 2023, le tribunal a rejeté ses demandes.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mars et 27 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sogefimur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses demandes devant le tribunal administratif de la Guadeloupe ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Sogefimur ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sogefimur, assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à raison des locaux de huit établissements commerciaux lui appartenant sur le territoire de la commune des Abymes, a formé des réclamations tendant à la réduction des montants mis à sa charge au titre des années 2016, 2018 et 2019, contestant l'estimation de la valeur locative de ces locaux à laquelle l'administration avait procédé par la méthode de la comparaison avec des locaux-types situés sur le territoire de la même commune. Ces réclamations ayant été rejetées par décision de l'administration fiscale le 30 août 2021, elle se pourvoit en cassation à l'encontre du jugement du 26 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a confirmé ce rejet.
2. Aux termes de l'article 1498 du code général des impôts, dans sa version applicable en l'espèce aux impositions litigieuses : " La valeur locative de tous les biens autres que les locaux visés au I de l'article 1496 et que les établissements industriels visés à l'article 1499 est déterminée au moyen de l'une des méthodes indiquées ci-après : (...) / 2° a. Pour les biens loués à des conditions de prix anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative est déterminée par comparaison. / Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Ils peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel ; / b. La valeur locative des termes de comparaison est arrêtée : / Soit en partant du bail en cours à la date de référence de la révision lorsque l'immeuble type était loué normalement à cette date, / Soit, dans le cas contraire, par comparaison avec des immeubles similaires situés dans la commune ou dans une localité présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause et qui faisaient l'objet à cette date de locations consenties à des conditions de prix normales (...) ".
3. Aux termes du I de l'article 324 Z de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " L'évaluation par comparaison consiste à attribuer à un immeuble ou à un local donné une valeur locative proportionnelle à celle qui a été adoptée pour d'autres biens de même nature pris comme types ". Aux termes de l'article 324 AA de la même annexe : " La valeur locative cadastrale des biens loués à des conditions anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un titre autre que celui de locataire, vacants ou concédés à titre gratuit est obtenue en appliquant aux données relatives à leur consistance - telles que superficie réelle, nombre d'éléments - les valeurs unitaires arrêtées pour le type de la catégorie correspondante. Cette valeur est ensuite ajustée pour tenir compte des différences qui peuvent exister entre le type considéré et l'immeuble à évaluer, notamment du point de vue de la situation, de la nature de la construction, de son état d'entretien, de son aménagement, ainsi que de l'importance plus ou moins grande de ses dépendances bâties et non bâties si ces éléments n'ont pas été pris en considération lors de l'appréciation de la consistance ".
Sur le jugement en tant qu'il se prononce sur le local n° 101 0021022 B :
4. Pour l'application de la méthode d'évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux et biens divers prévue par les dispositions du 2° de l'article 1498 du code général des impôts, mentionnées au point 2, la différence de superficie entre le local-type et l'immeuble à évaluer, même significative, ne fait pas par elle-même obstacle à ce que ce local-type soit valablement retenu comme terme de comparaison. Dans ce cas, la valeur locative doit toutefois être ajustée afin de tenir compte de cette différence, par application du coefficient prévu à l'article 324 AA de l'annexe III à ce code.
5. Pour écarter le moyen tiré de l'incohérence entre les caractéristiques du local-type n° 41, d'une superficie de 147 m², retenu comme terme de comparaison par l'administration et celles du local appartenant à la société requérante, d'une superficie de 4 000 m², le tribunal administratif de la Guadeloupe s'est fondé sur ce que, nonobstant cette différence de surface, la société n'apportait aucun élément permettant d'établir cette incohérence, notamment fondé sur une différence entre les deux locaux comparés du point de vue de leur situation ou de leur état d'entretien. En écartant pour ce motif l'application de l'ajustement pour différence de superficie exposé au point 4, qui n'est pas subordonnée à d'autres conditions relatives à la situation ou à l'état d'entretien des locaux en cause, le tribunal a entaché son jugement d'erreur de droit.
Sur le jugement en tant qu'il se prononce sur les locaux n° 101 01955070 J, 101 0105324 Y, 101 0021018 G, 101 0010896 G et 101 0115505 T :
6. Pour arrêter la valeur locative de l'immeuble à évaluer, l'administration, faisant application de la méthode par comparaison, peut procéder par comparaisons itératives, pourvu qu'il n'existe pas pour chacune de ces évaluations un terme de comparaison plus approprié, que le terme de comparaison ultime ne soit pas inadéquat et que l'analogie de la situation économique des communes en cause puisse être admise. Toutefois, un local-type qui, depuis son inscription régulière au procès-verbal des opérations de révision foncière d'une commune, a été entièrement restructuré ou a été détruit ne peut plus servir de terme de comparaison pour évaluer directement ou indirectement la valeur locative d'un bien soumis à la taxe foncière au 1er janvier d'une année postérieure à sa restructuration ou à sa disparition.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour estimer la valeur locative des locaux en cause, l'administration a retenu comme termes de comparaison les deux locaux-types n° 50 et 51, qui avaient eux-mêmes été antérieurement évalués par comparaison avec un local-type n° 31 situé dans la commune voisine de Pointe-à-Pitre.
8. Pour écarter le moyen tiré de ce que le local-type n° 31 avait été détruit en 2004 et ne pouvait, de ce fait, servir de terme de comparaison indirect pour l'estimation de la valeur locative des locaux en cause, le tribunal s'est fondé sur ce que la société requérante n'établissait pas la réalité de cette destruction, alors que la copie du procès-verbal de révision des opérations foncières de la commune de Pointe-à-Pitre qu'elle produisait à l'appui de sa demande portait la mention expresse contraire, ce que reconnaît d'ailleurs le ministre en défense. Par suite, le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe est entaché sur ce point de dénaturation des pièces du dossier.
Sur le jugement en tant qu'il se prononce sur les locaux n° 101 0105323 C et 101 0195124 N :
9. Pour écarter le moyen tiré de ce que l'administration aurait dû se référer à d'autres locaux-types que celui qu'elle a retenu, situé sur la commune des Abymes, pour estimer la valeur locative des locaux en cause, le tribunal s'est fondé, par une appréciation souveraine des pièces du dossier non entachée de dénaturation, sur ce que la société requérante ne précisait pas exactement quels locaux-types auraient dû, selon elle, servir de référence parmi ceux qu'elle désignait, alors qu'y étaient exercées des activités différentes et qu'elle n'apportait aucun élément précis démontrant la pertinence de ces termes de comparaison. Si la société requérante soutient que le tribunal aurait entaché son jugement d'erreur de droit sur ce point, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société Sogefimur est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant qu'il a rejeté sa demande portant sur les locaux n° 101 0021022 B, 101 01955070 J, 101 0105324 Y, 101 0021018 G, 101 0010896 G et 101 0115505 T.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à la société Sogefimur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 26 janvier 2023 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de la société Sogefimur tendant à la réduction de ses cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre de 2016, 2018 et 2019 pour les locaux n° 101 0021022 B, 101 01955070 J, 101 0105324 Y, 101 0021018 G, 101 0010896 G et 101 0115505 T situés à Grand-Camp, sur le territoire de la commune des Abymes.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Guadeloupe dans la mesure de l'annulation prononcée.
Article 3 : L'Etat versera à la société Sogefimur la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Sogefimur est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Sogefimur et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2025 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 31 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Bachschmidt
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville