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25/07/2025 | FRANCE | N°504538

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 25 juillet 2025, 504538


Vu la procédure suivante :



Le syndicat des professionnels de la location meublée - Île-de-France, à l'appui de sa demande, présentée devant le tribunal administratif de Paris, tendant à l'annulation de la délibération des 17, 18, 19 et 20 décembre 2024 par laquelle la Ville de Paris a abaissé à 90 jours au cours d'une même année civile le plafond de location d'un meublé de tourisme déclaré comme la résidence principale du loueur à Paris, a produit un mémoire, enregistré le 26 février 2025 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 2

3-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une ques...

Vu la procédure suivante :

Le syndicat des professionnels de la location meublée - Île-de-France, à l'appui de sa demande, présentée devant le tribunal administratif de Paris, tendant à l'annulation de la délibération des 17, 18, 19 et 20 décembre 2024 par laquelle la Ville de Paris a abaissé à 90 jours au cours d'une même année civile le plafond de location d'un meublé de tourisme déclaré comme la résidence principale du loueur à Paris, a produit un mémoire, enregistré le 26 février 2025 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2504795 du 19 mai 2025, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande du syndicat, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 juin et 2 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des professionnels de la location meublée - Île-de-France soutient qu'en édictant les dispositions du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, sans préciser les conditions dans lesquelles une commune peut, par délibération motivée de son conseil municipal, abaisser jusqu'à quatre-vingt-dix jours le nombre maximal de jours qu'une personne peut donner en location un meublé de tourisme qu'elle a déclaré comme sa résidence principale, le législateur a méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l'occurrence la liberté d'entreprendre et le droit au maintien des contrats légalement conclus, d'une part, et l'exercice du droit de propriété, d'autre part, tels que ces droits et libertés sont garantis par les articles 2, 4, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il soutient en outre que les dispositions contestées portent, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits et libertés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du tourisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Gury et Maître, avocat du syndicat des Professionnels de la location Meublee - Île-de-France et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la ville de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2025 : " I. Pour l'application du présent article, les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l'usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois. / II. Toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme, que celui-ci soit classé ou non au sens du présent code, doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé. / Cette déclaration préalable n'est pas obligatoire lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l'article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986. / III. Par dérogation au II, dans les communes où le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à autorisation préalable au sens des articles L. 631-7 à L. 631-9 du code de la construction et de l'habitation une délibération du conseil municipal peut décider de soumettre à une déclaration préalable soumise à enregistrement auprès de la commune toute location d'un meublé de tourisme. / (...) / IV. Dans les communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement de la déclaration préalable mentionnée au III, toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale ne peut le faire au-delà de cent vingt jours au cours d'une même année civile, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure. / La commune peut, sur délibération motivée, abaisser le nombre maximal de jours de location mentionné au premier alinéa du présent IV, dans la limite de quatre-vingt-dix jours (...) ".

3. En premier lieu, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Il ressort des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption des dispositions du premier alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, ainsi que de celles, ultérieurement, de son deuxième alinéa, qu'elles visent à permettre à certaines communes de réguler l'offre de locations saisonnières aux touristes afin de diminuer les nuisances que causent ces dernières, d'une part, et de décourager la déclaration mensongère d'un local à usage d'habitation comme résidence principale afin d'en soustraire la location comme meublé de tourisme à l'autorisation préalable requise, le cas échéant, en application des articles L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation, d'autre part. Il s'ensuit que c'est nécessairement au regard de ces objectifs que les dispositions contestées du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme autorisent chaque commune à abaisser le plafond fixé au premier alinéa du même IV. Si elles ne permettent pas qu'une commune fixe des plafonds différenciés par quartier ou par zone du territoire qu'elle administre, ces dispositions, eu égard aux objectifs d'intérêt général ainsi poursuivis, ainsi qu'aux exceptions prévues par le premier alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, liées à une obligation professionnelle ou un motif de santé ou en cas de force majeure, et alors qu'elles préservent la faculté, quelle que soit la décision du conseil municipal, d'offrir une résidence principale à la location comme meublé de tourisme au moins quatre-vingt-dix jours par an, ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

4. En deuxième lieu, la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. " En l'absence de privation du droit de propriété, droit naturel et imprescriptible selon l'article 2 de la Déclaration de 1789, les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il appartient au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux de la propriété et des droits réels, de définir les modalités selon lesquelles les droits des propriétaires doivent être conciliés avec les limites apportées à leur exercice. Pour les mêmes motifs que ceux développés au point 3, les dispositions du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'exercice du droit de propriété.

5. En troisième lieu, ainsi que le rappellent les dispositions de l'article L. 221-4 du code des relations entre le public et l'administration, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur ou aux contrats formés avant cette date, sauf s'il en est disposé autrement par la loi. Dès lors que les dispositions contestées n'y autorisent pas expressément la commune, elles ne lui permettent pas de remettre en cause les situations légalement acquises à la date de l'entrée en vigueur de la délibération du conseil municipal ou les contrats formés avant cette date. Les dispositions contestées ne portent dès lors aucune atteinte à la liberté contractuelle et au droit au respect des situations légalement acquises.

6. Enfin, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi détermine les principes fondamentaux : / (...) / - du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales (...) ". La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Si le syndicat requérant soutient que le législateur n'a pas suffisamment précisé les modalités selon lesquelles une commune peut faire usage des dispositions du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, affectant ainsi les droits et libertés garantis par la Constitution, il appartient à celle-ci, par délibération motivée de son conseil municipal, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'abaisser le nombre maximal de jours pendant lesquels une personne peut donner en location un meublé de tourisme qu'elle a déclaré comme sa résidence principale, dans la limite de quatre-vingt-dix jours, au regard des objectifs du législateur rappelés au point 3. En édictant les dispositions du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme, le législateur n'a dès lors pas méconnu l'étendue de sa compétence.

7. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ne peut qu'être écarté, ainsi, en tout état de cause, que le grief tiré de l'atteinte disproportionnée que les dispositions contestées porteraient par elles-mêmes à la liberté d'entreprendre, à l'exercice du droit de propriété, à la liberté contractuelle et au droit au respect des situations légalement acquises.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité des dispositions du deuxième alinéa du IV de l'article L. 324-1-1 du code du tourisme aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat des professionnels de la location meublée - Île-de-France.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat des professionnels de la location meublée - Île-de-France, à la Ville de Paris et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 juillet 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Jérôme Goldenberg, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 25 juillet 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Planchette

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 504538
Date de la décision : 25/07/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2025, n° 504538
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SARL GURY & MAITRE ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:504538.20250725
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