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24/07/2025 | FRANCE | N°459110

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 24 juillet 2025, 459110


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance du 19 mai 2020, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif de Poitiers, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l'association Défense des milieux aquatiques.



Par un jugement n° 2001233 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a transmis au Conseil d'Etat cette requête.



Par cette requête, enregistrée le 6 av

ril 2020 au greffe du tribunal administratif de Paris, un mémoire complémentaire, un mémoire en...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 19 mai 2020, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au tribunal administratif de Poitiers, en application des dispositions de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l'association Défense des milieux aquatiques.

Par un jugement n° 2001233 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a transmis au Conseil d'Etat cette requête.

Par cette requête, enregistrée le 6 avril 2020 au greffe du tribunal administratif de Paris, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 25 mai, 31 août et 13 septembre 2021 au tribunal administratif de Poitiers et les 27 décembre 2022, 14 avril 2023 et 1er avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des milieux aquatiques demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre chargé de la pêche maritime a refusé d'abroger l'arrêté du secrétaire d'Etat auprès du ministre des transports du 12 décembre 1983 fixant les conditions d'exercice de chalutage dans le pertuis breton, le pertuis d'Antioche et le courreau d'Oléron ;

2°) d'enjoindre au ministre chargé de la pêche maritime d'abroger cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la même autorité de publier cette abrogation et de fermer totalement et définitivement la pêcherie au chalut dans les pertuis, quel que soit son type et l'espèce ciblée, dans toute la bande marine littorale des 3 milles nautiques ;

4°) de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

- la directive 2008/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 ;

- la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. L'arrêté ministériel du 12 décembre 1983 fixant les conditions d'exercice du chalutage dans le pertuis breton, le pertuis d'Antioche et le courreau d'Oléron autorise l'activité de chalutage en pêche professionnelle à l'intérieur de cette zone aux navires ayant une longueur inférieure à 12 mètres et une puissance disponible sur l'arbre inférieure à 73,6 kW (100 CV), dans le cadre d'un régime de licences délivrées par le préfet de la Charente-Maritime. L'association Défense des milieux aquatiques demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à sa demande tendant à ce que le ministre chargé de la pêche maritime abroge cet arrêté et interdise l'exercice de la pêche au chalut dans cette zone. A titre subsidiaire, elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à sa demande d'abroger certaines dispositions de cet arrêté, relatives aux dates d'autorisation du chalut à anguilles et au maillage minimal des filets qu'il prévoit.

Sur le cadre juridique :

2. En premier lieu, d'une part, l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, dit règlement " PCP ", prévoit, dans son point 1, que " la PCP garantit que les activités de pêche et d'aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire ", dans son point 2, que " la PCP applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable " et, dans son point 3, que " la PCP met en œuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum et vise à faire en sorte que les activités d'aquaculture et de pêche permettent d'éviter la dégradation du milieu marin ". Le point 2 de l'article 5 du même règlement prévoit que " dans les eaux situées à moins de 12 milles marins des lignes de base relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction, les États membres sont autorisés, jusqu'au 31 décembre 2032, à limiter la pêche aux navires de pêche opérant traditionnellement dans ces eaux à partir des ports de la côte adjacente ". Le point 1 de l'article 20 du même règlement permet à un Etat membre d'adopter, dans la zone des 12 milles marins, " des mesures non discriminatoires pour la conservation et la gestion des stocks halieutiques et le maintien ou l'amélioration de l'état de conservation des écosystèmes marins ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 922-3 du code rural et de la pêche maritime : " Des décrets fixent les conditions dans lesquelles peuvent être prises les mesures de détermination des règles relatives à la dimension du maillage des filets et aux caractéristiques techniques des navires ainsi que de définition des engins, instruments et appareils utilisés à des fins de pêche et des modes de pêche, d'autorisation de certains types ou procédés de pêche en vue d'une gestion rationnelle de la ressource de pêche, de définition du pourcentage de prises accessoires de certaines espèces pour certains types de pêche ou avec certains engins et de réglementation de l'emploi des appâts ". Aux termes de l'article D. 922-16 du même code : " L'usage des filets remorqués est interdit à moins de trois milles de la laisse de basse mer des côtes du continent et de celles des îles ou îlots émergeant en permanence ". Aux termes de l'article D. 922-17 du même code : " Par exception aux dispositions de l'article D. 922-16, lorsque la profondeur des eaux le permet ou lorsqu'une telle mesure ne remet pas en cause les exigences de la protection des ressources, l'autorité administrative désignée à l'article R. * 911-3 peut, par arrêté, autoriser l'usage des filets remorqués dans la bande littorale des trois milles. / Elle peut fixer également, dans ce cas, les caractéristiques des navires et celles de leurs filets ".

4. Il résulte de ces dispositions que, si l'usage des filets remorqués est interdit à moins de trois milles de la laisse de basse mer, l'autorité compétente peut l'autoriser, lorsque la profondeur des eaux le permet et que les exigences de la protection des ressources, telles que résultant notamment de l'approche de précaution et de l'approche écosystémique de la gestion des pêches, sont respectées.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, dite directive " Habitats ", qui définit le régime applicable aux zones spéciales de conservation appartenant au réseau dénommé " Natura 2000 " abritant des types d'habitats naturels figurant à l'annexe I et des habitats des espèces figurant à l'annexe II de cette directive, pour en assurer, ainsi que le prévoit l'article 3, le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable : " 1. Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d'autres plans d'aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d'habitats naturels de l'annexe I et des espèces de l'annexe II présents sur les sites. / 2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d'espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d'avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive. / 3. Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d'affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d'autres plans et projets, fait l'objet d'une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l'évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu'après s'être assurées qu'il ne portera pas atteinte à l'intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l'avis du public. / 4. Si, en dépit de conclusions négatives de l'évaluation des incidences sur le site et en l'absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l'État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Nature 2000 est protégée. L'État membre informe la Commission des mesures compensatoires adoptées. / Lorsque le site concerné est un site abritant un type d'habitat naturel et/ou une espèce prioritaires, seules peuvent être évoquées des considérations liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique ou à des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ou, après avis de la Commission, à d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur ". Font également partie du réseau " Natura 2000 " et sont régies par les mêmes obligations de protection découlant des paragraphes 2 à 4 de l'article 6 de la même directive, en vertu de son article 7, les zones de protection spéciale créées en vue de la conservation des espèces d'oiseaux mentionnées à l'annexe I de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages. Enfin, l'article 11 du règlement " PCP " habilite les Etats membres à " adopter des mesures de conservation qui n'ont pas d'incidences pour les navires de pêche des autres États membres, qui sont applicables dans les eaux relevant de leur souveraineté ou de leur juridiction et qui sont nécessaires aux fins de respecter [ces] obligations (...), à condition que ces mesures soient compatibles avec les objectifs énoncés à l'article 2 du présent règlement, permettent d'atteindre les objectifs de la législation pertinente de l'Union qu'elles ont pour but de mettre en œuvre, et ne soient pas moins strictes que les mesures en vertu du droit de l'Union ".

6. Pour la transposition des dispositions précitées de la directive " Habitats ", le V de l'article L. 414-1 du code de l'environnement dispose que : " Les sites Natura 2000 font l'objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l'objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces. / Ces mesures sont définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu'avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site. / Elles tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales. Elles sont adaptées aux menaces spécifiques qui pèsent sur ces habitats naturels et sur ces espèces. Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu'elles n'ont pas d'effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces. / (...) ". Aux termes de l'article L. 414-4 du même code : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. / (...) / II bis. - Les activités de pêche maritime professionnelle s'exerçant dans le périmètre d'un ou de plusieurs sites Natura 2000 font l'objet d'analyses des risques d'atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, réalisées à l'échelle de chaque site, lors de l'élaboration ou de la révision des documents d'objectifs mentionnés à l'article L. 414-2. Lorsqu'un tel risque est identifié, l'autorité administrative prend les mesures réglementaires pour assurer que ces activités ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation du site, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche maritime. Ces activités sont alors dispensées d'évaluation d'incidences sur les sites Natura 2000 ".

7. Il résulte des dispositions citées aux points 5 et 6 qu'il appartient à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures réglementaires pour assurer, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche, que les activités de pêche maritime professionnelle s'exerçant dans le périmètre d'un site Natura 2000 ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation des habitats et des espèces ayant justifié la délimitation du site. Il lui appartient, à cette fin, de prendre des mesures appropriées pour éviter, dans ce site, la détérioration de ces habitats ainsi que les perturbations significatives touchant ces espèces, afin d'y assurer leur maintien ou, le cas échéant, leur rétablissement, dans un état de conservation favorable.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé ". L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

Sur le refus d'abroger l'arrêté attaqué en tant qu'il autorise l'exercice du chalutage :

En ce qui concerne les moyens tirés des atteintes aux objectifs de conservation des sites Natura 2000 et de la méconnaissance des exigences de la protection des ressources :

9. Par dérogation à l'interdiction énoncée à l'article D. 922-16 du code rural et de la pêche maritime, l'arrêté du 12 décembre 1983 en litige autorise, sous les limites et conditions qu'il fixe, la pêche au chalut du poisson de courreaux, de la crevette et de l'anguille, ainsi que le chalutage d'appâts, dans la zone du pertuis breton, du pertuis d'Antioche et du courreau d'Oléron qu'il délimite, entièrement située à moins de trois milles de la laisse de basse mer. L'ensemble de cette zone est également incluse dans le périmètre de sites Natura 2000. Sont ainsi concernées, à titre principal, la zone spéciale de conservation des " Pertuis charentais " ainsi que la zone de protection spéciale " Pertuis charentais - Rochebonne ", qui comprennent l'essentiel de la zone couverte par l'arrêté contesté et s'étendent également plus au large, et les zones " Ile de Ré : Fier d'Ars " et " Fier d'Ars et fosse de Loix ", situées au nord de l'île de Ré. D'autres sites Natura 2000, s'étendant par ailleurs sur des espaces terrestres, recouvrent les portions restantes de la zone litigieuse. La délimitation de ces sites Natura 2000 est justifiée par la présence de plusieurs espèces et habitats protégés, en particulier des mammifères marins, tels que le grand dauphin et le marsouin commun, des poissons amphihalins, comme l'esturgeon d'Europe, la lamproie marine ou l'alose feinte, différentes espèces d'oiseaux protégées, ainsi que des habitats rocheux littoraux, des bancs d'hermelles ou de maërl et des herbiers de zostères. En application des dispositions du VIII de l'article L. 414-2 du code de l'environnement, l'élaboration et le suivi de la mise en œuvre du document d'objectifs sont assurés, pour les sites dont l'intitulé est mentionné ci-dessus, majoritairement situés dans le périmètre du parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, par le conseil de gestion de ce site, et, pour les autres sites concernés, en règle générale, par le préfet en association avec le comité de pilotage Natura 2000 compétent.

10. En premier lieu, l'association requérante soutient que l'autorisation de la pêche au chalut prévue par l'arrêté contesté est incompatible avec les obligations incombant à l'Etat dans les sites Natura 2000 concernés, dans la mesure où elle est susceptible de détériorer les habitats et de perturber significativement les espèces qui y sont protégés. En se fondant sur plusieurs études internationales et nationales, notamment des travaux de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, ainsi que sur des avis rendus par cet institut relatifs à des dérogations à l'interdiction de chalutage dans la bande des trois milles dans d'autres zones que celle en litige, elle fait valoir que la pêche au chalut est une activité ayant généralement pour effet, d'une part, par son caractère indiscriminé, d'induire des captures accidentelles pouvant perturber de manière significative les populations des espèces protégées ainsi que, notamment par la capture de juvéniles, celles des espèces exploitées, d'autre part, par ses effets abrasifs sur les fonds marins, de détériorer les habitats naturels protégés. Elle fait également valoir que les incidences de cette activité sont, en règle générale, accrues dans les eaux côtières telles que celles concernées par l'arrêté contesté, qui constituent des nourriceries pour les juvéniles de nombreuses espèces exploitées et des lieux de passage privilégiés notamment pour plusieurs poissons migrateurs. Elle fait de plus valoir que la pratique du chalutage du poisson de courreaux ou de crevettes porte indirectement atteinte à la bonne conservation des espèces protégées, notamment en réduisant leurs sources de nourriture et en générant de la pollution sonore. Elle relève enfin que plusieurs des espèces et habitats précités, qui ont justifié la délimitation des sites Natura 2000 concernés, connaissent un état de conservation défavorable au niveau international ou national, ou au niveau de leur aire de répartition dans l'Atlantique nord, et que le plan de gestion du parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, notamment dans les fiches descriptives des habitats et espèces d'intérêt communautaire qui y sont annexées, identifie les captures accidentelles dans des engins de pêche comme constituant des pressions potentielles pour les mammifères marins et les poissons amphihalins ainsi que pour certaines espèces d'oiseaux, et mentionne comme pression potentielle pour les habitats protégés l'effet abrasif de la pêche au chalut.

11. Toutefois, d'une part, il ressort également des fiches descriptives annexées au plan de gestion du parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, mentionnées au point précédent, que l'état de conservation, dans les sites " Natura 2000 " concernés, des habitats et espèces protégés susceptibles d'être perturbés par la pêche au chalut est, lorsqu'il a pu être évalué, qualifié de " bon " pour leur très grande majorité. Il en va ainsi notamment, dans les sites des " Pertuis charentais ", pour les petits cétacés et les poissons amphihalins ainsi que pour les récifs d'hermelles et de maërl. Si l'état de conservation de certaines espèces protégées d'oiseaux, notamment le puffin des anglais, le puffin des Baléares, le pingouin torda ou le guillemot de Troïl, est qualifié de " moyen / réduit ", il ne ressort pas de manière générale des études scientifiques produites que l'activité de pêche au chalut dans cette seule zone litigieuse serait responsable d'un niveau élevé de captures accidentelles ou aurait une incidence significative sur la conservation de ces espèces protégées, à l'échelle des sites concernés comme dans leur aire de répartition naturelle. D'autre part, ainsi que le soutient le ministre en défense, les volumes de captures d'espèces pêchées au chalut dans la zone délimitée par l'arrêté litigieux sont négligeables à l'échelle régionale et l'intensité de cette activité dans cette zone, autorisée de longue date, est faible et en baisse sur les dernières années. Ainsi, le nombre de licences attribuées pour le chalutage a diminué de 105 à 80 entre 2018 et 2023 et, sur les 80 navires autorisés à pêcher au chalut dans les pertuis pour l'année 2023, une trentaine seulement a effectivement exercé cette activité, dont une moitié entre 5 et 8 mois sur l'année et l'autre entre 2 et 4 mois. Le ministre soutient également sans être contesté que la pêche à la crevette n'est " pratiquement plus pratiquée " et que la pêche à l'anguille est " anecdotique ". L'incidence des filets sur les fonds marins apparaît en outre réduite par l'utilisation exclusive de chaluts de fond assortis de gréements dits " légers ", dont le niveau de pression sur le sol sous-marin est inférieur à 10 millibars, ainsi que cela ressort d'une étude du 19 février 2024 menée dans le cadre du projet " Contrast " piloté par l'association du Grand littoral Atlantique avec le concours scientifique de l'Ifremer. Enfin, l'arrêté contesté comporte diverses mesures de prévention visant à réduire les incidences de la pêche au chalut qu'il autorise sur l'écosystème marin, notamment par l'encadrement de la taille et de la puissance des navires, l'interdiction de pêcher à proximité des côtes, la limitation des prises accessoires et l'interdiction, s'agissant du chalut à anguilles, de le pourvoir d'un " racasseur " et de lester son bourrelet de plus de cinq kilogrammes. Ces mesures s'ajoutent aux autres mesures spécifiques à la zone de pêche concernée, en particulier l'interdiction, par un arrêté préfectoral du 9 juin 2015, de la pêche aux chaluts-boeufs de fond et aux chaluts pélagiques, ainsi qu'aux mesures générales de réglementation de la pêche applicables, notamment l'interdiction totale, ou à certaines dates, de capturer certaines espèces protégées, telles que l'esturgeon, la grande alose, l'alose feinte, le saumon ou l'anguille.

12. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que la pêche au chalut autorisée par l'arrêté contesté porterait atteinte au maintien ou au rétablissement dans un bon état de conservation des espèces et des habitats ayant justifié la délimitation des sites Natura 2000 concernés.

13. En second lieu, l'association requérante soutient que l'autorisation de la pêche au chalut dans la zone concernée porte atteinte aux exigences de la protection des ressources, dès lors qu'elle empêche les pertuis de jouer leur rôle de nourricerie pour plusieurs espèces exploitées, notamment la sole, le bar, la crevette, l'anguille et le maigre. Cependant, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'activité de pêche dans la zone considérée, qui est, ainsi qu'il a été dit au point 11, d'une faible intensité, aurait une incidence significative sur les espèces exploitées dans le golfe de Gascogne, cette incidence devant au demeurant s'apprécier au niveau de l'aire de répartition des espèces considérées et compte tenu des autres mesures de précaution existantes, telles que les quotas de pêche. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens :

14. En premier lieu, l'association requérante soutient que l'arrêté contesté méconnaît les dispositions du II bis de l'article L. 414-4 du code de l'environnement et est incompatible avec les objectifs de l'article 6 de la directive " Habitats ", dès lors qu'il ne prévoit pas, alors qu'il est constant que les analyses des risques d'atteinte aux objectifs de conservation des sites concernés prévues par les dispositions du II bis de l'article L. 414-4 du code de l'environnement n'ont pas été réalisés, que soient évaluées les incidences sur les sites Natura 2000 concernés des autorisations annuelles de pêche accordées par l'autorité compétente. Toutefois, l'arrêté contesté, qui prévoit seulement, en son article 4, que " préalablement à toute délivrance ou à tout visa annuel de la licence, l'autorité maritime s'assure que les navires nouvellement affectés au chalutage dans les courreaux répondent bien aux conditions [de taille et de puissance] visées à l'article 3 ", n'a en tout état de cause pas pour objet de régir les modalités selon lesquelles sont accordées les autorisations individuelles de pêche dans les sites Natura 2000 concernés. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

15. En deuxième lieu, l'association requérante ne saurait utilement soutenir que l'arrêté contesté, qui est en tout état de cause antérieur à la directive " Habitats ", et la décision implicite par laquelle le pouvoir réglementaire a refusé de l'abroger, qui n'entre pas dans les actes devant faire l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 en application des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement cité au point 6, seraient illégaux, faute d'avoir été précédés d'une telle évaluation.

16. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 11 et 13 que l'arrêté contesté n'est, en tout état de cause, pas incompatible avec les mesures du plan d'action pour le milieu marin pour le golfe de Gascogne, qui visent, conformément aux objectifs fixés par la directive 2008/56/CE du 17 juin 2008 établissant un cadre d'action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin, à " réaliser ou maintenir un bon état écologique du milieu marin " à l'échelle de cette zone.

17. En dernier lieu, l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1380/2013 relatif à la politique commune de la pêche prévoyant que, pour l'attribution des possibilités de pêche dont ils disposent, " les États membres utilisent des critères transparents et objectifs, y compris les critères à caractère environnemental, social et économique ", dès lors que cet arrêté n'a pas pour objet de réglementer cette attribution.

18. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles formulées dans la requête, qui ne sont pas pertinentes pour la solution du litige, l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du refus d'abroger l'arrêté attaqué, en tant qu'il autorise l'exercice du chalutage dans la zone litigieuse.

Sur le refus d'abroger les seules dispositions relatives aux dates d'autorisation du chalut à anguilles et au maillage minimal des filets :

19. En premier lieu, aux termes de l'article 9 bis de l'arrêté contesté : " Le chalut à anguilles ne doit pas être pourvu d'un "racasseur" et le lestage de son bourrelet ne peut excéder cinq kilogrammes. / Son utilisation est subordonnée aux restrictions suivantes : / (...) b) Dans le pertuis breton, il n'est autorisé qu'entre le 1er avril et le 30 septembre et uniquement dans le secteur compris à l'Est de la ligne joignant la pointe du Plomb à la pointe du Chiquet. Le navire qui utilise le chalut à anguilles ne doit pas détenir à son bord un autre chalut. / c) Dans le pertuis d'Antioche, il est autorisé toute l'année au Sud d'une ligne joignant la balise du Douhet, la bouée Nord-Ouest de la longe de Boyard, la bouée du Chaland (Nord-Ouest de l'île d'Aix) et la pointe de Châtelaillon sauf dans la zone visée au quatrième alinéa de l'article 10 ci-après ". L'association requérante soutient que ces dispositions sont illégales dès lors qu'elles autorisent l'utilisation du filet à anguille à des périodes de l'année où la capture de ce poisson n'est pas autorisée par les arrêtés actuellement en vigueur fixant les dates de pêche de l'anguille à ses différents stades de développement. Toutefois, les dispositions litigieuses n'ont ni pour objet, ni pour effet d'ouvrir la pêche de l'anguille hors des périodes où celle-ci est autorisée. Le moyen ne peut dès lors qu'être écarté.

20. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 5 de l'arrêté contesté : " La licence délivrée mentionne en outre la nature de l'activité et le maillage autorisé (50 mm pour le poisson de courreaux et 20 mm pour la pêche de la crevette et de l'anguille), la longueur maximum de la corde de dos et du bourrelet ".

21. D'autre part, le point 1 la partie B de l'annexe VII du règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques prévoit, pour les engins traînants, que " les navires utilisent un maillage d'au moins 70 mm " et que " les navires peuvent utiliser des maillages plus petits " sous conditions, et notamment un maillage d'au moins 16 mm pour la pêche ciblée des crevettes et celle des petites espèces pélagiques non mentionnées ailleurs dans l'article et d'au moins 55 mm pour la pêche ciblée des espèces non couvertes par des limites de captures non mentionnées ailleurs dans l'article.

22. Il résulte de ce qui précède que s'agissant du poisson de courreaux, le maillage minimal de 50 mm mentionné par l'arrêté contesté est incompatible avec celui de 70 mm prescrit par les dispositions du règlement (UE) 2019/1241 citées au point précédent, dès lors que la pêche du poisson de courreaux n'entre dans aucune des hypothèses où ces dispositions autorisent un maillage plus petit. S'agissant de l'anguille, si le ministre soutient que celle-ci doit être considérée comme une petite espèce pélagique pour laquelle un maillage de 16 mm minimum est prévu par les dispositions du règlement, il ressort au contraire des pièces du dossier que celle-ci doit être considérée comme une espèce benthique pour laquelle ces dispositions imposent un maillage minimum de 55 mm s'agissant de la pêche ciblée, de sorte que le maillage minimal mentionné par l'arrêté contesté est également incompatible avec ces prescriptions. Dès lors, l'association requérante est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle refuse d'abroger les dispositions de l'article 5 de l'arrêté contesté relatives au maillage minimal autorisé pour la pêche du poisson de courreaux et de l'anguille.

Sur l'étendue de l'annulation prononcée et les conclusions à fin d'injonction :

23. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante est seulement fondée à demander l'annulation de la décision attaquée dans la mesure indiquée au point 22. Cette annulation implique nécessairement l'abrogation de ces dispositions. Il y a donc lieu pour le Conseil d'Etat d'enjoindre à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder à cette abrogation dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision implicite, par laquelle le ministre chargé de la pêche maritime a refusé d'abroger les dispositions de l'article 5 de l'arrêté ministériel du 12 décembre 1983 fixant les conditions d'exercice de chalutage dans le pertuis breton, le pertuis d'Antioche et le courreau d'Oléron, relatives au maillage minimal autorisé pour la pêche du poisson de courreaux et de l'anguille, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche d'abroger ces dispositions dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Défense des milieux aquatiques est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Défense des milieux aquatiques, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée à la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'Etat.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 juillet 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 459110
Date de la décision : 24/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2025, n° 459110
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Jau
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:459110.20250724
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