Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler la décision implicite née du silence gardé par l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers " de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) sur sa demande indemnitaire présentée le 25 avril 2018 et, d'autre part, de condamner cet établissement à lui verser la somme de 46 313 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de sa décision du 22 juillet 2014 prononçant son licenciement. Par un jugement n° 1807047 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21VE00346 du 12 septembre 2023, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur appel de Mme A..., a condamné l'EHPAD " Les Marronniers " à lui verser la somme de 1 000 euros, intérêts inclus, et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 13 novembre 2023 et 12 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en ce qu'il ne lui a pas donné plus ample satisfaction ;
2°) de mettre à la charge de l'EHPAD " Les Marronniers " la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Galy Isabelle, avocat de Mme A... et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de l'EHPAD " Les Marronniers ".
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., exerçant en qualité d'aide médico-psychologique, sous contrat à durée indéterminée, au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Les Marronniers ", a été licenciée, pour motif disciplinaire, par une décision du directeur de cet établissement du 22 juillet 2014. Cette décision a été annulée par un jugement du 23 mai 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, passé en force de chose jugée après avoir été confirmé par un arrêt du 10 avril 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles. Mme A..., qui n'a pas été réintégrée par l'établissement à la suite de cette procédure, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de le condamner à lui verser la somme de 46 313 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis. Par un jugement du 1er décembre 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Mme A... se pourvoit en cassation, en tant qu'il ne lui a pas donné plus ample satisfaction, contre l'arrêt du 12 septembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur son appel, a condamné l'EHPAD " Les Marronniers " à lui verser la somme de 1 000 euros, tous intérêts compris, en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur les pertes de rémunérations :
2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, y compris au titre de la perte des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre s'il était resté en fonctions. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Lorsque l'agent se borne à solliciter le versement d'une indemnité en réparation de l'illégalité dont la mesure prise à son encontre est entachée, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte et déterminée en tenant compte notamment de la nature et de la gravité des illégalités affectant la mesure d'éviction, de l'ancienneté de l'intéressé, de sa rémunération antérieure ainsi que, le cas échéant, des fautes qu'il a commises.
3. En premier lieu, après avoir relevé qu'il résultait du jugement du tribunal administratif du 23 mai 2017, passé en force de chose jugée, que la décision de licencier Mme A... était entachée d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'EHPAD " Les Marronniers " à son égard, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de ses pertes de revenus en retenant qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre cette perte de revenus et cette faute, dès lors que Mme A... n'avait pas demandé à être réintégrée dans les effectifs de l'EHPAD et avait, peu après son licenciement, entrepris une reconversion professionnelle comme infirmière libérale. En statuant ainsi, alors qu'il lui revenait uniquement de faire application des principes rappelés au point 2 la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
Sur les droits à pension de retraite :
4. D'une part, l'annulation d'une décision licenciant illégalement un agent public implique nécessairement, au titre de la reconstitution de sa carrière, la reconstitution des droits sociaux, notamment des droits à pension de retraite, qu'il aurait acquis en l'absence de l'éviction illégale.
5. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. "
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment de la demande de première instance de Mme A..., que celle-ci demandait : " la reconstitution de ses droits sociaux, en particulier de ses droits à pension de retraite qu'elle aurait acquis en l'absence d'éviction illégale ". La cour administrative d'appel ne s'est pas méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie en estimant que celles-ci devaient être regardées comme tendant à ce que l'administration prenne les mesures propres à assurer la reconstitution de ses droits sociaux en conséquence de l'annulation de son licenciement par le jugement du 23 mai 2017. Elle n'a, ensuite, pas commis d'erreur de droit en rejetant ces conclusions au motif qu'une telle demande se rapportait à l'exécution de ce jugement selon la procédure prévue à l'article L. 911-4 du code de justice administrative et relevait, dès lors d'un litige distinct de la requête indemnitaire qui lui était soumise, au soutien de laquelle des conclusions tendant au versement de cotisations sociales aux organismes compétents ne pouvaient être présentées régulièrement.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il statue sur ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice de pertes de revenus, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen articulé par le pourvoi au soutien de ces conclusions.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EHPAD " Les Marronniers " la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 12 septembre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il statue sur le préjudice de Mme A... au titre des pertes de rémunération.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'EHPAD " Les Marronniers " versera à Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et les conclusions de l'EHPAD " Les Marronniers " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Les Marronniers ".
Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 21 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras