Vu la procédure suivante :
La société IDF Habitat a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du maire de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) du 23 janvier 2025 ordonnant la cessation immédiate des travaux de démolition sur la parcelle E n° 100 située 13 avenue Roger Salengro et 2-14 rue Paul Langevin. Par une ordonnance n° 2502359 du 16 avril 2025, la juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 2 et 19 mai et 2 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société IDF Habitat demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, de faire droit à sa demande en référé ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Champigny-sur-Marne la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société IDF Habitat et à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la commune de Champigny-sur-Marne.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. La société IDF Habitat se pourvoit en cassation contre l'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Melun du 16 avril 2025 refusant de faire droit à sa demande, présentée sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 janvier 2025 par lequel le maire de la commune de Champigny-sur-Marne a ordonné la cessation immédiate des travaux de démolition sur la parcelle cadastrée E n° 100 située 13 avenue Roger Salengro et 2-14 rue Paul Langevin.
3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. " L'article L. 522-1 du même code prévoit que : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale (...) ". Aux termes de l'article R. 522-8 du même code : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close. Il ne saurait, en toute hypothèse, rendre son ordonnance tant que l'instruction est en cours sans entacher la procédure d'irrégularité.
5. Il ressort des pièces de la procédure que, postérieurement à l'audience qui s'est tenue le 5 mars 2025 à 14 heures, la juge des référés du tribunal administratif a différé la clôture de l'instruction au 7 mars 2025 à 17 heures. Toutefois, plusieurs mémoires présentés après cette date ont été communiqués les 11, 12 et 13 mars. Or, il ressort des pièces de la procédure qu'en dépit des mentions portées sur l'ordonnance attaquée, aucune nouvelle clôture de l'instruction n'a été régulièrement notifiée aux parties. Par suite, en notifiant l'ordonnance attaquée le 16 avril 2025 alors que l'instruction n'était pas close, la juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'irrégularité.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société IDF Habitat est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
7. Il y a lieu régler l'affaire au titre des pouvoirs du juge des référés par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. D'une part, aux termes de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. "
9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une visite, le 28 novembre 2024, du chantier de démolition dont la société IDF Habitat est maître d'ouvrage, par un inspecteur d'hygiène et de salubrité de la commune de Champigny-sur-Marne, le maire de la commune a, le 4 décembre suivant, mis la société en demeure, dans un délai de huit jours, de mettre en place une technique d'abattage des poussières tout au long du chantier ainsi " (qu') une protection adéquate du mur mitoyen ", de mettre à jour le calendrier prévisionnel des travaux et de vérifier l'information donnée aux riverains, de " clarifier " l'alarme stridente qui avait été entendue, de faire respecter les horaires de chantier ainsi que de réaliser et de transmettre aux services de la commune des " analyses régulières des niveaux de poussière (pendant et après démolition), par un laboratoire agréé et accrédité " COFRAC " incluant des mesures spécifiques pour les concentrations de fibre d'amiante ", sous peine des mesures administratives et judiciaires nécessaires, " y compris l'arrêt des travaux ". A la suite de nouvelles visites de l'inspecteur d'hygiène et de salubrité, le maire a, par un arrêté du 23 janvier 2025, pris sur le fondement de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales cité au point précédent, ordonné la cessation immédiate des travaux de démolition, subordonnant la mainlevée de cette interdiction à la mise en place " des protections nécessaires contre la dispersion des poussières sur l'ensemble des murs mitoyens concernés ", à la réalisation de " prélèvements continus des poussières durant toute la durée des travaux afin de détecter d'éventuelles particules amiantées non détectées par les diagnostics " et à la transmission " à la mairie des rapports d'analyse certifiés par un laboratoire agréé attestant de l'absence de fibres d'amiante en suspension dans l'air ambiant durant les travaux de démolition ".
10. Il résulte de l'instruction que les visites de chantier mentionnées au point 9 n'ont donné lieu à aucun procès-verbal, seules des photographies ayant été prises, et qu'une " attestation de constat d'infraction " a été établie le 7 mars 2025, plusieurs mois après les dates des visites indiquées, soit les 28 novembre 2024, 7 janvier et 14 janvier 2025, alors, au surplus, que l'arrêté litigieux fait, quant à lui, état d'une visite en date du 17 janvier 2025 pour des " dépôts de poussière " sur le sol, le mur séparatif, certaines façades de maisons ainsi que divers végétaux, sans qu'aucune mesure ni analyse de la nature de ces poussières n'ait été effectuée et sans qu'aucune précision ne soit donnée sur la base légale de ces infractions. Alors que la société IDF Habitat avait, pour sa part, justifié la réalisation de travaux de désamiantage avec des mesures de détermination de la concentration en fibres d'amiante dans l'air, le maire s'est fondé sur ces seuls éléments pour estimer qu'un risque de dissémination de " particules potentiellement toxiques et amiantées " persistait de façon telle qu'il justifiait le prononcé immédiat de la cessation des travaux. Le moyen tiré de ce que le maire a ainsi commis une erreur d'appréciation quant à l'existence d'un danger grave et imminent de nature à justifier le prononcé de la cessation des travaux, sur le fondement de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, est propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté litigieux, alors, au surplus, que les analyses que la société requérante a fait diligenter à partir de prélèvements de poussière effectués sur le site, le 27 janvier, 2025, soit quatre jours après l'interruption des travaux, indiquent qu'aucune fibre d'amiante n'a été détectée.
11. D'autre part, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
12. Si les risques d'occupation illicite du site évoqués par la société IDF Habitat ne sont pas avérés, il n'en reste pas moins que l'état de démolition inachevée dans lequel se trouve le troisième bâtiment du site compromet son intégrité structurelle, est de nature à provoquer, notamment en cas d'intempéries, des chutes de débris et crée ainsi un risque pour la sécurité publique, quand bien même le site demeure sous surveillance. Une telle situation ne saurait perdurer alors, au surplus, qu'une partie des conditions mises par l'arrêté litigieux à la mainlevée de la cessation des travaux tenant à la réalisation de mesures d'analyse des niveaux de poussière ne peut, en tout état de cause, être réalisée avant la reprise du chantier. L'urgence qui s'attache ainsi à la reprise du chantier ne saurait être mise en balance avec un intérêt public qui justifierait le maintien de l'exécution de l'arrêté litigieux, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 10 les risques sanitaires qu'induirait l'émission de poussières du chantier ne peuvent être tenus, en l'état de l'instruction, pour établis.
13. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués la société IDF Habitat, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 janvier 2025 par lequel le maire de la commune de Champigny-sur-Marne a prononcé la cessation immédiate des travaux de démolition sur la parcelle cadastrée E n° 100 située 13 avenue Roger Salengro et 2-14 rue Paul Langevin, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa demande enregistrée au tribunal administratif de Melun sous le n° 2502373.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Champigny-sur-Marne la somme de 4 000 euros à verser à la société IDF Habitat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société IDF Habitat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance de la juge des référés du tribunal administratif de Melun du 16 avril 2025 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du maire de la commune de Champigny-sur-Marne du 23 janvier 2025 est suspendue, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la demande de la société IDF Habitat enregistrée au tribunal administratif de Melun sous le n° 2502373.
Article 3 : La commune de Champigny-sur-Marne versera à la société IDF Habitat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Champigny-sur-Marne présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société IDF Habitat et à la commune de Champigny-sur-Marne.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2025 où siégeaient : M. Alain Seban, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 16 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Alain Seban
La rapporteure :
Signé : Mme Sarah Houllier
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras