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11/07/2025 | FRANCE | N°500738

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 11 juillet 2025, 500738


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 janvier et 9 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'écarter des débats le compte-rendu qu'il a établi le 21 mai 2024 et son courrier électronique du 17 mai 2024 ;



2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 décembre 2024 par laquelle l'autorité militaire de premier niveau lui a infligé une sanction du premier groupe de 15 jours d

'arrêts ;



3°) d'enjoindre à l'administration de retirer de son dossier toute menti...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 janvier et 9 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'écarter des débats le compte-rendu qu'il a établi le 21 mai 2024 et son courrier électronique du 17 mai 2024 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 décembre 2024 par laquelle l'autorité militaire de premier niveau lui a infligé une sanction du premier groupe de 15 jours d'arrêts ;

3°) d'enjoindre à l'administration de retirer de son dossier toute mention de cette sanction ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de la défense ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision n° 2025-1137 QPC du Conseil constitutionnel du 30 avril 2025 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., capitaine de la gendarmerie nationale, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 décembre 2024 par laquelle l'autorité militaire de premier niveau lui a infligé la sanction du premier groupe de 15 jours d'arrêts.

Sur la légalité externe de la décision :

2. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la procédure disciplinaire au terme de laquelle M. B... a été sanctionné aurait été conduite en méconnaissance du principe d'impartialité. La circonstance que la décision litigieuse reprenne la motivation d'une précédente sanction qui lui avait été infligée à raison des mêmes faits, avant d'être retirée par l'administration, est sans incidence à cet égard.

3. En deuxième lieu, la décision attaquée est suffisamment motivée.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Par la décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025, le Conseil constitutionnel a jugé ce principe applicable aux militaires poursuivis disciplinairement sur le fondement de l'article L. 4137-1 du code de la défense.

5. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

6. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés ci-dessus, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

7. Contrairement à ce que soutient le requérant, la demande de son supérieur hiérarchique, antérieure à l'engagement de la procédure disciplinaire, tendant à ce qu'il rédige un compte-rendu exposant les circonstances qui l'ont conduit à adresser le courriel du 17 mai 2024 ne peut, en tout état de cause, être regardée comme un détournement du pouvoir hiérarchique en vue de le priver de la garantie associée au droit qu'il avait de se taire dans le cadre de la procédure disciplinaire.

8. En quatrième lieu, en l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen. Toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté. Dès lors que le ministre soutient, sans être sérieusement contredit, que la destinataire du courriel adressé par M. B... le 17 mai 2024, a elle-même transmis ledit courriel à la hiérarchie du requérant, le moyen tiré de ce que ce courriel aurait été obtenu en méconnaissance de l'obligation de loyauté de l'employeur ne peut qu'être écarté. Pour le même motif, il n'y a pas lieu d'écarter cette pièce des débats devant le juge. Il en va de même pour le compte-rendu mentionné au point 7.

Sur la légalité interne de la décision :

9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, d'une part, M. B... a adressé le 17 mai 2024 un courriel à la personne chargée du secrétariat et des licences du club loisirs et sports de la gendarmerie nationale de son département, demandant que soit réexaminée la situation de son fils, qui avait été exclu de la salle de sport de ce club à la suite d'une altercation avec plusieurs gendarmes, et indiquant, à l'appui de cette demande, que le commandant de caserne avait demandé que les gendarmes impliqués fassent l'objet d'une sanction disciplinaire. D'autre part, il ressort des comptes rendus concordants de plusieurs personnels de la gendarmerie que M. B..., invité par son supérieur hiérarchique à s'entretenir avec lui au sujet de l'envoi de ce courriel, a dans un premier temps refusé de se rendre dans son bureau en adoptant un ton véhément. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la sanction serait fondée sur des faits matériellement inexacts.

10. En second lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

11. D'une part, aux termes de l'article R. 434-5 du code de la sécurité intérieure : " I. - Le policier ou le gendarme exécute loyalement et fidèlement les instructions et obéit de même aux ordres qu'il reçoit de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public (...) ". Selon l'article R. 434-8 du même code : " Soumis aux obligations du secret professionnel et au devoir de discrétion, le policier ou le gendarme s'abstient de divulguer à quiconque n'a ni le droit, ni le besoin d'en connaître, sous quelque forme que ce soit, les informations dont il a connaissance dans l'exercice ou au titre de ses fonctions ". Aux termes de l'article R. 434-9 de ce code : " Le policier ou le gendarme exerce ses fonctions avec probité. Il (...) n'utilise pas à des fins étrangères à sa mission les informations dont il a connaissance dans le cadre de ses fonctions (...) ".

12. L'autorité militaire de premier niveau n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le comportement de M. B... constituait un manquement au devoir de discrétion et au devoir d'obéissance hiérarchique prévus par les dispositions citées au point précédent et présentait dès lors un caractère fautif.

13. D'autre part, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / a) L'avertissement ; / b) La consigne ; / c) La réprimande ; / d) Le blâme ; / e) Les arrêts ; / f) Le blâme du ministre ; (...) ".

14. Eu égard aux responsabilités de M. B..., et alors même que sa manière de servir donnerait, par ailleurs, satisfaction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, compte tenu de la nature des faits reprochés, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant, au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, une sanction d'arrêts de quinze jours, sanction du premier groupe, dispensée d'exécution.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 500738
Date de la décision : 11/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2025, n° 500738
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500738.20250711
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