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11/07/2025 | FRANCE | N°498661

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 11 juillet 2025, 498661


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 octobre 2024 et 25 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 2 septembre 2024 du directeur général de la gendarmerie nationale rejetant son recours hiérarchique contre la décision du 26 avril 2024 par laquelle le général de division commandant le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale lui a infligé la sanction de

25 jours d'arrêts, avec dispense d'exécution ;



2°) d'enjoindre à l'auto...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 octobre 2024 et 25 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 2 septembre 2024 du directeur général de la gendarmerie nationale rejetant son recours hiérarchique contre la décision du 26 avril 2024 par laquelle le général de division commandant le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale lui a infligé la sanction de 25 jours d'arrêts, avec dispense d'exécution ;

2°) d'enjoindre à l'autorité compétente de retirer de tous ses dossiers administratifs et de tout autre dossier et registre toute pièce relative à la sanction qui lui a été infligée, de la détruire et de lui en donner attestation, dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à venir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule ;

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision n° 2025-1137 QPC du Conseil constitutionnel du 30 avril 2025 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., alors capitaine de gendarmerie affecté à l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, s'est vu infliger, par une décision du 26 avril 2024 de l'autorité militaire de deuxième niveau, la sanction de vingt-cinq jours d'arrêts, avec dispense d'exécution. Par une décision du 2 septembre 2024, le directeur général de la gendarmerie nationale a rejeté le recours hiérarchique formé par M. A... contre cette décision de sanction. M. A... demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

2. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête de M. A... dirigées contre la décision par laquelle le directeur général de la gendarmerie nationale a rejeté son recours hiérarchique contre la décision de sanction du 26 avril 2024 doivent être regardées comme dirigées contre cette dernière.

Sur la régularité de la procédure disciplinaire :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Par une décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2024, le Conseil constitutionnel a jugé ce principe applicable aux militaires poursuivis disciplinairement sur le fondement de l'article L. 4137-1 du code de la défense.

4. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

5. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés ci-dessus, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

6. Il ressort des pièces du dossier que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos que M. A... aurait tenus lors de la procédure disciplinaire ni même, en tout état de cause, sur ceux qu'il a tenus lors de l'enquête administrative diligentée avant la décision d'engager une procédure disciplinaire à son encontre, prise le 16 janvier 2024. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision de sanction attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière, faute pour le requérant d'avoir été informé du droit qu'il avait de se taire, doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " (...) Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, (...) ". Aux termes de l'article R. 4137-15 du même code : " (...) Avant d'être reçu par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, le militaire a connaissance de l'ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de le sanctionner ". Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de conférer au militaire pour lequel une sanction disciplinaire est envisagée le droit d'obtenir de l'administration des pièces et documents autres que ceux sur lesquels l'autorité militaire entend se fonder pour prononcer sa sanction.

8. M. A... fait valoir que le dossier disciplinaire qui lui a été communiqué était incomplet en ce qu'il ne contenait pas les annexes de l'enquête administrative évoquée au point 6 et le signalement " stop-discri " à l'origine du déclenchement de cette enquête. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'autorité militaire s'est fondée exclusivement, pour le sanctionner, sur les faits ressortant du rapport de l'enquête administrative ainsi que de l'ensemble de comptes-rendus d'entretiens annexés à celui-ci, dont le requérant a reçu communication le 10 avril 2024. Il ne peut dès lors utilement soutenir que la procédure serait irrégulière du fait de l'absence de communication des annexes à ces entretiens et notamment du signalement lui-même dont, au demeurant, la teneur était résumée dans l'un de ces comptes-rendus.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Les décisions attaquées comportent un énoncé détaillé des considérations de droit et de fait qui ont justifié la sanction. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions attaquées doit, par suite, être écarté.

10. En quatrième lieu, si M. A... soutient que l'enquête administrative menée par l'inspection générale de la gendarmerie nationale l'aurait été à charge, il ne l'établit par aucun élément et il ne résulte au demeurant d'aucune pièce du dossier que l'enquête aurait été menée de manière partiale, cette dernière faisant au contraire état de plus d'une trentaine de témoignages circonstanciés.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

11. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 4122-3 du code de la défense : " Le militaire est soumis aux obligations qu'exige l'état militaire conformément au deuxième alinéa de l'article L. 4111 1. Il exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes de l'article D. 4137-1 du code de la défense : " (...) Le militaire adhère à la discipline militaire, qui respecte sa dignité et ses droits. / La discipline militaire répond à la fois aux exigences du combat et aux nécessités de la vie en communauté. Elle est plus formelle dans le service qu'en dehors du service, où elle a pour objet d'assurer la vie harmonieuse de la collectivité. ". Aux termes de l'article R. 434-6 du code de sécurité intérieure : " I. - Le supérieur hiérarchique veille en permanence à la préservation de l'intégrité physique de ses subordonnés. Il veille aussi à leur santé physique et mentale. Il s'assure de la bonne condition de ses subordonnés. (...) ". Il résulte de ces dispositions, ainsi que le rappelle la " charte du gendarme ", que le militaire de la gendarmerie qui exerce un commandement a des responsabilités et des devoirs proportionnels à son rang, à son grade et à ses fonctions et que les rapports qu'il entretient avec sa hiérarchie et ses subordonnés doivent être fondés sur une loyauté et un respect mutuels.

12. Il ressort des motifs de la décision attaquée que M. A... a été sanctionné pour n'avoir pas obéi à des ordres donnés, avoir refusé de rendre compte d'une altercation entre son supérieur hiérarchique et lui-même, avoir tenu des propos inappropriés et avoir adopté une attitude irrespectueuse à l'encontre de sa hiérarchie comme de ses subordonnés. D'une part, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction serait ainsi fondée sur des faits matériellement inexacts. D'autre part, en estimant que de tels faits de dénigrement, d'emportements colériques, de menaces envers ses subordonnés et de manque de respect à sa hiérarchie, constituaient des manquements à ses devoirs d'obéissance hiérarchique, de loyauté, de discernement et d'exemplarité, et donc des fautes de nature à justifier une sanction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas commis d'erreur d'appréciation.

13. En second lieu, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / (...) e) Les arrêts (...) ". Eu égard à la qualité d'officier de M. A... et au cumul des fautes commises, l'autorité militaire n'a pas, compte tenu de la nature des faits reprochés et au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant une sanction du premier groupe de vingt-cinq jours d'arrêts avec dispense d'exécution.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque et que ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre des armées.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 498661
Date de la décision : 11/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2025, n° 498661
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:498661.20250711
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