Vu la procédure suivante :
Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 août, 6 décembre 2024 et 30 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 juin 2024 par laquelle le ministre des armées lui a infligé la sanction de blâme du ministre ;
2°) d'enjoindre à l'administration de le rétablir sans délai, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble de ses droits, prérogatives et intérêts dont il aurait été privé par les effets de la décision en cause, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) d'enjoindre à l'autorité compétente et à ses services de retirer de tous ses dossiers administratifs et de tous autres dossiers détenus par l'administration, toute pièce relative à la sanction, de la détruire et d'en donner attestation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la décision n° 2025-1137 QPC du Conseil constitutionnel du 30 avril 2025 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., colonel de la gendarmerie nationale, demande l'annulation de la décision par laquelle le ministre des armées lui a infligé la sanction de blâme du ministre.
2. En premier lieu, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 4137-15 du même code : " Avant d'être reçu par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, le militaire a connaissance de l'ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de le sanctionner ". Dans le cas où l'agent public se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d'une pièce ou d'un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d'apprécier, au vu de l'ensemble des éléments qui ont été communiqués à l'agent, si celui-ci a été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense.
3. Si M. A... soutient que l'avis du 26 janvier 2024 de l'autorité militaire de premier niveau ne faisait pas partie du dossier disciplinaire qui lui a été communiqué, il ressort des pièces du dossier que cet avis se bornait à transmettre son dossier disciplinaire à l'autorité militaire supérieure et ne comportait aucun élément nouveau par rapport au dossier disciplinaire qui lui a été communiqué. Il suit de là que l'absence de cette pièce au dossier disciplinaire de l'intéressé ne l'a pas privé de la garantie d'assurer utilement sa défense.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Par la décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025, le Conseil constitutionnel a jugé ce principe applicable aux militaires poursuivis disciplinairement sur le fondement de l'article L. 4137-1 du code de la défense.
5. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.
6. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés ci-dessus, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.
7. Il est constant que M. A... n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire préalablement à son audition, le 25 janvier 2024, par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction litigieuse reposerait de manière déterminante sur des propos tenus par l'intéressé lors de cet entretien. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'absence de notification à M. A... du droit qu'il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire entacherait d'illégalité la sanction litigieuse doit être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 434-12 du code de la sécurité intérieure : " Le policier ou le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation ".
9. Pour prononcer la sanction litigieuse, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire s'est fondée sur la publication, par le requérant, sur un groupe de messagerie instantanée dont étaient membres, outre lui-même, son adjointe et des personnels civils et militaires placés sous ses ordres, de contributions inappropriées, à caractère notamment sexiste et sexuel et dont l'une visait la Première ministre. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce tels motifs reposeraient sur des faits matériellement inexacts. D'autre part, le ministre des armées n'a pas commis d'erreur d'appréciation en retenant que les faits reprochés à M. A..., officier supérieur en situation de commandement, étaient constitutifs d'une faute de nature à justifier légalement une sanction, même si les propos incriminés ont été tenus au sein d'un groupe de discussion limité à quelques membres de son unité et si ces échanges sont intervenus en partie en-dehors du service.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / f) Le blâme du ministre ". Eu égard aux responsabilités de M. A..., et alors même que sa manière de servir aurait donné satisfaction, le ministre des armées n'a pas, compte tenu de la nature des faits qui lui ont été reprochés et au regard du pouvoir d'appréciation dont il disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant une sanction du premier groupe de blâme du ministre.
11. En cinquième lieu, si M. A... soutient que la mutation dont il a fait l'objet doit être regardée comme une sanction déguisée prononcée pour les mêmes faits, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que cette décision de mutation a été prise dans l'intérêt du service et était motivée par le souci de rétablir un fonctionnement serein de son ancienne unité dans un contexte de préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 pour lesquels celle-ci était engagée.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre des armées.