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11/07/2025 | FRANCE | N°496653

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 11 juillet 2025, 496653


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 août 2024, 11 janvier, 16 avril et 26 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 mai 2024 par laquelle le général commandant la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé un blâme ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'a

rticle L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;
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Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 août 2024, 11 janvier, 16 avril et 26 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 mai 2024 par laquelle le général commandant la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé un blâme ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 61-1 et 62 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la défense ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision n° 2025-1137 QPC du Conseil constitutionnel du 30 avril 2025 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., capitaine de gendarmerie, a fait l'objet le 23 mai 2024 d'un blâme infligé par le général commandant de la région de gendarmerie Auvergne-Rhône Alpes pour des faits commis entre 2019 et 2023, lorsqu'il commandait une brigade territoriale autonome.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense ".

4. Par une décision n° 492409 du 7 février 2025, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense. Par sa décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots " et à la présentation de sa défense " figurant au cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A..., qui est dirigée contre les mêmes dispositions.

Sur la requête de M. A... :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Par la décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025 mentionnée au point précédent, le Conseil constitutionnel a jugé ce principe applicable aux militaires poursuivis disciplinairement sur le fondement de l'article L. 4137-1 du code de la défense.

6. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

7. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés ci-dessus, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

8. En l'espèce, d'une part, si la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. A... a notamment fait suite à une enquête administrative sollicitée par l'inspection générale de la gendarmerie nationale, par lettre du 19 octobre 2022, après que celle-ci a été informée d'éventuels manquements de l'intéressé à ses obligations, il résulte de ce qui précède que celui-ci n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait dû être informé du droit qu'il avait de se taire au cours de cette enquête, conduite avant l'engagement de toute procédure disciplinaire et que les règles d'administration de la preuve auraient ainsi été méconnues. D'autre part, à supposer même que M. A... n'ait pas été informé du droit qu'il avait de se taire avant d'être entendu lors de la procédure disciplinaire sur les manquements qui lui étaient reprochés, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction litigieuse reposerait de manière déterminante sur des propos tenus par l'intéressé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'absence de notification à M. A... du droit qu'il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire entacherait d'illégalité la sanction litigieuse doit, en tout état de cause, être écarté.

9. En deuxième lieu, il ressort des motifs de la décision attaquée que M. A... a été sanctionné pour avoir, dans l'exercice de son commandement, manqué à ses obligations par sa négligence dans l'établissement des services, par l'utilisation d'un vocabulaire grossier pour s'adresser à ses personnels, l'instauration de différences de traitement et le dénigrement de certains de ses subordonnés les moins qualifiés, par l'exercice d'une pression excessive sur ses agents pour la gestion des procédures pénales et par son comportement et ses propos inappropriés relatifs à la vie privée d'une gendarme. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'enquête de commandement et des témoignages circonstanciés des gendarmes entendus dans ce cadre, que ces faits sont matériellement établis.

10. En troisième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 4122-3 du code de la défense : " Le militaire est soumis aux obligations qu'exige l'état militaire conformément au deuxième alinéa de l'article L. 4111-1. Il exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes de l'article R. 434-6 du code de sécurité intérieure : " I. - Le supérieur hiérarchique veille en permanence à la préservation de l'intégrité physique de ses subordonnés. Il veille aussi à leur santé physique et mentale. Il s'assure de la bonne condition de ses subordonnés. (...) ". Il résulte de ces dispositions, ainsi que le rappelle la " charte du gendarme ", que le militaire de la gendarmerie qui exerce un commandement a des responsabilités et des devoirs proportionnels à son rang, à son grade et à ses fonctions et que les rapports qu'il entretient avec ses subordonnés doivent être fondés sur une loyauté et un respect mutuels.

12. Pour prononcer la sanction litigieuse, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire s'est notamment fondée sur la circonstance que l'enquête administrative avait permis de mettre en évidence un harcèlement moral, en raison des agissements et manquements de M. A... cités au point 9, qui ont provoqué chez la gendarme les ayant dénoncés une souffrance psychologique et des arrêts de travail, ainsi que, chez certains militaires, victimes de dénigrement, de propos vexatoires et d'une pression excessive les poussant à réaliser des tâches en dehors des horaires du service, un mal-être au travail conduisant à des arrêts de travail et à des démissions. Il ressort des pièces du dossier, notamment des divers témoignages recueillis lors de l'enquête de commandement, que le comportement et l'attitude de M. A... vis-à-vis de nombreux membres de sa brigade, qui ne sauraient être justifiés par le contexte dégradé et l'environnement difficile de son unité, étaient contraires à la déontologie et au respect à l'égard de ses subordonnés attendus d'un officier. En estimant que de tels faits constituaient des fautes de nature à justifier une sanction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés.

13. Aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / a) L'avertissement ; / b) La consigne ; / c) La réprimande ; / d) Le blâme ; / e) Les arrêts ; / f) Le blâme du ministre ; / (...) ".

14. Eu égard aux responsabilités de M. A..., qui assurait le commandement d'une unité de gendarmerie, et alors même que sa manière de servir aurait par ailleurs donné satisfaction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce et au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant la sanction, relevant du premier groupe, du blâme.

15. En dernier lieu, ni la circonstance qu'une première sanction visant M. A... a été retirée en raison de l'incompétence de son auteur ni le temps, au demeurant limité, écoulé depuis les faits litigieux, ni l'amendement allégué de son comportement ne faisaient obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire prenne une nouvelle sanction à l'encontre de l'intéressé.

16. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. A... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....

Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre des armées.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 496653
Date de la décision : 11/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2025, n° 496653
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:496653.20250711
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