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11/07/2025 | FRANCE | N°492409

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 11 juillet 2025, 492409


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 7 mars, 8 août, 9 octobre et 15 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 janvier 2024 par laquelle le ministre des armées lui a infligé la sanction de vingt jours d'arrêts avec dispense d'exécution ;



2°) d'enjoindre à l'adminis

tration de retirer de tous ses dossiers administratifs et de tout autre dossier et registre, toute piè...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 7 mars, 8 août, 9 octobre et 15 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 janvier 2024 par laquelle le ministre des armées lui a infligé la sanction de vingt jours d'arrêts avec dispense d'exécution ;

2°) d'enjoindre à l'administration de retirer de tous ses dossiers administratifs et de tout autre dossier et registre, toute pièce relative à cette sanction, de la détruire et de lui en donner attestation, dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule et son article 62 ;

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025 du Conseil constitutionnel du 30 avril 2025 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 juin 2025, présentée par le ministre des armées ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., lieutenant de la gendarmerie nationale, alors affecté au poste de commandant de peloton de gendarmerie mobile, demande l'annulation de la décision du 13 janvier 2024 par laquelle le ministre des armées lui a infligé la sanction de 20 jours d'arrêts avec dispense d'exécution.

Sur la régularité de la sanction :

2. En premier lieu, M. A... ne peut utilement soutenir que l'avis émis par son supérieur hiérarchique sur sa manière de servir et la motivation de la décision de sanction ne seraient pas conformes aux préconisations de l'instruction du 12 juin 2014 et de la circulaire du 1er juillet 2019, relatives aux sanctions disciplinaires et à la suspension de fonctions, la première étant dépourvue de caractère réglementaire et la seconde n'étant, en tout état de cause, pas applicable aux gendarmes.

3. En deuxième lieu, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 4137-15 du même code : " Avant d'être reçu par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève, le militaire a connaissance de l'ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de le sanctionner ". Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de conférer au militaire pour lequel une sanction disciplinaire est envisagée le droit d'obtenir de l'administration des pièces et documents autres que ceux sur lesquels l'autorité militaire entend se fonder pour prononcer sa sanction.

4. D'une part, si M. A... soutient que la correspondance anonyme à l'origine de l'enquête administrative diligentée au cours de l'année 2023 au sein de l'escadron de gendarmerie mobile auquel il était alors affecté, de même que certains éléments de cette enquête administrative, ne lui ont pas été communiqués et ne figurent pas dans son dossier disciplinaire, il ressort toutefois des pièces du dossier que la procédure disciplinaire le concernant n'a pas été engagée sur la base de ces éléments. D'autre part, M. A... ne peut utilement se prévaloir de l'absence de communication d'un compte-rendu ou de témoignages, dont l'existence n'est pas avérée, relatifs à une réunion, ni d'un courrier qu'il a lui-même établi et adressé à sa hiérarchie, lequel figurait au demeurant parmi les documents qui lui ont été communiqués. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 4137 1 et R. 4137-15 du code de la défense ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée au sujet de faits susceptibles de donner ultérieurement lieu à l'engagement d'une procédure disciplinaire sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de cette procédure. M. A... ne peut donc utilement soutenir que la méconnaissance, à la supposer avérée, des principes d'impartialité et de neutralité par les auteurs de l'enquête administrative affecterait la régularité de la procédure disciplinaire et entacherait d'illégalité la décision attaquée.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

7. Aux termes de l'article L. 421-4 du code de la sécurité intérieure : " Le statut des militaires de la gendarmerie nationale est régi par le livre Ier de la quatrième partie du code de la défense ". Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense ". Par décision n° 2025-1137 QPC du 30 avril 2025, le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... dans le présent litige, a jugé applicable aux militaires le principe énoncé au point 6 et, après avoir censuré les mots " et à la présentation de sa défense " figurant au cinquième alinéa de l'article L. 4137-1 du code de la défense en tant qu'ils ne prévoient pas que le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée doit être informé du droit qu'il a de se taire, a énoncé que la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée était en principe invocable par l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité.

8. De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. Dans le cas où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit, il incombe aux enquêteurs de l'informer du droit qu'il a de se taire. En revanche, sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent.

9. Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés aux points 6 à 8, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

10. Il est constant que M. A... n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire préalablement à son audition, le 10 novembre 2023, par l'autorité militaire de premier niveau dont il relève. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du témoignage du gendarme auquel était intimé l'ordre à l'origine de la sanction en litige, que la sanction prononcée à l'encontre du requérant ne se fonde pas de manière déterminante sur les déclarations que M. A... a faites lors ou à l'issue de cet entretien. Dans ces conditions, eu égard au principe énoncé au point 9, le moyen tiré de ce que l'absence de notification à M. A... du droit qu'il avait de se taire lors de son audition par l'autorité militaire de premier niveau entacherait d'illégalité la sanction litigieuse doit être écarté.

Sur le bien-fondé de la sanction :

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, lors d'une opération de lutte contre les vols avec violence conduite au cours d'un déplacement en Martinique de l'escadron au sein duquel M. A... commandait un détachement de surveillance et d'intervention, celui-ci a, à deux reprises, intimé l'ordre au chauffeur du véhicule dont il était le commandant de bord, de " percuter " un conducteur de scooter ne portant pas de casque et circulant à contresens dans un rond-point, pour tenter de l'arrêter. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la sanction contestée aurait été prononcée à raison de faits matériellement inexacts.

12. En second lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

13. Eu égard aux responsabilités de M. A..., à la nature des faits décrits au point 11, dont il ne conteste pas sérieusement le caractère fautif et alors même que l'ordre manifestement illégal qu'il avait intimé n'a pas été exécuté par son destinataire, l'autorité militaire de premier niveau n'a pas, au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait et alors même que sa manière de servir aurait donné satisfaction, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant une sanction du premier groupe de vingt jours d'arrêts.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre des armées.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 492409
Date de la décision : 11/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2025, n° 492409
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:492409.20250711
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