Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 6 février et 13 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupe Canal Plus et la société d'édition de Canal Plus demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) du 4 décembre 2024 déclarant irrecevables leurs demandes des 23 et 28 octobre et 4 et 25 novembre 2024 présentées sur le fondement du I de l'article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle ;
2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure civile ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de la société Groupe Canal Plus et de la société d'édition de Canal Plus ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle : " En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des organismes de gestion collective régis par le titre II du livre III ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. (...) ". Selon l'article L. 331-27 de ce code : " I. - Lorsqu'une décision judiciaire passée en force de chose jugée a ordonné toute mesure propre à empêcher l'accès à un service de communication au public en ligne en application de l'article L. 336-2, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, saisie par un titulaire de droits partie à la décision judiciaire, peut demander à toute personne visée par cette décision, pour une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge, d'empêcher l'accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision. (...) ". Aux termes de l'article R. 331-20 du même code : " I. - La saisine adressée à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique par un titulaire de droits dans les conditions prévues au I de l'article L. 331-27 a lieu par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen permettant d'attester de la date de réception et de l'identité du destinataire, y compris par voie électronique. Elle comporte : / 1° Une copie de la décision judiciaire passée en force de chose jugée, à laquelle le titulaire de droits est partie, ordonnant toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier en application de l'article L. 336-2 ; / (...) 3° Une déclaration sur l'honneur selon laquelle l'auteur de la saisine est titulaire de droits ou a qualité pour agir au nom du titulaire de droits sur une œuvre ou un objet protégé concernés par la reprise mentionnée au 2° et, le cas échéant, tout document justifiant des droits. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un titulaire de droits d'auteur ou droits voisins a obtenu, sur le fondement de l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle, une décision judiciaire ordonnant que soient prises toutes mesures propres à empêcher l'accès à un service de communication au public en ligne dont le contenu occasionne une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin, il peut saisir l'Arcom d'une demande tendant à l'actualisation de la liste des sites bloqués pour empêcher l'accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision.
2. La société d'édition de Canal Plus a obtenu les droits exclusifs de diffusion sur le territoire français des matchs de la Ligue des Champions de football et du championnat de France de rugby " Top 14 " et les droits exclusifs sur le territoire métropolitain et non-exclusifs sur le reste du territoire français de diffusion du championnat de football anglais " Premier League " pour les saisons 2024/2025 de ces trois compétitions. Par trois jugements des 10 octobre et 7 novembre 2024, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à plusieurs fournisseurs d'accès à des services de communication au public en ligne de prendre toutes mesures propres à empêcher, pour toute la durée des compétitions précédemment mentionnées, l'accès à plusieurs sites rediffusant les épreuves de ces compétitions sans autorisation. Par quatre saisines des 23 et 28 octobre et 4 et 25 novembre 2024, la société Groupe Canal Plus et la société d'édition de Canal Plus ont, sur le fondement du I de l'article L. 331-27 du code de la propriété intellectuelle cité ci-dessus, demandé à l'Arcom d'actualiser la liste des sites visés par ces mesures de blocage. Ces sociétés demandent l'annulation de la décision de l'Arcom du 4 décembre 2024 refusant de faire droit à ces demandes.
3. L'Arcom a fondé sa décision sur la circonstance que les saisines n'étaient pas accompagnées de " la production d'un certificat de non-appel ou d'une preuve de l'acquiescement au jugement des défendeurs " ce qui constituait, selon elle, une méconnaissance du 1° de l'article R. 331-20 du code de la propriété intellectuelle cité ci-dessus.
4. Il résulte de la finalité du dispositif décrit au point 1 que les décisions rendues selon la procédure accélérée au fond, qui, en vertu de l'article 481-1 du code de procédure civile, bénéficient de plein droit de l'exécution provisoire, sauf au premier président de la cour d'appel, saisi sur le fondement de l'article 514-3 du même code, d'en ordonner l'arrêt, doivent être regardées, au sens et pour l'application des dispositions du I de l'article L. 331-27 et du 1° de l'article R. 331-20 du code de la propriété intellectuelle, comme passées en force de chose jugée. Par suite, l'Arcom ne pouvait légalement retenir que les décisions de justice en cause n'étaient pas passées en force de chose jugée pour refuser de faire droit aux demandes présentées par les sociétés requérantes.
5. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes sont fondées à demander l'annulation de la décision de l'Arcom du 4 décembre 2024.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 3 000 euros à verser aux sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de l'Arcom du 4 décembre 2024 est annulée.
Article 2 : L'Arcom versera à la société Groupe Canal Plus et à la société d'édition de Canal plus la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Groupe Canal Plus, à la société d'édition de Canal Plus et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.