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04/07/2025 | FRANCE | N°474172

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 04 juillet 2025, 474172


Vu la procédure suivante :



Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 31 janvier 2020 de la préfète de la Corse-du-Sud lui retirant les aides agricoles octroyées au titre des campagnes 2015 à 2018. Par un jugement n° 2000515 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 22MA01748 du 13 mars 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé contre ce jugement par MM. D... A... et C... A..., venant aux droits de Mme E

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Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un no...

Vu la procédure suivante :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 31 janvier 2020 de la préfète de la Corse-du-Sud lui retirant les aides agricoles octroyées au titre des campagnes 2015 à 2018. Par un jugement n° 2000515 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22MA01748 du 13 mars 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé contre ce jugement par MM. D... A... et C... A..., venant aux droits de Mme E... A....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mai et 11 août 2023, 31 janvier 2024 et 17 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ;

- le règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement délégué (UE) n° 639/2014 de la Commission du 11 mars 2014 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. D... A... et de M. C... A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'E... A..., décédée le 17 décembre 2021, a bénéficié, en tant qu'exploitante agricole, de paiements directs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole pour les campagnes 2015 à 2018. La préfète de la Corse-du-Sud a retiré ces aides par une décision du 31 janvier 2020. Par un jugement du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision. M. D... A... et M. C... A..., venant aux droits de Mme A..., se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 13 mars 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 1er du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s'étend en tout cas jusqu'à la clôture définitive du programme. / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / (...) / 3. Les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 ".

3. D'autre part, par un arrêt du 6 octobre 2015, Firma Ernst Kollmer Fleischimport und -export c/ Hauptzollamt Hamburg-Jonas (C-59/14), la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel, a dit pour droit que les articles 1.2 et 3.1, premier alinéa, du règlement n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances où la violation d'une disposition du droit de l'Union n'a été détectée qu'après la réalisation d'un préjudice, le délai de prescription commence à courir à partir du moment où tant l'acte ou l'omission d'un opérateur économique constituant une violation du droit de l'Union que le préjudice porté au budget de l'Union ou aux budgets gérés par celle-ci sont survenus, et donc à compter de la plus tardive de ces deux dates. Par le même arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que l'article 1.2 du même règlement doit être interprété en ce sens que, dans de telles circonstances, le préjudice est réalisé à la date à laquelle la décision d'octroyer définitivement l'avantage concerné est prise. Si cette violation a été détectée après la réalisation du préjudice, le délai de prescription commence à courir à partir du moment où tant la violation que le préjudice sont survenus. Le point de départ du délai se situe, conformément à l'objectif de protection des intérêts financiers de l'Union, à la date de l'évènement survenant en dernier lieu à savoir la réalisation du préjudice s'il est postérieur à la violation et cette violation si elle est postérieure à l'octroi de l'avantage. Enfin, le préjudice se réalise lorsqu'il est effectivement porté au budget de l'Union c'est-à-dire à la date à laquelle la décision d'octroyer définitivement l'avantage concerné est prise.

4. En jugeant, pour l'application de l'article 3 du règlement n° 2998/95, que le point de départ du délai de prescription, s'agissant des aides octroyées au titre de la campagne 2015, était la date à laquelle la décision d'octroyer définitivement l'avantage concerné a été adoptée, à savoir le 23 avril 2018, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune : " 1. Aux fins du présent règlement, on entend par : / a) "agriculteur", une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales, quel que soit le statut juridique conféré selon le droit national à un tel groupement et à ses membres, dont l'exploitation se trouve dans le champ d'application territoriale des traités, tel que défini à l'article 52 du traité sur l'Union européenne, en liaison avec les articles 349 et 355 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et qui exerce une activité agricole ; / b) "exploitation", l'ensemble des unités utilisées aux fins d'activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d'un même État membre ; / c) "activité agricole" : / i) la production, l'élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la récolte, la traite, l'élevage et la détention d'animaux à des fins agricoles, / ii) le maintien d'une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes, sur la base de critères à définir par les États membres en se fondant sur un cadre établi par la Commission, ou / iii) l'exercice d'une activité minimale, définie par les États membres, sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture ".

6. Par ailleurs, il résulte des articles 32, 41, 43, 50 et 52 du même règlement que les paiements directs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune ne peuvent être accordés qu'à des personnes répondant à la définition d'agriculteur prévue au a) du premier paragraphe de l'article 4 du règlement précité.

7. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier de l'interprétation donnée aux dispositions pertinentes par les arrêts du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim (C-61/09), et du 7 avril 2022, SC Avio Lucos SRL (C-176/20), que pour être qualifiée d'agriculteur, la personne concernée doit détenir un pouvoir de disposition suffisant sur les unités de son exploitation aux fins de l'exercice de son activité agricole, percevoir les bénéfices et assumer les risques financiers en ce qui concerne l'activité agricole sur les terres pour lesquelles la demande d'aide est formulée.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après avoir procédé à un contrôle dont elle a retenu que les exploitations de Mme A... et d'autres membres de sa famille présentaient une gestion commune et un mélange des troupeaux et que les personnes concernées se représentaient mutuellement, l'administration a demandé à Mme A... de lui fournir tous éléments utiles pour démontrer l'autonomie de gestion et de fonctionnement de son exploitation. La cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que Mme A... n'avait justifié ni disposer de bâtiments et de matériels suffisants pour exercer son activité, ni tenir de comptabilité relative aux dépenses et aux recettes de son activité professionnelle, ni n'avait pu produire de facture relative à des achats ou ventes, y compris des achats d'aliments pour bétail. La cour a déduit de ces constatations, sans se fonder sur des pièces qui n'auraient pas été communiquées aux parties et sans commettre d'erreur de qualification juridique des faits, que Mme A..., faute d'autonomie suffisante lui permettant de percevoir les bénéfices et d'assumer les risques financiers liés à son activité agricole, ne pouvait être regardée comme ayant la qualité d'agriculteur au sens du a) du premier paragraphe de l'article 4 du règlement n° 1307/2013 du 17 décembre 2013.

9. En dernier lieu, dès lors que l'administration avait pu légalement fonder la décision en litige sur le seul motif tiré de l'absence de la qualité d'agriculteur au sens du règlement n° 1307/2013, c'est sans erreur de droit ni contradiction de motifs que la cour a écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que cette même décision aurait été prise en faisant une inexacte application des dispositions de l'article 60 du règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune, aux termes duquel : " aucun des avantages prévus par la législation agricole sectorielle n'est accordé en faveur de personnes physiques ou morales dont il est établi qu'elles ont créé artificiellement les conditions requises en vue de l'obtention de ces avantages ". Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article L. 341-3 du code rural et de la pêche maritime régissant les droits à subvention publique des exploitations issues d'une division, qui ne constituent pas le fondement de la décision.

10. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de MM. A... doit être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de MM. A... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM. D... et C... A... et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juin 2025 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et M. Nicolas Jau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 juillet 2025.

Le président :

Signé : M. Philippe Ranquet

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 474172
Date de la décision : 04/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 jui. 2025, n° 474172
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Jau
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:474172.20250704
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