Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 avril et 13 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée à associé unique Eloce demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 février 2024 relatif au cahier des charges de la formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mai 2025, présentée par la société Eloce ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 233-4 du code rural et de la pêche maritime : " Le fonctionnement des établissements de production, de transformation, de préparation, de vente et de distribution de produits alimentaires peut être subordonné à la présence dans les effectifs de ces établissements d'une personne pouvant justifier d'une formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité de l'établissement concerné. / (...) / Un décret précise la liste des établissements concernés par l'obligation mentionnée au premier alinéa et précise les conditions que doivent respecter les organismes délivrant cette formation. / Le contenu et la durée de la formation mentionnée au premier alinéa sont définis par arrêté du ministre chargé de l'alimentation ". En vertu de l'article D. 233-11 du même code, sont tenus à cette obligation les établissements de restauration commerciale relevant des secteurs d'activité de la restauration traditionnelle, des cafétérias et autres libres-services et de la restauration de type rapide. Et aux termes de l'article D. 233-12 de ce code : " La formation prévue à l'article L. 233-4 peut être délivrée par tout organisme de formation déclaré auprès du préfet de région, conformément à l'article L. 6351-1 du code du travail. Un cahier des charges défini par arrêté du ministre chargé de l'alimentation détermine les conditions auxquelles est soumis l'organisme de formation ainsi que le contenu et la durée de cette formation ".
2. La société Eloce demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté du 12 février 2024 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relatif au cahier des charges de la formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale.
Sur les articles 3 à 8 et l'annexe II de l'arrêté attaqué, relatifs au processus et aux conditions d'enregistrement des organismes de formation :
3. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 233-4 du code rural et de la pêche maritime cité au point 1 que le législateur a prévu que les conditions que doivent respecter les organismes délivrant la formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de production, de transformation, de préparation, de vente et de distribution de produits alimentaires astreints à la présence dans leurs effectifs d'une personne justifiant de cette formation doivent être fixées par décret, seule la définition du contenu et de la durée de cette formation relevant d'un arrêté du ministre chargé de l'alimentation. Ainsi, l'article D. 233-12 du même code, pris pour l'application de ces dispositions, ne pouvait entièrement renvoyer à un arrêté de ce ministre la fixation des conditions que doivent respecter les organismes de formation pour délivrer cette formation spécifique.
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société requérante est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué du ministre chargé de l'alimentation ne pouvait compétemment fixer ces conditions par ses articles 3 à 8, ainsi que par son annexe II.
Sur le surplus des dispositions de l'arrêté :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. Le législateur ayant confié au ministre chargé de l'alimentation la définition du contenu et de la durée de la formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de production, de transformation, de préparation, de vente et de distribution de produits alimentaires astreints à la présence dans leurs effectifs d'une personne justifiant de cette formation, le moyen tiré de ce que les dispositions du III de l'article 2 de l'arrêté attaqué, imposant que la formation prévoie une période de deux heures minimum par période de sept heures qui se déroule en présence des stagiaires et soit dédiée à des mises en situation avec manipulation de matériel, seraient entachées d'incompétence en ce que la fixation de telles exigences relèverait, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi ou en ce que le ministre chargé de l'alimentation ne se serait pas vu attribuer un pouvoir réglementaire en la matière ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
6. En premier lieu, si l'article D. 233-12 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la formation prévue à l'article L. 233-4 de ce code peut être délivrée par tout organisme de formation déclaré auprès du préfet de région " conformément à l'article L. 6351-1 du code du travail ", article qui soumet à déclaration l'activité de " toute personne qui réalise des actions prévues à l'article L. 6313-1 ", c'est-à-dire des actions entrant dans le champ d'application des dispositions du code du travail relatives à la formation professionnelle, et si le deuxième alinéa de l'article L. 6313-2 du code du travail définissant l'action de formation professionnelle précise qu'une telle action " peut être réalisée en tout ou partie à distance ", il ne résulte nullement de ces différentes dispositions, relatives aux obligations de déclaration des organismes de formation et au champ d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle, que la formation prévue à l'article L. 233-4 du code rural et de la pêche maritime devrait nécessairement pouvoir être réalisée à distance.
7. En deuxième lieu, les dispositions en litige s'appliquant à l'ensemble des organismes dispensant la formation spécifique en matière d'hygiène alimentaire adaptée à l'activité des établissements de restauration commerciale, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'elles méconnaissent le principe d'égalité entre organismes de formation proposant des formations à distance ou sur place.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces dispositions, qui sont justifiées par un motif d'intérêt général, porteraient à la liberté d'entreprendre ou à la liberté du commerce et de l'industrie une atteinte disproportionnée.
9. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué porterait atteinte au principe de libre prestation de services prévu par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et méconnaîtrait l'article 16 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Eloce est seulement fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des articles 3 à 8 et de l'annexe II de l'arrêté qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Eloce au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 3 à 8 et l'annexe II de l'arrêté du 12 février 2024 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Eloce au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée à associé unique Eloce et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mahé conseillers d'Etat et Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Lazar Sury
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly