Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrée les 15 juillet 2024 et 2 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2024-101 du 14 mai 2024 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a émis un avis d'incompatibilité entre son projet de rejoindre la société TikTok et ses fonctions au sein des services de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ;
2°) de mettre à la charge de la HATVP la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code pénal ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2013-1204 du 23 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean de L'Hermite, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., agent contractuel affecté, de janvier 2022 à février 2024, au " service des contrôles - affaires économiques " au sein de la direction de la protection des droits et des sanctions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et ayant exercé en qualité " d'auditrice des systèmes d'information ", a informé, le 16 février 2024, son autorité hiérarchique de son projet de rejoindre, en qualité de responsable de la conformité à la législation sur la protection des données, la société TikTok France, dont le capital était détenu à 100 % par la société britannique " TikTok Information technologies Uk Limited ". Après que, le 19 février 2024, le déontologue auprès de la CNIL a émis un avis défavorable à ce projet, et en l'absence de levée du doute qu'il nourrissait sur la compatibilité de l'activité envisagée avec les fonctions que Mme A... avait exercées au sein des services de la Commission au cours des deux années précédentes, sa présidente a, en application des dispositions de l'article L. 124-4 du code général de la fonction publique, saisi la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Par une délibération du 14 mai 2024, la HATVP a émis un avis d'incompatibilité entre les fonctions envisagées par Mme A... et la fonction qu'elle avait exercée précédemment au sein de la CNIL au titre du risque de commission du délit de prise illégale d'intérêt réprimé par les dispositions de l'article 432-13 du code pénal. Mme A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération.
Sur la légalité externe de la délibération attaquée :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 2 du décret du 23 décembre 2013 relatif à l'organisation et au fonctionnement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique : " La haute autorité se réunit sur convocation de son président dans des conditions fixées par le règlement général mentionné à l'article 6 ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " La haute autorité ne peut valablement délibérer que si au moins la moitié de ses membres est présente. / Lorsque ce quorum n'est pas atteint, le président peut convoquer à nouveau la haute autorité sur le même ordre du jour dans un délai minimal déterminé par le règlement général mentionné à l'article 6. Elle siège alors valablement quel que soit le nombre de membres présents ". Son article 5 dispose : " Les délibérations sont adoptées à la majorité des voix des membres présents. Le président a voix prépondérante en cas de partage égal des voix ".
3. Mme A... soutient que la délibération attaquée a été rendue dans des conditions irrégulières dès lors qu'il ne ressort pas de l'avis émis que les membres auraient été régulièrement convoqués, qu'au moins la moitié des membres auraient été présents et que la délibération aurait été adoptée à la majorité des voix des membres présents. Toutefois, ni les dispositions citées au point précédent, ni aucune autre disposition, non plus qu'aucune règle ni aucun principe n'imposent que, pour être légale, une délibération de la HATVP fasse par elle-même la preuve de sa régularité au regard des règles de convocation, de quorum et d'adoption à la majorité, mentionnées au point précédent. Il ressort en outre des pièces produites par la HATVP que l'ensemble des membres du collège a été convoqué plus de trois jours francs avant la réunion, que douze des treize membres étaient présents et ont siégé et que la délibération a été adoptée à la majorité des présents.
Sur la légalité interne de la délibération attaquée :
4. L'article 432-13 du code pénal dispose que : " Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que (...) fonctionnaire, militaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, (...), de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions. / Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux dans une entreprise privée qui possède au moins 30 % de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l'une des entreprises mentionnées au premier alinéa (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 124-4 du code général de la fonction publique : " L'agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, saisit à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève ou a relevé dans son dernier emploi afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité. / (...) / Lorsque l'autorité hiérarchique a un doute sérieux sur la compatibilité de l'activité envisagée avec les fonctions exercées par l'agent public au cours des trois années précédant le début de cette activité, elle saisit pour avis, préalablement à sa décision, le référent déontologue. Lorsque l'avis de ce dernier ne permet pas de lever ce doute, l'autorité hiérarchique saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ". Aux termes de l'article L. 124-5 de ce même code : " Lorsque la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 124-4 émane d'un agent public occupant ou ayant occupé au cours des trois dernières années un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, l'autorité hiérarchique soumet cette demande à l'avis préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. A défaut, l'agent peut également saisir la Haute Autorité ". Aux termes de l'article L. 124-10 du même code : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique émet un avis : / (...) / 2° Sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application des articles L. 124-4 et L. 124-5 ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 124-14 de ce code : " Lorsqu'elle est saisie en application de l'article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique rend un avis : / 1° De compatibilité ; / 2° De compatibilité avec réserves, celles-ci étant prononcées pour une durée de trois ans ; / 3° D'incompatibilité " et en vertu du premier alinéa de son article L. 124-15, les avis d'incompatibilité mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 124-14 lient l'administration et s'imposent à l'agent public.
6. Aux termes de l'article L. 124-12 du code général de la fonction publique : " Dans l'exercice de ses attributions mentionnées à l'article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine si l'activité exercée par l'agent public risque (...) de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ". Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité, non d'examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d'apprécier le risque qu'ils puissent l'être et de se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.
7. Pour adopter la délibération attaquée, la HATVP s'est fondée sur ce que la CNIL ayant diligenté, de 2019 à 2022, un contrôle du site internet www.tiktok.com, Mme A..., habilitée à procéder à des missions de vérification dès le 3 mars 2022, a participé à cette mission de contrôle, en juin 2022, aux fins d'obtenir des informations complémentaires auprès des sociétés Tiktok Technology Limited (TikTok Irlande) et Tiktok Information technologies UK Limited (TikTok UK) et a signé le procès-verbal de contrôle en date du 30 juin 2022. En outre, il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté que la société britannique " Tiktok Information technologies UK Limited ", détient 100% du capital de la société TikTok France que Mme A... entendait rejoindre.
8. En se fondant sur ces éléments pour en déduire que Mme A... était susceptible d'être regardée comme ayant été chargée, dans le cadre des fonctions qu'elle avait effectivement exercées au cours des trois années précédant son embauche par la société Tiktok France, d'assurer le contrôle d'une entreprise détenant plus de 30% de capital commun avec la société qu'elle souhaitait rejoindre et qu'elle se trouvait dès lors exposée au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêts défini par les dispositions de l'article 432-13 du code pénal citées au point 5, alors même que Mme A... n'aurait participé que très brièvement au contrôle diligenté par la CNIL, dans les derniers jours précédant sa clôture et qu'elle n'aurait pas exercé une influence significative sur ses conclusions, la HATVP n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de la délibération de la HATVP qu'elle attaque. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Copie en sera adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Jean de L'Hermite, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 16 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Jean de L'Hermite
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle