Vu la procédure suivante :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le directeur départemental de la protection des populations des Bouches-du-Rhône a refusé de lui communiquer le dernier rapport d'inspection de chacun des établissements pratiquant l'expérimentation animale dans le département et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui communiquer les documents demandés sans occulter les noms des établissements, ni les dates de l'inspection et du rapport, ni les intitulés de la grille d'inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires. Par un jugement n° 2009988 du 7 mars 2024, le tribunal administratif a annulé la décision contestée, enjoint au préfet de communiquer à M. B... chacun des rapports d'inspection demandés, sans autre occultation que celles des mentions permettant d'identifier les personnes physiques exerçant leur activité professionnelle dans les établissements, les inspecteurs et les rédacteurs des rapports ainsi que de celles qui comporteraient une description, même sommaire, de certains procédés, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 24 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter dans cette mesure la demande de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d'agrément, d'aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d'animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime : " Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. / Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les mesures propres à assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage des animaux. / Il en est de même pour ce qui concerne les expériences biologiques médicales et scientifiques qui doivent être limitées aux cas de stricte nécessité ". L'article R. 214-99 du même code soumet les établissements utilisant des animaux à des fins scientifiques à un agrément donné par le préfet du département du lieu d'implantation de l'établissement et précise que, sauf autorisation spéciale, toute procédure expérimentale sur les animaux doit être menée dans un établissement agréé. En vertu de l'article R. 214-100, l'agrément est accordé pour une durée de six ans et peut être suspendu ou retiré si les conditions qui en ont permis l'octroi ne sont plus respectées. En vertu de l'article R. 214-104, ces établissements sont inspectés par des agents de l'Etat.
2. L'article 5 de l'arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d'agrément, d'aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d'animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles, précise les règles en vertu desquelles des inspections régulières sont conduites dans les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs conformément à l'article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime. En particulier, il prévoit qu'un rapport est rédigé à l'issue de chaque inspection. Chaque rapport prend la forme d'une grille numérotée et standardisée. Ce document comprend une partie administrative précisant les textes de référence, l'organisme de référence, l'organisme d'inspection et l'établissement inspecté puis quatre catégories d'information relatives aux locaux (A), au personnel (B), aux animaux (C) et à la documentation (D). Il comporte également, pour chacun des points de contrôle, un commentaire, accompagné d'une note A (conforme), B (non-conformité mineure), A... (non-conformité moyenne) ou D (non-conformité majeure) ainsi qu'une " évaluation globale ", également sous la forme d'un commentaire et d'une note comprise entre A et D. Il est complété, le cas échéant, d'une rubrique récapitulant les non-conformités par gravité croissante.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a demandé à la direction départementale de la protection des populations des Bouches-du-Rhône de lui communiquer le dernier rapport d'inspection de chacun des établissements pratiquant l'expérimentation animale dans le département. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire se pourvoit en cassation contre le jugement du 7 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé le refus implicite opposé à la demande de M. B... et enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de lui communiquer les rapports sollicités, sous réserve de certaines occultations.
Sur le pourvoi :
4. Pour faire droit, par le jugement attaqué, à la demande de communication des rapports sollicités, le tribunal administratif a retenu que la révélation de ce que des établissements mènent des expériences sur les animaux n'est pas, par elle-même, susceptible de leur porter préjudice, sans se prononcer sur l'argumentation soulevée en défense par le préfet tirée de ce qu'un tel préjudice pourrait résulter aussi de la divulgation des manquements ou insuffisances constatés par les rapports d'inspection. Eu égard à la teneur et la portée de cette argumentation, le ministre est fondé à soutenir que le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et à demander, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, son annulation en tant qu'il a, par ses articles 1er et 2, annulé la décision de refus de communication des rapports d'inspection contestée et enjoint à l'autorité préfectorale de lui communiquer les documents sollicités.
Sur le règlement du litige :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 124-1 du code de l'environnement : " Le droit de toute personne d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques mentionnées à l'article L. 124-3 ou pour leur compte s'exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sous réserve des dispositions du présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 124-2 du même code : " Est considérée comme information relative à l'environnement au sens du présent chapitre toute information disponible, quel qu'en soit le support, concernant : / 1° l'état des éléments de l'environnement notamment l'air, l'atmosphère, l'eau, le sol, les terres, les paysages, les sites naturels, les zones côtières ou marines et la diversité biologique, ainsi les interactions entre ces éléments ; / 2° les décisions, les activités et les facteurs (...) susceptibles d'avoir des incidences sur l'état des éléments visés au 1°, ainsi que les décisions et les activités destinées à protéger ces éléments ; / 3° L'état de la santé humaine, la sécurité et les conditions de vie des personnes, (...), dans la mesure où ils sont ou peuvent être altérés par des éléments de l'environnement, des décisions, des activités ou des facteurs mentionnés au 2° ; / 4° Les analyses des coûts et avantages ainsi que les hypothèses économiques utilisées dans le cadre des décisions et activités visées au 2° ; / 5° Les rapports établis par les autorités publiques ou pour leur compte sur l'application des dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement ".
7. Les rapports d'inspection établis en vertu de l'article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime, eu égard à leur objet et à leur contenu, ne comportent pas d'informations relatives à l'environnement au sens des dispositions qui viennent d'être citées. Par suite, leur communication ne peut être demandée au titre du droit d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques, régi par les dispositions des articles L. 124-1 et suivants du code de l'environnement.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 311-2 du même code : " L'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ". En vertu du 2° de l'article L. 311-5 du même code, ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte, notamment, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes. L'article L. 311-6 de ce code dispose : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (...) et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". L'article L. 311-7 du même code dispose : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
9. Si les rapports d'inspection établis en vertu de l'article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime sont des documents administratifs en principe communicables en application de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration, il ressort des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir le ministre, que la communication de certaines mentions figurant sur ces documents est de nature, compte tenu des risques avérés d'actions violentes contre les établissements pratiquant des expérimentations sur animaux, leurs personnels ou les agents chargés des contrôles, à porter atteinte à la sécurité publique ou la sécurité des personnes. Il s'ensuit que la communication des rapports d'inspection sollicités ne peut intervenir que sous réserve de l'occultation des mentions permettant l'identification directe ou indirecte des établissements concernés, comme de celle des personnes qui y travaillent ou collaborent avec eux, ainsi que des agents qui assurent leur contrôle ou y participent. Une telle occultation doit notamment porter sur les noms des établissements, leurs numéros d'identification et, le cas échéant, leur organisme de rattachement, ainsi que tous autres éléments permettant leur identification directe ou indirecte et leur localisation, notamment les mentions relatives à l'emplacement des locaux concernés, aux dispositifs et mesures de sécurité, aux agents pathogènes et produits utilisés.
10. Doivent, par ailleurs, être également occultées les mentions concernant les techniques utilisées afin de garantir le secret des procédés, qui relève du secret des affaires devant être protégé en vertu du 1° de l'article L. 311-6 du code des relations du public avec l'administration.
11. Il ressort des pièces du dossier que les rapports occultés ainsi qu'il vient d'être dit demeurent intelligibles et que leur communication conserve un intérêt pour le demandeur ainsi que pour le public, en leur permettant notamment de savoir dans quelle mesure les règles de protection des animaux sont respectées et leur application vérifiée. Compte tenu de cet intérêt, du nombre des documents concernés et de leur caractère standardisé, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient le ministre, que la charge de travail en résultant serait, au cas d'espèce, eu égard aux moyens dont dispose l'administration, abusive au sens de l'article L. 311-2 du code des relations du public avec l'administration.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit, en tout état de cause, besoin de se prononcer sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision implicite de rejet attaquée ou sur l'invocation du 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, le requérant est fondé, sous réserve des occultations mentionnées aux points 9 et 10, à demander l'annulation de la décision par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de communication du dernier en date des rapports d'inspection de chacun de la trentaine d'établissements pratiquant l'expérimentation animale dans le département.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. L'exécution de la présente décision implique nécessairement que le préfet des Bouches-du-Rhône communique à M. B... les documents demandés, sous réserve des occultations mentionnées aux points 9 et 10. Il y a lieu d'ordonner au préfet de communiquer les rapports demandés, sous cette réserve, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 7 mars 2024 du tribunal administratif de Marseille sont annulés.
Article 2 : La décision implicite par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé la communication à M. B... du dernier en date des rapports d'inspection de chacun des établissements pratiquant l'expérimentation animale dans le département, est annulée en tant qu'elle refuse la communication des parties de ces documents ne devant pas faire l'objet des occultations précisées dans les motifs de la présente décision.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de communiquer à M. B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, les rapports qu'il a demandés, sous réserve des occultations mentionnées aux points 9 et 10 des motifs de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à M. C... B... et au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, M. Jean de L'Hermite, conseillers d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur ;
Rendu le 16 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Delsol
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle