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16/06/2025 | FRANCE | N°489192

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 16 juin 2025, 489192


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 489192, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 novembre 2023, 2 février et 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au barreau de Paris demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 24 août 2023 du directeur de l'administration pénitentiaire relative à l'exercice du droit de visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires, les journalistes les accompagnan

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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 489192, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 novembre 2023, 2 février et 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au barreau de Paris demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 24 août 2023 du directeur de l'administration pénitentiaire relative à l'exercice du droit de visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires, les journalistes les accompagnant et les bâtonniers ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre et de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la note de service qu'il attaque est entachée :

- d'erreur d'appréciation, en ce qu'elle prévoit que le bâtonnier ou son délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre ne peuvent être accompagnés que par une seule personne, sans tenir compte de la taille des établissements pénitentiaires visités ;

- d'erreur d'appréciation en ce qu'elle limite les prérogatives des personnes accompagnant les bâtonniers ou leurs délégués spécialement désignés, alors que ces personnes ont la qualité d'avocat ;

- d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation en ce qu'elle prévoit que les visites réalisées, notamment auprès de personnes détenues, ne sauraient permettre de contourner l'interdiction selon laquelle le pouvoir de contrôle des titulaires du droit de visite ne peut porter sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires.

2° Sous le n° 498419, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 octobre et 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au barreau de Paris demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 16 juillet 2024 du directeur de l'administration pénitentiaire relative à l'exercice du droit de visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires, les journalistes les accompagnant et les bâtonniers ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre et de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 ;

- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Ordre des avocats au barreau de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'Ordre des avocats au barreau de Paris demande l'annulation pour excès de pouvoir de la note de service du 24 août 2023 et de celle du 16 juillet 2024, qui l'a remplacée, adoptées par le directeur de l'administration pénitentiaire et relatives à l'exercice du droit de visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires, les journalistes les accompagnant et les bâtonniers ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre.

2. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention :

3. Le Conseil national des barreaux justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la note de service attaquée sous le n° 489192. Son intervention est, par suite, recevable.

Sur la légalité des actes attaqués :

4. Aux termes de l'article 719 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : " Les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l'article 323-1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d'attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l'article L. 113-7 du code de la justice pénale des mineurs. / A l'exception des locaux de garde à vue, les députés, les sénateurs et les représentants au Parlement européen mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle mentionnée à l'article L. 7111- 6 du code du travail, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".

5. Aux termes de l'article L. 132-1 du code pénitentiaire : " Conformément aux dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale, les députés et les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre sont autorisés à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires. / Conformément aux mêmes dispositions et dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, les députés, les sénateurs et les représentants au Parlement européen mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle mentionnée à l'article L. 7111-6 du code du travail ".

6. Aux termes de l'article D. 222-2 du code pénitentiaire : " Sous réserve des dispositions des articles D. 134-1 et D. 134-2, aucune personne étrangère au service ne peut être admise à visiter un établissement pénitentiaire sans une autorisation spéciale délivrée par le chef de l'établissement. / A moins d'une disposition expresse, cette autorisation ne confère pas à son bénéficiaire le droit de communiquer avec les personnes détenues de quelque manière que ce soit, même en présence de membres du personnel. / Sans préjudice des dispositions de l'article R. 57-6-17 du code de procédure pénale relatives au droit à l'image des personnes prévenues, une autorisation spéciale délivrée par le chef d'établissement est nécessaire pour effectuer à l'intérieur d'un établissement pénitentiaire des photographies, croquis, prises de vues et enregistrements sonores se rapportant à la détention ".

Sur le nombre de personnes pouvant accompagner le bâtonnier ou son délégué spécialement désigné :

7. L'Ordre des avocats au barreau de Paris conteste le fait que les notes de service attaquées limitent à un accompagnant le nombre de personnes susceptibles de participer à la visite des lieux de privation de liberté aux côtés du bâtonnier ou de son délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre. Toutefois, les dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale, comme celles de l'article L. 132-1 du code pénitentiaire, ne prévoient aucunement que les bâtonniers puissent être accompagnés dans le cadre des visites régies par ces dispositions. L'Ordre des avocats au barreau de Paris n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les notes de service attaquées seraient entachées d'illégalité parce qu'elles ménagent la possibilité pour le bâtonnier, ou son délégué spécialement désigné, d'être accompagné par une personne pendant une visite quelle que soit la taille de l'établissement pénitentiaire visité.

Sur les conditions de visite prévues pour les personnes accompagnant les bâtonniers ou leurs délégués spécialement désignés :

8. Le droit de visite à tout moment des établissements pénitentiaires conféré par le législateur aux députés, aux sénateurs, aux représentants au Parlement européen élus en France et aux bâtonniers dans leur ressort, ou à leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre, ne déroge aux règles générales encadrant la visite de ces établissements résultant, notamment, des dispositions de l'article D. 222-2 du code pénitentiaire que dans la mesure prévue par le législateur. En l'absence de disposition expresse en ce sens, les personnes susceptibles d'accompagner les bâtonniers demeurent soumises à ces règles générales. Dès lors, le moyen tiré de ce que les notes de service attaquées seraient entachées d'illégalité parce qu'elles interdisent que la personne accompagnant le bâtonnier ou son délégué spécialement désigné soit munie, au cours de la visite, d'un téléphone portable ou d'un appareil photographique doit être écarté.

Sur l'objet du droit de visite reconnu aux bâtonniers et à leurs délégués spécialement désignés :

9. Les notes de service attaquées indiquent que les visites ne sauraient permettre de contourner l'interdiction selon laquelle le pouvoir de contrôle ne peut porter sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires en cours. Si le requérant conteste cette mention, les dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 129 de la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence et de l'article 18 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, ont pour seul objet de permettre aux parlementaires et aux bâtonniers dans leur ressort, ou à leurs délégués spécialement désignés, de vérifier que les conditions de détention répondent à l'exigence du respect de la dignité de la personne. Il ne ressort ni de leur lettre, ni d'ailleurs des débats qui ont précédé leur adoption qu'elles confèreraient aux titulaires du droit de visite un pouvoir de contrôle portant sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires. Par suite, les notes de service attaquées pouvaient, sans illégalité, rappeler que le pouvoir de contrôle ne peut porter sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires en cours.

Sur les possibilités de visites conjointes avec des parlementaires et d'entretien individuel avec des personnes détenues :

10. D'une part, la circonstance que la note de service du 16 juillet 2024 ne précise plus, contrairement à la note de service du 24 août 2023 qu'elle abroge, que des visites réunissant des parlementaires et un bâtonnier ou son délégué spécialement désigné sont possibles ne doit pas être comprise, ainsi que l'indique le ministre en défense, comme ayant pour objet ou pour effet d'interdire de telles visites conjointes.

11. D'autre part, si la note de service du 16 juillet 2024 ne précise plus, contrairement à la note précédente, que les titulaires du droit de visite peuvent s'entretenir individuellement, hors la présence du personnel pénitentiaire, avec des personnes détenues, ce silence ne saurait légalement, eu égard à l'objet des visites prévues à l'article 719 du code de procédure pénale qui vise à permettre de contrôler l'état des lieux de privation de liberté et de vérifier que les conditions de détention répondent à l'exigence du respect de la dignité de la personne, être interprété comme faisant obstacle à ce que les parlementaires ou les bâtonniers dans leur ressort, ou leur délégué spécialement désigné, puissent s'entretenir avec des détenus rencontrés au fil de la visite sur les conditions de détention. En revanche, l'exercice du droit de visite prévu par les dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale ne saurait être utilisé par un de ses titulaires pour s'entretenir en particulier, en dehors des procédures prévues à cette fin, avec un détenu préalablement identifié hors la présence du personnel pénitentiaire.

12. Dans ces conditions, l'Ordre des avocats au barreau de Paris n'est pas fondé à soutenir que la note de service du 16 juillet 2024 serait entachée d'illégalité en ce qu'elle ne mentionne pas explicitement la possibilité de visites conjointes de parlementaires et d'un bâtonnier et la possibilité d'entretiens individuels hors la présence du personnel pénitentiaire.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l'Ordre des avocats au barreau de Paris n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir des notes de service qu'il attaque. Ses requêtes doivent donc être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du Conseil national des barreaux sous le n° 489192 est admise.

Article 2 : Les requêtes de l'Ordre des avocats au barreau de Paris sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Ordre des avocats au barreau de Paris et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil national des barreaux.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 16 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Sophie Delaporte

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489192
Date de la décision : 16/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 jui. 2025, n° 489192
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie Delaporte
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:489192.20250616
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