Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 août 2024 et le 7 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail, de la santé et des solidarités sur sa demande du 24 mai 2024 tendant à l'édiction d'un arrêté d'extension de l'avenant n° 33 à la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, relatif à la classification et à la rémunération des emplois et de l'accord du 5 juillet 2023 de " transposition " de cet avenant ;
2°) d'enjoindre à la ministre chargée du travail de prendre un arrêté portant extension de l'avenant n° 33 à la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, relatif à la classification et à la rémunération des emplois, ou à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux soutient que le refus implicite de prendre un arrêté d'extension de l'avenant n° 33 à la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, relatif à la classification et à la rémunération des emplois, et par suite de l'accord de " transposition " du 5 juillet 2023, est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors qu'aucun motif ne s'oppose à l'édiction d'un tel arrêté.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 février et 14 avril 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut au rejet de la requête. Elle soutient que le moyen de la requête n'est pas fondé.
Par une intervention, enregistrée le 11 mars 2025, la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) demandent que le Conseil d'Etat rejette la requête de la Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux. Ils soutiennent que le moyen qu'elle soulève n'est pas fondé.
Par une intervention, enregistrée le 13 mai 2025, le Syndicat national santé sociaux privé UNSA (UNSA-SN2SP) et le Syndicat autonome des métiers de santé UNSA (UNSA-SAMS) demandent que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête de la Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux. Ils se réfèrent aux moyens exposés dans cette requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hugo Bevort, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Syndicat autonome des métiers de santé UNSA (UNSA-SAMS) et du Syndicat national santé sociaux privé UNSA (UNSA-SN2SP) et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que la convention collective nationale de l'hospitalisation privée signée le 18 avril 2002 et étendue par arrêté du 29 octobre 2003 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a fait l'objet d'un avenant n° 33, signé le 22 février 2023, relatif à la classification et à la rémunération des emplois. Cet avenant a été signé par la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa), d'une part, et la Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux (Fédération CFDT santé-sociaux) et l'Union nationale des syndicats autonomes Santé et Sociaux (Unsa santé et sociaux), d'autre part. Un avis préalable à l'extension de cet avenant est paru au journal officiel du 27 avril 2023. Un accord de " transposition " de ce même avenant, apportant des précisions spécifiques à chacun des trois secteurs de la branche (sanitaire, médico-social, thermal), a été conclu le 5 juillet 2023 et un avis préalable à l'extension de cet accord est paru au journal officiel du 6 septembre 2023. Le 21 septembre 2023, la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle a rendu deux avis relatifs, d'une part, à l'extension de l'avenant n° 33 du 22 février 2023, et, d'autre part à celle de l'accord de " transposition " de cet avenant. Par un courrier en date du 29 mai 2024, la Fédération CFDT santé-sociaux a demandé à la ministre chargée du travail d'étendre l'avenant n° 33 à la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, relatif à la classification et à la rémunération des emplois, ainsi que l'accord du 5 juillet 2023 de " transposition " de cet avenant. La Fédération CFDT santé-sociaux demande l'annulation du refus né, en application de l'article R. 2261-4-7 du code du travail, du silence gardé pendant plus de six mois par la ministre chargée du travail sur cette demande.
Sur les interventions :
2. La Fédération de l'hospitalisation privée et le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées justifient d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Ainsi leur intervention est recevable.
3. Le Syndicat national santé sociaux privé UNSA et le Syndicat autonome des métiers de santé UNSA justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision attaquée. Ainsi leur intervention est recevable.
Sur la requête :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle." Selon le premier alinéa de l'article L. 2261-16 de ce code : " Le ministre chargé du travail peut également, conformément à la procédure d'extension prévue à la sous-section 3, rendre obligatoires, par arrêté, les avenants ou annexes à une convention ou à un accord étendu. " L'article L. 2261-24 de ce code dispose que : " La procédure d'extension d'une convention de branche ou d'un accord professionnel (...) est engagée à la demande d'une des organisations d'employeurs ou de salariés représentatives mentionnées à l'article L. 2261-19 ou à l'initiative du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle. / Saisi de cette demande, le ministre chargé du travail engage sans délai la procédure d'extension. " L'article L. 2261-25 du même code prévoit que : " Le ministre chargé du travail peut exclure de l'extension, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec des dispositions légales. Il peut également refuser, pour des motifs d'intérêt général, notamment pour atteinte excessive à la libre concurrence, l'extension d'un accord collectif. / Il peut également exclure les clauses pouvant être distraites de la convention ou de l'accord sans en modifier l'économie, mais ne répondant pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application considéré. / Il peut, dans les mêmes conditions, étendre, sous réserve de l'application des dispositions légales, les clauses incomplètes au regard de ces dispositions. / Il peut, dans les mêmes conditions, étendre les clauses appelant des stipulations complémentaires de la convention ou de l'accord, en subordonnant, sauf dispositions législatives contraires, leur entrée en vigueur à l'existence d'une convention d'entreprise prévoyant ces stipulations. "
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que le ministre chargé du travail, saisi d'une demande tendant à ce qu'il étende un accord collectif, doit s'assurer, conformément aux dispositions de l'article L. 2261-25 du code du travail, que cet accord ne comporte pas de clauses qui seraient contraires aux textes législatifs et réglementaires ou qui ne répondraient pas à la situation de la branche ou des branches dans le champ d'application de l'accord. Dans le cas où l'accord satisfait à ces exigences, le ministre n'est pas pour autant tenu de procéder à l'extension qui lui est demandée. Le premier alinéa de l'article L. 2261-25 du code du travail lui attribue à cet égard un pouvoir d'appréciation lui permettant de refuser cette extension, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, pour des motifs d'intérêt général.
6. Aux termes de l'article 7 de l'avenant n° 33 signé le 22 février 2023 : " (...) L'application du présent avenant est conditionnée : / I. A l'obtention ou l'octroi de l'intégralité des financements par les pouvoirs publics et/ou les organismes paritaires gérant le régime d'assurance maladie, nécessaire à la mise en œuvre des modalités de rémunération ainsi instituées / (...) L'avenant relatif aux classifications-rémunérations conventionnelles entrera en vigueur au 1er janvier 2024. Cependant, l'application effective de ses nouvelles dispositions interviendra au plus tard au mois de décembre 2024, avec un effet rétroactif au 1er janvier 2024, concernant l'appréciation de la rémunération annuelle conventionnelle définie par l'article 9 du présent avenant et l'impact éventuel sur les heures supplémentaires et les heures complémentaires y afférentes. Les autres éléments variables de paie seront concernés par l'application de l'avenant à compter du 1er janvier 2025. " Selon son article 14 : " Le présent avenant s'appliquera à compter du 1er janvier 2024 pour les adhérents aux syndicats patronaux signataires du présent avenant. / Son application est subordonnée à la mise en œuvre intégrale des dispositions de l'article 7. "
7. Les stipulations de l'article 7 de l'avenant n° 33 signé le 22 février 2023 cité au point précédent subordonnent son entrée en vigueur à l'obtention de l'intégralité des financements nécessaires à la mise en œuvre des modalités de rémunération qu'il institue et ne prévoient pas, contrairement à ce que soutient la Fédération CFDT santé-sociaux, une entrée en vigueur au plus tard au 1er décembre 2024 alors même que cette condition ne serait pas satisfaite. Ces stipulations ne déterminent pas clairement le niveau de financement nécessaire et la clef de répartition entre les différents financeurs, ces deux points faisant d'ailleurs l'objet d'interprétations divergentes entre les organisations signataires de l'avenant. L'équivocité de ces stipulations qui, en raison de l'incidence de la revalorisation des rémunérations prévue par l'avenant sur l'évolution de la masse salariale des employeurs relevant de son champ d'application, ne sauraient être distraites de l'accord sans en modifier l'économie générale, fait naître une ambiguïté quant à son applicabilité aux salariés et aux employeurs compris dans son champ d'application. Par suite, en retenant que les stipulations de l'article 7 étaient dépourvues de la clarté nécessaire pour garantir la sécurité juridique de l'entrée en vigueur de l'avenant et en refusant pour ce motif d'intérêt général d'étendre l'avenant n° 33 du 22 février 2023 relatif à la classification et à la rémunération des emplois et, par conséquent, l'accord du 5 juillet 2023 procédant à sa " transposition ", la ministre chargée du travail n'a pas fait une inexacte application du pouvoir qu'elle tient du premier alinéa de l'article L. 2261-25 du code du travail.
8. Il résulte de ce qui précède que la Fédération CFDT santé-sociaux n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle la ministre chargée du travail a refusé de faire droit à sa demande du 29 mai 2024 tendant à ce que l'avenant n° 33, ainsi que l'accord du 5 juillet 2023 de " transposition " de cet avenant, soient étendus.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions présentées par la Fédération de l'hospitalisation privée et le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées, d'une part, et le Syndicat national santé sociaux privé UNSA et le Syndicat autonome des métiers de santé UNSA, d'autre part, sont admises.
Article 2 : La requête de la Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des syndicats CFDT des services de santé et des services sociaux, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à la Fédération de l'hospitalisation privée, au Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées, au Syndicat national santé sociaux privé UNSA et au Syndicat autonome des métiers de santé UNSA.