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13/06/2025 | FRANCE | N°492508

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 13 juin 2025, 492508


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2312300 du 8 mars 2024, enregistrée le 12 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 28 décembre 2023 au greffe de ce tribunal, présentée par Mme D....



Par cette requête et par un mémoire en réplique, enregistré le 28 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,

Mme B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouv...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2312300 du 8 mars 2024, enregistrée le 12 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 28 décembre 2023 au greffe de ce tribunal, présentée par Mme D....

Par cette requête et par un mémoire en réplique, enregistré le 28 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du Président de la République du 13 octobre 2023 mettant fin à ses fonctions et à son détachement sur l'emploi fonctionnel de directrice académique des services de l'éducation nationale du département de Vaucluse ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de procéder au réexamen de sa situation administrative à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le décret qu'elle attaque est entaché :

- d'irrégularité, en ce qu'elle n'a pas eu communication de l'ensemble de son dossier en méconnaissance des prescriptions de l'article L 137-4 du code général de la fonction publique ;

- d'erreur manifeste d'appréciation et d'inexactitude matérielle, dès lors que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis et qu'ils ne lui sont pas imputables ;

- d'illégalité, en ce que la décision de retrait de son emploi est intervenue postérieurement à la fin de la période probatoire de six mois prévue par le décret du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat ;

- d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir, en ce que la décision de retrait d'emploi constitue une sanction disciplinaire déguisée.

Par deux mémoires enregistrés les 26 juin et 2 septembre 2024, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code général de la fonction publique ;

- le décret n° 2016-1413 du 20 octobre 2016 ;

- le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 mai 2025, présentée par Mme B... ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... B..., qui appartient au corps des inspecteurs d'académie - inspecteurs pédagogiques régionaux relevant du ministre de l'éducation nationale, a été nommée par décret du Président de la République du 23 décembre 2021 dans l'emploi de directrice académique des services déconcentrés de l'éducation nationale du département de Vaucluse. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, après des signalements émanant notamment du recteur de l'académie d'Aix-Marseille, a confié à l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche une mission d'enquête administrative concernant de potentiels dysfonctionnements dans le mode de management et le pilotage de ce service. L'inspection a remis son rapport au mois d'août 2023. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 octobre 2023 par lequel le Président de la République a mis fin, dans l'intérêt du service, à ses fonctions et à son détachement dans cet emploi.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article 1er du décret du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat : " Le présent titre fixe les modalités de sélection, de nomination, de classement, d'avancement et de rémunération applicables aux emplois de direction des administrations centrales et assimilées et des administrations déconcentrées de l'Etat mentionnés aux titres II à V, sous réserve des dispositions particulières prévues par ces titres (...) ". Aux termes de l'article 16 du même décret : " Les agents nommés dans l'un des emplois régis par le présent décret peuvent se voir retirer leur emploi dans l'intérêt du service. Cette décision de retrait d'emploi est motivée. Elle doit être précédée d'un entretien conduit par l'autorité dont relève l'emploi. / Le retrait de l'emploi conduit, selon le cas, à la fin du détachement, à la fin du congé de mobilité ou au licenciement. " Aux termes de l'article 54 du même décret : " Constituent également des emplois de direction au sens du présent décret les emplois suivants : / 1° Emplois fonctionnels des services déconcentrés de l'éducation nationale relevant du décret du 20 octobre 2016 (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 20 octobre 2016 relatif aux emplois fonctionnels des services déconcentrés de l'éducation nationale : " Sont régis par les dispositions du présent décret ainsi que par les titres Ier et III du décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat les emplois fonctionnels des services déconcentrés de l'éducation nationale suivants : / (...) 4° Directeur académique des services de l'éducation nationale (...) ".

Sur la légalité du décret attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 137-1 du code général de la fonction publique : " Le dossier individuel de l'agent public doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité. " Aux termes de l'article L. 137-4 du même code : " Tout agent public a accès à son dossier individuel. " Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, l'intéressé doit, en application de l'article L. 137-4 du code général de la fonction publique, être mis à même d'obtenir communication du rapport établi à l'issue de cette enquête ainsi que, lorsqu'ils existent, des procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été informée, par courrier du 24 août 2023, que, dans la perspective d'un éventuel retrait de son emploi de directrice académique des services départementaux de l'éducation nationale de Vaucluse, elle avait la possibilité d'avoir accès à son dossier, ce qu'elle a demandé, en limitant toutefois sa demande d'accès à la communication du rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. D'une part, si ne figurent pas aux éléments de son dossier qui lui ont été communiqués le compte-rendu de son évaluation professionnelle au titre de l'année 2021-2022, conduite par le recteur de l'académie d'Aix-Marseille le 18 juillet 2022 et rédigé le 22 septembre 2022, certaines de ses distinctions honorifiques ainsi que le certificat de formation à la gestion de crise qu'elle a obtenu le 20 septembre 2016, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui avait connaissance de l'existence de ces documents, n'en a pas demandé la communication. D'autre part, si Mme B... soutient que les questions posées aux personnes entendues par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche n'apparaissaient pas dans les procès-verbaux, annexés au rapport de l'inspection, reprenant leurs déclarations, alors qu'elles auraient dû lui être transmises, il ressort des pièces du dossier que ces procès-verbaux, qui lui ont tous été communiqués, n'ont fait l'objet d'aucune occultation. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas été mise à même d'obtenir communication de l'intégralité de son dossier en méconnaissance de l'article L. 137-4 du code général de la fonction publique.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13 du décret du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat : " Le détachement (...) comporte une période probatoire d'une durée maximale de six mois. (...) / Au cours de cette période, l'autorité de recrutement, sur proposition de l'autorité dont relève l'emploi à pourvoir, peut mettre fin au détachement, (...) pour tout motif et à tout moment, sans préavis ni indemnité. / Cette décision ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. Elle est notifiée à l'intéressé. / La période probatoire ne s'applique pas en cas de reconduction de l'agent dans le même emploi. " Ces dispositions, qui permettent à l'autorité de recrutement, à l'occasion de la prise de poste, de s'assurer de l'adéquation de l'agent aux missions qu'il a à exercer, et, à défaut, de mettre fin au détachement dans les six mois suivant la prise de poste, n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de faire obstacle à ce que, sur le fondement de l'article 16 du même décret cité au point 2, les agents nommés dans l'un des emplois régis par ce décret se voient retirer, postérieurement à l'expiration de la période probatoire, leur emploi dans l'intérêt du service. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de retrait, dans l'intérêt du service, de l'emploi de directrice académique des services de l'éducation nationale du département de Vaucluse serait illégale pour être intervenue postérieurement à la fin de la période probatoire de six mois prévue par l'article 13 du décret du 31 décembre 2019 précité, ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la motivation du décret attaqué, que la décision de mettre fin aux fonctions de Mme B... a eu pour objet de remédier, dans l'intérêt du service, au " dysfonctionnement durable " de la direction académique des services de l'éducation nationale du département de Vaucluse trouvant sa cause dans les modalités de son pilotage par l'intéressée ainsi que par son adjoint. S'il ressort du rapport d'enquête ayant précédé cette mesure que des difficultés existaient au sein des services départementaux de l'éducation nationale de Vaucluse avant même la nomination de Mme B..., il en ressort également que ces difficultés préexistantes ont été prises en compte dans l'appréciation de la situation, ce rapport décrivant de manière circonstanciée, et par ailleurs impartiale, les agissements de l'intéressée caractérisant un pilotage défaillant de cette direction et ayant conduit aux dysfonctionnements constatés par l'inspection. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait entaché d'inexactitude matérielle et d'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

7. En quatrième et dernier lieu, si Mme B... soutient que la décision attaquée serait en réalité justifiée par des faits constitutifs de harcèlement moral dont il était fait état dans le rapport d'enquête et qu'elle constituerait une sanction disciplinaire déguisée à raison de ces faits, il ressort toutefois des pièces du dossier que la décision contestée n'est pas fondée sur ce motif mais a été prise, ainsi qu'il a été dit, dans l'intérêt du service, en vue de rétablir le bon fonctionnement de la direction. Le détournement de pouvoir allégué n'est, par suite, pas établi.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 13 octobre 2023 qu'elle attaque. Par suite, la requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., au Premier ministre et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492508
Date de la décision : 13/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2025, n° 492508
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Cyrille Beaufils

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:492508.20250613
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