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13/06/2025 | FRANCE | N°463831

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 13 juin 2025, 463831


Vu la procédure suivante :



Le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins a porté plainte contre Mme B... A..., le 21 décembre 2017, devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 5 septembre 2018, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.



Par une décision du 8 mars 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins, annulé cette déci

sion et infligé à Mme A... la sanction de l'avertissement.



Par un pourvoi...

Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins a porté plainte contre Mme B... A..., le 21 décembre 2017, devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins. Par une décision du 5 septembre 2018, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte.

Par une décision du 8 mars 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins, annulé cette décision et infligé à Mme A... la sanction de l'avertissement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 9 mai et 8 août 2022, les 17 mars et 9 juin 2023 et le 15 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de rejeter le pourvoi incident de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins soutient que la décision qu'il attaque est entachée :

- d'erreur de droit en ce qu'elle juge que la seule circonstance que Mme A..., médecin ophtalmologiste, exerçait son activité de chirurgie réfractive dans des locaux commerciaux ne saurait constituer un manquement aux dispositions de l'article R. 4127-19 du code de la santé publique ;

- d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle ne retient pas le manquement aux dispositions de l'article R. 4127-19 précité aux termes duquel la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ;

- d'erreur de droit en ce qu'elle écarte le moyen tiré de la violation de l'article R. 4127-19 précité au motif que Mme A... n'était pas à l'initiative des messages promotionnels diffusés par la société Optical Center ;

- de contradiction de motifs en ce qu'elle écarte le grief tiré de la méconnaissance de l'article R. 4127-25 du code de la santé publique, interdisant l'exercice d'une activité médicale dans des locaux commerciaux, au motif que l'accès au local dans lequel Mme A... exerçait son activité était distinct de celui du magasin d'optique, tout en reconnaissant que les locaux dans lesquels cette clinique était située étaient des locaux commerciaux ;

- d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle écarte la nature commerciale du local en se fondant sur la configuration de celui-ci et en ne tenant pas compte de son inclusion dans un bail commercial qui emporte, par voie de conséquence, sa qualification de local commercial ;

- d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle écarte le grief de compérage au seul motif que Mme A... ne prescrivait pas de produits distribués par la société Optical Center alors qu'il lui appartenait de rechercher si l'activité de la praticienne permettait d'accroître le profit de cette société au détriment de l'intérêt des patients ;

- d'illégalité en ce que la sanction prononcée est hors de proportion avec la faute commise.

Il soutient, en outre, que le pourvoi incident de Mme A... est irrecevable et que les moyens qu'il soulève ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 29 décembre 2022, le 18 avril 2023 et le 31 octobre 2024, Mme A... conclut au rejet du pourvoi et, par la voie du pourvoi incident, à l'annulation de la décision attaquée et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens du pourvoi ne sont pas fondés.

Elle soutient en outre que la décision attaquée est entachée :

- d'erreur de droit en ce qu'elle juge qu'elle a méconnu l'article R. 4127-5 du code de la santé publique selon lequel le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle alors même que ce risque ne se serait pas réalisé ;

- d'erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur des circonstances inopérantes pour juger que l'article R. 4127-5 du code de la santé publique a été méconnu ;

- de méprise sur la portée de cet article en ce que le manquement qui lui est reproché, à supposer qu'il soit établi, n'est pas constitutif d'une violation du principe d'indépendance professionnelle des médecins ;

- de dénaturation des pièces du dossier en ce qu'elle estime que les clauses du contrat de travail qu'elle a conclu avec la société Optical Center sont ambiguës ;

- d'insuffisance de motivation et d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'elle retient un manquement au principe d'indépendance professionnelle.

Le Conseil national de l'ordre des médecins a présenté des observations, enregistrées les 22 février et 11 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins ; au cabinet Munier-Apaire, avocat de Mme B... A... ; et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., médecin spécialiste, qualifiée en ophtalmologie, a transmis au conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins le contrat qu'elle a signé le 8 juin 2016 avec la société Optical Center, qui a principalement une activité dans le commerce de détail d'optique, en vue d'exercer, en qualité de salariée, une activité de chirurgie réfractive au sein d'une clinique de chirurgie réfractive exploitée par cette société, et qu'elle a exercé cette activité pour le compte de cette société entre octobre 2016 et novembre 2018. Le 21 décembre 2017, le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins a porté plainte contre Mme A... devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des médecins pour méconnaissance de plusieurs dispositions du code de déontologie. Par une décision du 5 septembre 2018, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte. Par une décision du 8 mars 2022, contre laquelle le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins se pourvoit en cassation, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins, annulé cette décision et prononcé à l'encontre de Mme A... la sanction de l'avertissement. Par la voie du pourvoi incident, Mme A... demande l'annulation de cette même décision.

2. Aux termes de l'article R. 4127-25 du code de la santé publique : " Il est interdit aux médecins de dispenser des consultations, prescriptions ou avis médicaux dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils qu'ils prescrivent ou qu'ils utilisent ". Ces dispositions interdisent aux médecins de pratiquer la médecine dans des locaux au sein desquels s'exerce une activité commerciale.

3. Il ressort des énonciations de la décision attaquée que, pour retenir que Mme A..., ophtalmologiste salariée de la société Optical Center, ne pratiquait pas la chirurgie réfractive de l'œil dans des locaux commerciaux en méconnaissance de ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale s'est fondée, d'une part, sur ce que le local dans lequel Mme A... exerçait son activité, situé au premier étage d'un ensemble immobilier loué par la société Optical Center, disposait d'un accès distinct de celui du magasin d'optique exploité par cette même société au rez-de-chaussée de ce même ensemble immobilier et était identifié par une plaque spécifique et, d'autre part, sur ce que Mme A... ne procédait à aucune prescription pour des verres correcteurs ou des lentilles de correction. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges disciplinaires que la devanture du magasin d'optique et celle de la clinique de chirurgie réfractive, sur la façade de l'immeuble visible depuis la rue, entretenaient, par leurs mentions et la typographie utilisée, une confusion entre les activités de commerce d'optique et de chirurgie réfractive de la société Optical Center. Il en ressort en outre également qu'un ascenseur - ne pouvant, il est vrai, être actionné que par le personnel du magasin d'optique - permettait aux clients et aux patients d'accéder directement à la clinique de chirurgie réfractive depuis le magasin d'optique. Par suite, en jugeant que Mme A... n'avait pas méconnu l'interdiction d'exercer " dans des locaux commerciaux " au sens des dispositions du code de la santé publique rappelées au point 2, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.

4. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins est fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'il attaque. Cette annulation prive d'objet les conclusions du pourvoi incident de Mme A....

5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme que demande le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 8 mars 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de Mme A....

Article 4 : Les conclusions présentées par le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins et par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins et à Mme B... A....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463831
Date de la décision : 13/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2025, n° 463831
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Fraval
Rapporteur public ?: M. Cyrille Beaufils
Avocat(s) : CABINET MUNIER-APAIRE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:463831.20250613
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