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12/06/2025 | FRANCE | N°497930

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 12 juin 2025, 497930


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 septembre et 16 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Syndicat des avocats de France (SAF), l'Association pour le droit des étrangers (ADDE), la Fédération des Associations de Solidarité avec Tou.te.s, les Immigré.e.s (FASTI), l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères (Anafé), la Ligue des droits de l'homme (LDH), l'Asso

ciation droits ici et là-bas (DIEL), la coalition internationale des sans-pa...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 septembre et 16 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Syndicat des avocats de France (SAF), l'Association pour le droit des étrangers (ADDE), la Fédération des Associations de Solidarité avec Tou.te.s, les Immigré.e.s (FASTI), l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les personnes étrangères (Anafé), la Ligue des droits de l'homme (LDH), l'Association droits ici et là-bas (DIEL), la coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM) et l'association La Cimade demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l'application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, et autres et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national des barreaux ;

Considérant ce qui suit :

1. Le titre VII de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration a modifié les dispositions législatives du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour simplifier les règles du contentieux, administratif comme judiciaire, relatif à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers. Il a notamment réécrit les articles L. 342-6 et L. 743-7 et inséré un nouvel article L. 922-3 pour prévoir que lorsque l'étranger est placé ou maintenu en rétention administrative ou en zone d'attente, l'audience, respectivement devant le juge judiciaire et, dans le cadre des procédures à juge unique, devant le juge administratif, se tient en principe dans une salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate, selon le cas, du lieu de rétention ou de la zone d'attente. Le magistrat peut toutefois siéger dans les locaux du tribunal judiciaire ou du tribunal administratif, les deux salles d'audience étant alors ouvertes au public et reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle. Par dérogation, lorsqu'aucune salle d'audience n'a été spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention ou de la zone d'attente ou en cas d'indisponibilité de cette salle, l'audience se tient, selon le cas, au tribunal administratif ou dans des locaux affectés à un usage juridictionnel judiciaire proches du lieu de rétention ou de la zone d'attente ou au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention ou la zone d'attente.

2. Le GISTI et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 juillet 2024 pris pour l'application de ce titre VII de la loi du 26 janvier 2024, en particulier des dispositions relatives à la tenue de l'audience en ce qu'elles mettent en œuvre le principe des audiences délocalisées et la faculté de recourir à deux salles d'audience reliées par un moyen de communication audiovisuelle. Ils contestent également celles supprimant la voie de l'appel en cas de recours contre une décision de transfert du demandeur d'une protection internationale vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile.

3. Le Conseil national des barreaux justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la consultation du Conseil d'Etat :

4. Il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, que le décret attaqué ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.

Sur les moyens relatifs à la délocalisation de l'audience et au recours à un moyen de communication audiovisuelle :

5. En premier lieu, il ressort des termes mêmes des articles L. 342-6, L. 743-7 et L. 922-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, que si, lorsque l'étranger est placé ou maintenu en rétention administrative ou en zone d'attente, l'audience se tient en principe dans une salle d'audience à proximité immédiate du lieu de rétention ou de la zone d'attente, cette salle doit être attribuée au ministère de la justice et spécialement aménagée à cet effet. Par ailleurs, lorsqu'il est recouru à un moyen de communication audiovisuelle pour relier les deux salles d'audience dans le cas où le magistrat décide de siéger dans les locaux du tribunal administratif ou du tribunal judiciaire, il est prévu que l'avocat de l'étranger peut assister à l'audience dans l'une ou l'autre salle et a le droit de s'entretenir avec son client de manière confidentielle, qu'une copie de l'intégralité du dossier est mise à la disposition de l'intéressé, que les deux salles d'audience sont ouvertes au public et qu'un procès-verbal attestant de la conformité des opérations effectuées est établi dans chacune des salles d'audience et, enfin, que le moyen de communication audiovisuelle utilisé doit garantir la confidentialité et la qualité de la transmission et qu'à ce titre, le juge peut, de sa propre initiative ou à la demande des parties, suspendre l'audience lorsqu'il constate que la qualité de la retransmission ne permet pas à l'étranger ou à son conseil de présenter ses explications dans des conditions garantissant une bonne administration de la justice.

6. D'une part, le moyen tiré de ce que ces dispositions législatives porteraient atteinte aux droits de la défense est irrecevable, faute d'avoir été présenté par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par un mémoire distinct et motivé. Au demeurant, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution dans sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024. D'autre part, il ne saurait être sérieusement soutenu que le décret attaqué aurait dû rappeler les garanties prévues par la loi et les exigences relatives aux droits de la défense.

7. En second lieu, comme l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 25 janvier 2024, les dispositions de l'article L. 922-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant qu'elles prévoient le principe d'une audience, pour l'étranger retenu ou placé en zone d'attente, dans une salle à proximité immédiate du lieu de rétention ou de la zone d'attente, tout en ouvrant la possibilité au magistrat de siéger au tribunal administratif, ont été prises dans l'objectif d'une bonne administration de la justice. Leur mise en œuvre est entourée de garanties, énoncées au point 5, qui assurent le respect du droit au procès équitable. Enfin, la seule circonstance que la décision du magistrat de ne pas se déplacer n'est pas susceptible de recours ne saurait caractériser une méconnaissance du droit au procès équitable ou du principe d'égalité.

Sur les moyens relatifs à la tenue des audiences en cas de recours à un moyen de communication audiovisuelle :

8. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 922-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'en cas de recours à un moyen de communication audiovisuelle, les deux salles d'audience sont ouvertes au public. Le moyen tiré de ce que les articles R. 922-19 à R. 922-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issus du décret attaqué, ne permettraient pas, compte tenu de la nature des locaux concernés, d'assurer le respect de la publicité des audiences, en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. En deuxième lieu, dans sa rédaction issu de l'article 1er du décret attaqué, l'article R. 922-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " lorsque l'audience se tient dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 922-3, les missions du greffe qui ne peuvent être assurées par l'agent de greffe présent dans la salle d'audience du tribunal administratif peuvent l'être, sous sa supervision, par un agent du lieu de rétention administrative ou de la zone d'attente, placé pour les besoins de l'audience sous l'autorité du président du tribunal administratif ou du magistrat désigné par lui. Cet agent établit, pour cette salle d'audience, le procès-verbal mentionné au troisième alinéa du même article ".

10. Si ces dispositions permettent, dans le cadre des procédures à juge unique devant la juridiction administrative, de confier à un agent du lieu de rétention administrative ou de la zone d'attente des missions du greffe dans la salle d'audience spécialement aménagée à proximité de tels lieux, de telles missions, limitées à celles ne pouvant être assurées par l'agent de greffe présent dans la salle d'audience du tribunal administratif, ne confèrent pas à l'agent concerné d'attributions juridictionnelles et sont exercées, selon les termes mêmes de l'article R. 922-22, sous la supervision de l'agent de greffe et sous l'autorité du président du tribunal administratif ou du magistrat désigné par lui. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaitraient le principe d'indépendance des juridictions qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

11. En troisième lieu, les dispositions de l'article L. 743-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au recours à un moyen de communication audiovisuelle par le juge judiciaire saisi de la contestation d'une décision de placement en rétention ou d'une demande de prolongation de ce placement sont, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment précises pour être mises en œuvre sans devoir être précisées par voie réglementaire. En tout état de cause, il ne saurait être sérieusement soutenu que le décret attaqué serait entaché d'illégalité faute de définir les modalités suivant lesquelles s'effectuent les missions de greffe dans la salle spécialement aménagée et est rédigé le procès-verbal attestant de la conformité des opérations effectuées.

12. En quatrième lieu, si les associations requérantes reprochent au décret attaqué de ne pas comporter de précisions relatives aux modalités de communication des pièces nouvelles qui seraient produites à l'audience et aux règles de présence des interprètes dans l'une ou l'autre des deux salles d'audience, il incombe au juge de s'assurer que l'audience se déroule dans des conditions propres à satisfaire les exigences du caractère contradictoire de la procédure et le respect des droits de la défense. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait, pour ce motif, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

Sur les moyens relatifs à la communication du dispositif du jugement :

13. En premier lieu, en vertu de l'article R. 743-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 7 du décret attaqué, l'ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire est notifiée aux parties lorsqu'elles sont présentes. Si ce même article dispose que " l'ordonnance leur est notifiée dans les délais les plus brefs et par tous moyens leur permettant d'en accuser réception ", il ressort des termes mêmes de cette disposition que celle-ci ne s'applique que " lorsque les parties ne sont pas comparantes ou ne sont pas présentes au moment du prononcé de la décision ". Par suite, le moyen tiré de ce que le décret, faute de prévoir la notification sur le siège de l'ordonnance, porterait atteinte au droit à un recours effectif manque en fait.

14. En second lieu, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret attaqué, l'article R. 922-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " lorsque l'étranger est placé ou maintenu en rétention administrative ou en zone d'attente, le dispositif du jugement assorti de la formule exécutoire prévue à l'article R. 751-1 du code de justice administrative est communiqué aux parties par tous moyens et dans les délais les plus brefs suivant la levée de l'audience ". La seule circonstance que le décret, faute de prévoir la notification sur le siège du dispositif du jugement du juge administratif, ne permettrait pas à l'interprète le cas échéant présent à l'audience d'assurer auprès de l'étranger la traduction de ce dispositif et des voies et délais de recours, n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité au regard du droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Sur les moyens relatifs à la suppression de l'appel s'agissant des décisions de transfert :

15. Il résulte des dispositions de l'article R. 922-26 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 13° de l'article R. 811 du code de justice administrative, dans leur rédaction issue, respectivement, des articles 1er et 3 du décret attaqué, que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les recours contre les décisions de transfert du demandeur d'une protection internationale vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile.

16. En premier lieu, ni l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ni les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni aucun principe ne consacrent l'existence d'une règle du double degré de juridiction qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par les dispositions contestées, du droit d'exercer un recours effectif doit être écarté.

17. En second lieu, eu égard aux exigences de rapidité et d'effectivité de la contestation des décisions de transfert, le Premier ministre n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en supprimant la voie de l'appel pour ces litiges.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le GISTI et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du Conseil national des barreaux est admise.

Article 2 : La requête du GISTI et autres est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, (GISTI), premier requérant dénommé, au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et au Conseil national des barreaux.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 mai 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 12 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Charline Nicolas

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 497930
Date de la décision : 12/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2025, n° 497930
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Charline Nicolas
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:497930.20250612
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