Vu la procédure suivante :
La société Artlices a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 30 juin 2016. Par un jugement no 2000667 du 8 août 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22MA02544 du 17 octobre 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Artlices contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 décembre 2024 et 14 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Artlices demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 14 mars 2025 et présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Artlices demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 297 B du code général des impôts.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2015-681 du 18 juin 2015 ;
- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Artlices ;
Considérant ce qui suit :
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du
7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. D'une part, aux termes de l'article 297 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 juin 2015 portant simplification des obligations déclaratives des entreprises en matière fiscale et antérieure à son abrogation, à compter du 1er janvier 2025, par la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 : " Les assujettis revendeurs peuvent demander à appliquer les dispositions de l'article 297 A pour les livraisons d'œuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité subséquentes à une importation, une acquisition intracommunautaire ou une livraison soumises au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée en application de l'article 278 septies ou du I de l'article 278-0 bis. / L'option est valable à compter du premier jour du mois suivant celui de la demande et jusqu'à la fin de la deuxième année civile suivante. / Elle est renouvelable par tacite reconduction, par période de deux années civiles, sauf dénonciation formulée avant l'expiration de chaque période ".
3. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 287 du même code, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Tout redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est tenu de remettre au service des impôts dont il dépend et dans le délai fixé par arrêté une déclaration conforme au modèle prescrit par l'administration ".
4. Il résulte des dispositions de l'article 297 B du code général des impôts citées au point 2 que l'option qu'elles prévoient pour le régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge bénéficiaire doit faire l'objet d'une demande expresse à l'administration. L'option ne peut résulter de ce que l'assujetti revendeur n'aurait mentionné, dans la déclaration de chiffre d'affaires déposée en application de l'article 287 du code général des impôts, s'agissant des opérations mentionnées au premier alinéa de l'article 297 B réalisées au cours de la période couverte par cette déclaration, qu'un chiffre d'affaires correspondant à la marge bénéficiaire de ces opérations et non à leur montant total.
5. La société Artlices soutient que les dispositions de l'article 297 B du code général des impôts, telles qu'interprétées au point 4, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, du fait de la différence de traitement qui en découle, pour la détermination de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée, entre les assujettis revendeurs selon qu'ils ont ou non respecté la formalité consistant à présenter une demande expresse d'option en faveur du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge bénéficiaire.
6. D'une part, l'exigence d'une demande expresse s'applique indistinctement à tous les assujettis revendeurs qui souhaitent opter pour le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge bénéficiaire et elle n'interdit en pratique à aucune des personnes entrant dans le champ d'application des dispositions de l'article 297 B du code général des impôts de bénéficier de l'option qu'elles prévoient. D'autre part, le respect de cette exigence constitue un critère de distinction objectif et rationnel au regard du but poursuivi par la loi, qui est d'offrir aux assujettis revendeurs dont tout ou partie des opérations ne relèvent pas de plein droit du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge bénéficiaire prévu par l'article 297 A du code général des impôts, la faculté de soumettre certaines de ces opérations à ce régime, et ne peut être regardé comme faisant reposer sur les assujettis revendeurs qui souhaitent exercer cette option une sujétion manifestement disproportionnée. Par suite, la société Artlices n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 297 B du code général des impôts institueraient une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques.
7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur l'autre moyen du pourvoi :
8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
9. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société Artlices soutient que la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit en jugeant que l'exercice de l'option prévue par l'article 297 B du code général des impôts était subordonné à une demande expresse préalable et ne pouvait résulter du seul dépôt de ses déclarations de chiffre d'affaires.
10. Ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'article 297 B du code général des impôts.
Article 2 : Le pourvoi de la société Artlices n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Artlices et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mai 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 11 juin 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
Le secrétaire :
Signé : M. Gilles Ho
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :