Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 29 avril 2019 par laquelle la rectrice de l'académie de Reims l'a informé qu'une radiation des cadres à la date du 1er novembre 2017 interviendrait sans liquidation anticipée de son droit à pension de retraite, et d'enjoindre à cette autorité administrative de liquider et de mettre en paiement sa pension. Par un jugement
n° 1901578 du 6 octobre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20NC03409 du 29 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Nancy a transmis au Conseil d'Etat le pourvoi formé par M. A... contre ce jugement, enregistré au greffe de cette cour le 24 novembre 2020.
Par ce pourvoi ainsi que par un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés le 9 mars 2023 et le 12 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de la fonction publique ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;
- le décret n° 2010-1741 du 30 décembre 2010 ;
- le décret n° 2013-39 du 10 janvier 2013 ;
- l'arrêté du 26 juillet 2019 fixant la date d'effet de la nouvelle procédure d'admission à la retraite à l'égard des fonctionnaires civils et des militaires relevant de l'administration centrale des ministères de l'éducation nationale et de la jeunesse et de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, de certaines académies et de certains établissements d'enseignement supérieur ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A..., alors professeur d'enseignement général des collèges, a demandé son admission anticipée à la retraite avec jouissance à effet immédiat de sa pension à compter du 1er novembre 2017, en qualité de parent de trois enfants ayant, pour chacun d'eux, réduit ou interrompu son activité. Par un arrêté du 28 novembre 2016, la rectrice de l'académie de Reims a fait droit à sa demande. Toutefois, par un arrêté du 12 septembre 2017, elle a rapporté cette décision au motif que les autorisations successives données à M. A... de travailler à temps partiel ne précisaient pas qu'elles étaient accordées de plein droit à l'occasion de la naissance d'un enfant. Par un premier jugement du 2 avril 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, sur demande de M. A..., annulé l'arrêté du 12 septembre 2017 au motif qu'il ne pouvait retirer l'arrêté du 28 novembre 2016 plus de quatre mois après son édiction. Par une lettre du 29 avril 2019, répondant à la demande de M. A... tendant à ce que soient tirées toutes les conséquences de ce jugement, la rectrice de l'académie de Reims l'a informé qu'il en résultait seulement que l'arrêté de radiation des cadres du 28 novembre 2016 était rétabli, sans qu'il y ait lieu de liquider sa pension à compter du 1er novembre 2017 et que, dès lors, s'il devait être radié des cadres à cette date, sa pension ne pourrait être liquidée avant qu'il atteigne l'âge de soixante-deux ans, soit le 7 août 2023. Par un jugement du 6 octobre 2020, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du 29 avril 2019. M. A... se pourvoit en cassation contre ce jugement.
Sur la portée du litige :
2. Aux termes de l'article D.1 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction antérieure au décret du 10 janvier 2013 relatif à l'admission à la retraite des fonctionnaires de l'Etat, des magistrats et des militaires, applicable aux fonctionnaires relevant de l'académie de Reims jusqu'au 31 août 2019 conformément aux dispositions de l'arrêté du 26 juillet 2019 du ministre de l'action et des comptes publics, du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, pris pour l'application de l'article 3 de ce décret et qui a fixé au 1er septembre 2019 la date d'effet des modifications apportées à ces dispositions à l'égard de ces fonctionnaires : " Pour obtenir la concession et la liquidation de sa pension à la date à laquelle il souhaite cesser son activité, le fonctionnaire, le magistrat ou le militaire doit déposer sa demande d'admission à la retraite, par la voie hiérarchique, six mois avant cette date, auprès du service gestionnaire dont il relève. / La décision de radiation des cadres prononcée pour un motif autre que l'invalidité doit être prise dans les deux mois qui suivent le dépôt de la demande d'admission à la retraite et, en tout état de cause, quatre mois au moins avant la date à laquelle elle prend effet. / (...) / La concession de la pension doit intervenir au plus tard un mois avant la date d'effet de la radiation des cadres ". Aux termes de l'article R. 65 du même code : " (...) la pension de l'intéressé ou celle de ses ayants cause ou, le cas échéant, la rente viagère d'invalidité est liquidée et concédée par arrêté du ministre chargé du budget ".
3. Il résulte de ces dispositions, qui étaient applicables à M. A... à la date à laquelle il a demandé pour la première fois son admission anticipée à la retraite avec jouissance à effet immédiat de sa pension comme à la date à laquelle il a demandé à la rectrice de l'académie de Reims de tirer toutes les conséquences du premier jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qu'il appartenait au service gestionnaire dont il relevait, après qu'il eut été admis à la retraite et radié des cadres, de transmettre cette décision au ministre chargé du budget en vue de la liquidation et de la concession, par ce dernier, d'une pension.
4. Par suite, la rectrice de l'académie de Reims devait s'estimer saisie d'une nouvelle demande de concession de sa pension, présentée par M. A... à la suite du premier jugement, et sa réponse du 29 avril 2019 doit être regardée comme un refus de transmission de cette demande au ministre chargé des pensions, dont il n'a pu que résulter une décision implicite de ce ministre refusant à M. A... le bénéfice de la liquidation anticipée de ses droits à pension. Dès lors, la demande présentée par M. A... au tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne doit être regardée comme dirigée contre cette dernière décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article R.* 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " L'acte de radiation des cadres spécifie les circonstances susceptibles d'ouvrir droit à pension et vise les dispositions légales invoquées à l'appui de cette décision. / Les énonciations de cet acte ne peuvent préjuger ni la reconnaissance effective du droit, ni les modalités de liquidation de la pension, ces dernières n'étant déterminées que par l'arrêté de concession ".
6. S'il résulte de ces dispositions que M. A... ne pouvait utilement invoquer, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation du refus de liquider et de lui concéder une pension de retraite, les énonciations de l'arrêté l'admettant à la retraite relatives à ses droits à la jouissance d'une pension de retraite à effet immédiat, il n'en allait pas de même des dispositions législatives et réglementaires déterminant les conditions dans lesquelles il pouvait avoir droit à la liquidation anticipée de la pension. Il s'ensuit que le tribunal administratif, qui s'est, d'ailleurs, mépris sur la portée du litige et s'est estimé à tort saisi d'un recours en excès de pouvoir alors qu'il lui appartenait de se prononcer en tant que juge de plein contentieux, a commis une erreur de droit en écartant comme inopérants les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites et de l'article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Par suite,
M. A... est fondé, sans qu'il y ait besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur les conclusions de M. A... à fin d'annulation et d'injonction :
8. Le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite étant un contentieux de pleine juridiction, il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits de l'intéressé, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer.
9. Aux termes du III de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : " Par dérogation à l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le fonctionnaire civil et le militaire ayant accompli quinze années de services civils ou militaires effectifs avant le 1er janvier 2012 et parent à cette date de trois enfants vivants (...) conserve la possibilité de liquider sa pension par anticipation à condition d'avoir, pour chaque enfant, interrompu ou réduit son activité dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article 2 du décret du 30 décembre 2010 portant application aux fonctionnaires, aux militaires et aux ouvriers des établissements industriels de l'Etat des articles 44 et 52 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : " Les dispositions de l'article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite sont applicables, pour chaque enfant, aux fonctionnaires et militaires mentionnés au III de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 susvisée ". Aux termes du II bis de l'article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la réduction d'activité ouvrant droit à liquider sa pension par anticipation " est constituée d'une période de service à temps partiel d'une durée continue d'au moins quatre mois pour une quotité de temps de travail de 50 % de la durée du service que les agents à temps plein exerçant les mêmes fonctions doivent effectuer, d'au moins cinq mois pour une quotité de 60 % et d'au moins sept mois pour une quotité de 70 %. / Sont prises en compte pour le calcul de la durée mentionnée au premier alinéa les périodes correspondant à un service à temps partiel pris en application des dispositions du premier alinéa de l'article 37 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 37 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, désormais codifié à l'article L. 612-3 du code général de la fonction publique : " L'autorisation d'accomplir un travail à temps partiel, selon les quotités de 50 %, 60 %, 70 % et 80 % est accordée de plein droit aux fonctionnaires à l'occasion de chaque naissance jusqu'au troisième anniversaire de l'enfant (...) ". Enfin, l'article R. 911-9 du code de l'éducation, reprenant les dispositions de l'article 1-5 du décret du 20 juillet 1982 fixant les modalités d'application pour les fonctionnaires de l'ordonnance n° 82-696 du 31 mars 1982 relative à l'exercice des fonctions à temps partiel, précise les conditions dans lesquelles l'exercice d'un service à temps partiel accordé de droit est aménagé pour les personnels relevant d'un régime d'obligations de service. Aux termes du 1° de cet article : " Pour les personnels des établissements d'enseignement du second degré relevant d'un régime d'obligations de service défini en heures hebdomadaires, bénéficiant d'un temps partiel de droit, la durée du service est aménagée de façon à obtenir un nombre entier d'heures correspondant à la quotité de temps de travail choisie (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions que les périodes de réduction d'activité pouvant ouvrir droit au bénéfice de la liquidation anticipée de la pension prévue au III de l'article 44 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites doivent, d'une part, satisfaire à la condition de durée minimale prévue au II bis de l'article R. 37 du même code et, d'autre part, être accordées, conformément aux dispositions limitativement énumérées à ce même II bis, dans un délai de trois ans, à l'occasion de la naissance ou de l'adoption d'un enfant, selon la quotité de 50 %, 60 % ou 70 % aménagée, le cas échéant, dans les conditions et selon les modalités prévues par l'article R. 911-9 du code de l'éducation pour les professeurs relevant d'un régime d'obligation de service.
11. Il résulte de l'instruction, en premier lieu, qu'il est constant que
M. A..., professeur titulaire depuis 1987, remplissait, à la date du 1er novembre 2017 à laquelle l'arrêté du 12 septembre 2017 l'a admis à la retraite, la condition d'avoir accompli quinze années de services civils avant le 1er janvier 2012 ainsi que la condition d'avoir été, à cette date, parent de trois enfants vivants, nés respectivement les 10 juillet 1994, 26 juin 1997 et 1er juillet 2000. Il en résulte, en second lieu, qu'il a exercé ses fonctions à temps partiel à compter du 1er septembre 1996, après la naissance et avant le troisième anniversaire de son premier enfant et jusqu'au 31 août 2006, postérieurement au troisième anniversaire de son troisième enfant, selon une quotité de 12/18èmes, soit 66,67%. Par suite, M. A... est fondé à soutenir qu'il était en droit de bénéficier de la liquidation anticipée de sa pension dès la date du 1er novembre 2017 à laquelle il avait été admis à la retraite et à demander l'annulation de la décision implicite de rejet qu'il attaque.
12. Le jugement du 2 avril 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ayant eu pour effet de rétablir l'arrêté du 28 novembre 2016 admettant M. A... à la retraite à compter du 1er novembre 2017, il résulte de ce qui vient d'être dit au point 11 que celui-ci avait droit, au titre de la période allant de cette date à celle à laquelle il a effectivement quitté ses fonctions, au versement de son traitement avec retenues pour pension ainsi qu'à un supplément de liquidation pour la pension versée à compter du jour de la cessation de ses fonctions, dans la limite du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum de celle-ci. Il y a lieu, dès lors, de prescrire au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de concéder à M. A..., à compter de la date de la cessation effective de ses fonctions, la pension de retraite ainsi liquidée, par un arrêté pris dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette prescription d'une astreinte comme le demande l'intéressé.
13. Il y a en outre lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 6 octobre 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : La décision implicite du ministre chargé du budget rejetant la demande de M. A... tendant à la liquidation de sa pension est annulée.
Article 3 : Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique concèdera, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, la pension de retraite due à M. A... dans les conditions précisées par les motifs de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mai 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 11 juin 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
Le secrétaire :
Signé : M. Gilles Ho
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :