Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2023-170 du 11 juillet 2023 par laquelle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a émis un avis d'incompatibilité sur son projet de rejoindre la société anonyme sportive professionnelle Football Club de Nantes (FC Nantes) en qualité de directeur sûreté et sécurité ;
2°) de mettre à la charge de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 juin 2025, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... A..., brigadier-chef au sein du service régional du renseignement territorial de Nantes, a demandé sa mise en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 1er juin 2023 aux fins d'occuper, à compter de cette date, l'emploi de directeur de la sûreté et de la sécurité au sein de la société anonyme sportive professionnelle Football Club de Nantes (FC Nantes). Par une décision du 3 avril 2023, le préfet de la zone de défense et de sécurité Ouest a refusé de l'autoriser à exercer l'activité privée envisagée, estimant, après avoir recueilli l'avis de la référente-déontologue de la police nationale, que cette activité risquait de l'exposer à commettre le délit de prise illégale d'intérêts et de compromettre le bon fonctionnement, l'indépendance et la neutralité du service. Par une ordonnance du 14 juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, saisi par M. A..., a suspendu l'exécution de cette décision et enjoint au préfet de la zone de défense et de sécurité Ouest de procéder au réexamen de la demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de son ordonnance. Le préfet, avant de statuer à nouveau sur la demande de M. A..., a saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique afin que celle-ci se prononce sur la compatibilité du projet professionnel envisagé par l'intéressé avec ses fonctions. Par une délibération du 11 juillet 2023, cette autorité a rendu un avis d'incompatibilité au motif qu'il existait un risque substantiel que M. A... commette le délit de prise illégale d'intérêts s'il prenait une participation par travail au sein de cette société. M. A... demande au Conseil d'Etat d'annuler, pour excès de pouvoir, cette délibération.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article 432-13 du code pénal : " Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que membre du Gouvernement, membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, titulaire d'une fonction exécutive locale, fonctionnaire, militaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions (...) ".
3. D'autre part, en vertu de l'article L. 124-4 du code général de la fonction publique, il appartient au fonctionnaire cessant définitivement ou temporairement ses fonctions de saisir, à titre préalable, l'autorité hiérarchique dont il relève afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions qu'il a exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité. Dans l'hypothèse où, ayant un doute sérieux, cette autorité hiérarchique a saisi le référent déontologue et que l'avis de celui-ci ne permet pas de lever le doute, l'autorité hiérarchique saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
4. En vertu de l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est chargée d'émettre un avis sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application notamment de l'article L. 124-4. Lorsqu'elle exerce l'attribution prévue à l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine notamment, aux termes de l'article L. 124-12 du même code, si l'activité envisagée par le fonctionnaire présente un risque pénal, c'est-à-dire si elle risque " de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ". Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité, non d'examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d'apprécier le risque qu'ils puissent l'être et de se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.
5. Enfin, l'article L. 124-14 du même code dispose que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique rend, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, un avis de compatibilité, de compatibilité avec réserves, ou d'incompatibilité et que l'absence d'avis dans ce délai vaut avis de compatibilité. L'article L. 124-15 dispose que les avis de compatibilité avec réserves et les avis d'incompatibilité " lient l'administration et s'imposent à l'agent. Ils sont notifiés à l'administration, à l'agent et à l'entreprise ou à l'organisme de droit privé d'accueil de l'agent. "
Sur la légalité externe de la délibération attaquée :
6. En premier lieu, la délibération attaquée, qui énonce les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée.
7. En deuxième lieu, la délibération par laquelle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique rend un avis en application de l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, qui doit être regardée comme prise sur la demande de l'intéressé, n'est pas soumise à une procédure contradictoire préalable. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été néanmoins informé, le 30 juin 2023, que le collège de la Haute Autorité pourrait formuler un avis d'incompatibilité sur son projet en raison du risque que celui-ci le mette en situation de commettre le délit de prise illégale d'intérêts et a été invité à présenter des observations. Par suite, le moyen tiré de ce que la délibération litigieuse a été prise sans procédure contradictoire ne peut qu'être écarté. Doit, de même et en tout état de cause, être écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces produites en défense que, contrairement à ce que soutient la requête, le dossier destiné à l'examen de la situation de M. A... a bien été communiqué aux membres du collège de la Haute Autorité dans le délai prévu par son règlement intérieur, que le quorum a été respecté lors de la séance et que celle-ci a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal comportant l'ensemble des mentions requises par le règlement intérieur. Par suite, le moyen tiré de ce que la délibération litigieuse aurait été adoptée en méconnaissance des règles de procédure prévues par le règlement intérieur de la Haute Autorité manque en tout état de cause en fait.
Sur la légalité interne de la délibération attaquée :
9. Pour retenir que M. A... risquait de commettre le délit de prise illégale d'intérêts en devenant directeur de la sûreté et sécurité du FC Nantes, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'est notamment fondée sur la circonstance que, dans le cadre de ses fonctions publiques, ce dernier était en particulier chargé, en tant que " référent hooliganisme ", d'évaluer les risques de troubles à l'ordre public avant les matches organisés par ce club et de proposer des orientations sur les mesures d'encadrement et de périmètres autour des rencontres sportives, qui étaient susceptibles d'être utilisées pour l'élaboration des conventions conclues par l'Etat avec le club en vue du remboursement par ce dernier de certaines dépenses engagées pour les forces de sécurité publique pour le maintien de l'ordre lors de ces rencontres. Elle a considéré que l'exercice de telles fonctions avait placé M. A... en position de commettre le délit de l'article 432-13 du code pénal.
10. En premier lieu, pour rendre l'avis d'incompatibilité litigieux, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a, comme il a été dit au point précédent, examiné quelles étaient les fonctions effectivement exercées par M. A... et détaillé celles qui lui semblaient l'exposer à un risque pénal. Ce faisant, elle n'a, contrairement à ce qui est soutenu, pas posé une interdiction générale et absolue pour les agents publics de travailler avec des entreprises avec lesquelles ils étaient en contact dans le cadre de leurs fonctions en méconnaissance des dispositions de l'article 432-13 du code pénal.
11. En second lieu, eu égard aux activités mentionnées au point 9, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles ont été effectivement exercées par M. A... dans le délai prévu par l'article 432-13 du code pénal, le collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a pu, sans faire une inexacte application de l'article L. 124-12 du code général de la fonction publique, estimer que les fonctions projetées par ce dernier au sein du FC Nantes l'exposaient au risque de commettre le délit mentionné à l'article 432-13 du code pénal et formuler, par suite, un avis d'incompatibilité avec ses fonctions publiques.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée y compris les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Copie en sera adressée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 6 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Bastien Brillet
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras