Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 août et 7 novembre 2024 et le 23 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 juin 2024 par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins l'a suspendu pour une durée de trois mois du droit d'exercer la médecine et a subordonné la reprise de son activité aux résultats d'une nouvelle expertise réalisée par un collège d'experts dans les conditions fixées à l'article R. 4124-3-4 du code de la santé publique ;
2°) de mettre à la charge du conseil départemental du Var de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A... et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du cinquième alinéa du I de l'article L. 4124-11 du code de la santé publique, le conseil régional de l'ordre des médecins " peut décider la suspension temporaire du droit d'exercer en cas d'infirmité du professionnel ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, ainsi que la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession. " Aux termes du II du même article : " Les décisions des conseils régionaux (...) en matière (...) de suspension temporaire totale ou partielle du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession peuvent faire l'objet d'un recours hiérarchique devant le Conseil national. Le Conseil national peut déléguer ses pouvoirs à une formation restreinte qui se prononce en son nom ". Aux termes de l'article R. 4124-3 du même code : " I. Dans le cas d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. Le conseil est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. / II. La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional par trois médecins désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. / III. En cas de carence de l'intéressé lors de la désignation du premier expert ou de désaccord des deux experts lors de la désignation du troisième, la désignation est faite à la demande du conseil par ordonnance du président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se trouve la résidence professionnelle de l'intéressé. Cette demande est dispensée de ministère d'avocat. / IV. Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'expertise. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Si les experts ne peuvent parvenir à la rédaction de conclusions communes, le rapport comporte l'avis motivé de chacun d'eux. Si l'intéressé ne se présente pas à la convocation fixée par les experts, une seconde convocation lui est adressée. En cas d'absence de l'intéressé aux deux convocations, les experts établissent un rapport de carence à l'intention du conseil régional ou interrégional, qui peut alors suspendre le praticien pour présomption d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession. / V. Avant de se prononcer, le conseil régional ou interrégional peut, par une décision non susceptible de recours, décider de faire procéder à une expertise complémentaire dans les conditions prévues aux II, III, IV et VIII du présent article. / VI. Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII. La notification de la décision de suspension mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'au préalable ait été diligentée une nouvelle expertise médicale, dont il lui incombe de demander l'organisation au conseil régional ou interrégional au plus tard deux mois avant l'expiration de la période de suspension. / VIII. Les experts facturent leurs honoraires conformément à la cotation des actes définie par arrêté du ministre chargé de la santé. Les frais et honoraires sont à la charge du conseil qui a fait procéder à l'expertise. " Aux termes de l'article R. 4124-3-4 de ce code : " Le praticien qui a fait l'objet d'une mesure de suspension du droit d'exercer ne peut reprendre son exercice sans que le conseil régional ou interrégional ait fait procéder, à la demande de l'intéressé, par des experts désignés selon les modalités définies aux II, III et IV de l'article R. 4124-3, à une nouvelle expertise, dans les deux mois qui précèdent l'expiration de la période de suspension. Dès réception du rapport d'expertise, le praticien est invité à se présenter devant le conseil régional ou interrégional. Si le rapport d'expertise est favorable à la reprise de l'exercice professionnel, le conseil régional ou interrégional peut décider que le praticien est apte à exercer sa profession et en informe les autorités qui avaient reçu notification de la suspension. S'il estime ne pas pouvoir suivre l'avis favorable des experts ou si l'expertise est défavorable à la reprise de l'exercice professionnel, le conseil régional ou interrégional prononce une nouvelle suspension temporaire. La décision du conseil régional ou interrégional peut être contestée devant le conseil national. "
2. Il ressort des pièces du dossier que le conseil régional de Provence-Alpes Côte d'Azur de l'ordre des médecins a été saisi par le conseil départemental du Var de l'ordre des médecins, sur le fondement des dispositions de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique, citées au point 1, de la situation de M. B... A..., médecin spécialiste, qualifié en anesthésie-réanimation. Par une décision prise en application de l'article R. 4124-3-2 du même code, le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, a, par la décision attaquée du 5 juin 2024, suspendu M. A... du droit d'exercer la médecine pendant une durée de trois mois et subordonné la reprise de son activité aux résultats d'une nouvelle expertise réalisée par un collège d'experts dans les conditions fixées à l'article R. 4124-3-4 du code de la santé publique.
3. En premier lieu, la décision attaquée, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, dont les éléments que le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, a estimé qu'ils mettaient en évidence un état pathologique de nature à rendre dangereux l'exercice de la profession par l'intéressé, est suffisamment motivée.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le rapport d'expertise prévu par les dispositions du II de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique citées au point 1 a relevé, s'agissant de M. A..., qu'il a " présenté un trouble dépressif caractérisé et des troubles du comportement consécutifs à un trouble de l'alcool, dans un contexte personnel et professionnel stressant ", alors qu'il avait "une addiction éthylique antérieure ", qu'il apparaît " vulnérable sur le plan psychique " et bénéficie à ce titre de soins réguliers et d'un " traitement psychotrope ". Il a conclu, tout en faisant état de réserves tenant à des " manifestations psychiques persistantes " chez l'intéressé et à " sa vulnérabilité psychique, notamment vis-à-vis de sa problématique addictive ", que M. A... était apte à reprendre son exercice professionnel. Il a toutefois recommandé une " reprise professionnelle dans un cadre moins exposé autour d'une activité de consultation ", avec réévaluation à six mois, avec production de certificats, d'attestations et de bilans biologiques permettant de justifier de l'absence durable de consommation d'alcool. En estimant, au vu de l'ensemble de ces éléments ainsi que de l'audition de M. A..., qu'il n'était pas établi que son état de santé était suffisamment stabilisé pour permettre, sans danger pour les patients, la reprise immédiate de son activité professionnelle de médecin anesthétiste-réanimateur, et en décidant de prononcer la suspension de son droit à exercer la médecine pendant une durée de trois mois, avec réévaluation de son état de santé à ce terme, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins n'a ni commis d'erreur de droit, ni fait une application inexacte des dispositions citées au point 1.
5. En dernier lieu, l'institution d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement une position. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale et qu'elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Par suite, lorsque la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins est saisie d'un recours administratif préalable obligatoire contre une décision de suspension d'un médecin prononcée par une instance régionale ordinale, il lui appartient de se prononcer, en prenant en compte les éléments de droit et de fait applicables à la date de sa décision, sur la situation de ce médecin et en particulier d'apprécier si, à cette date, il présente un état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, de nature à justifier la suspension temporaire, totale ou partielle, de son droit d'exercer la médecine, pendant une durée qu'il lui appartient de déterminer. Dès lors, en décidant de suspendre M. A... pour une durée de trois mois, courant à compter de la notification de sa décision, alors même que cette mesure faisait suite à une même mesure antérieurement prononcée par l'instance régionale pour une durée de six mois et ayant commencé à être exécutée, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins n'a pas commis d'erreur de droit, ni, en l'espèce, d'erreur d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du conseil départemental du Var de l'ordre des médecins, qui n'est pas partie à la présence instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au Conseil national de l'ordre des médecins.