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21/05/2025 | FRANCE | N°476240

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 21 mai 2025, 476240


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme, résultant d'une mise en demeure du 20 septembre 2017, correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu'aux majorations et pénalités correspondantes, auxquels la société à responsabilité limitée (SARL) La Puce à l'Oreille a été assujettie au titre de la période du 1er juin 2005 au 31 juillet 2006 et au paiement desquels il a été solidairement condamné par un arrêt de la cour d'appel de D

ouai du 8 février 2011. Par un jugement n° 1801301 du 2 juillet 2021, ce tribun...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme, résultant d'une mise en demeure du 20 septembre 2017, correspondant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu'aux majorations et pénalités correspondantes, auxquels la société à responsabilité limitée (SARL) La Puce à l'Oreille a été assujettie au titre de la période du 1er juin 2005 au 31 juillet 2006 et au paiement desquels il a été solidairement condamné par un arrêt de la cour d'appel de Douai du 8 février 2011. Par un jugement n° 1801301 du 2 juillet 2021, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 21DA02122 du 25 mai 2023, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 juillet et 17 octobre 2023, 4 novembre 2024 et 30 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. A... B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la vérification de comptabilité dont la société à responsabilité limitée (SARL) La Puce à l'Oreille a fait l'objet au titre de la période du 1er septembre 2002 au 31 juillet 2006, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de majorations et pénalités, ont été mis à sa charge et mis en recouvrement par un avis du 29 octobre 2007. Par un jugement du 27 novembre 2007, le tribunal de commerce de Lille l'a placée en liquidation judiciaire, la procédure étant clôturée le 29 septembre 2015 pour insuffisance d'actif. Par un jugement du 9 octobre 2009, le tribunal correctionnel de Lille a déclaré M. A... B..., gérant de cette société, solidairement tenu au paiement de sa dette fiscale sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, au titre de la période du 1er juin 2005 au 31 juillet 2006. Ce jugement a, dans cette mesure, été confirmé par un arrêt du 8 février 2011 de la cour d'appel de Douai. En exécution de cet arrêt, le pôle de recouvrement spécialisé du département du Nord a adressé à M. B..., le 20 septembre 2017, une mise en demeure de payer. La réclamation de M. B... du 3 octobre 2017 n'ayant été que partiellement admise, celui-ci a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de l'obligation de payer le surplus de la somme résultant de cette mise en demeure. Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 25 mai 2023 ayant rejeté son appel formé contre le jugement du 2 juillet 2021 par lequel ce tribunal a rejeté cette demande.

Sur l'application de la loi fiscale :

2. D'une part, aux termes de l'article 1745 du code général des impôts : " Tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes. "

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2011 : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / (...) ". Le même article prévoyait, dans sa rédaction antérieure, que " les comptables du Trésor qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa, par lequel se prescrit l'action en vue du recouvrement, est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous autres actes interruptifs de la prescription " et l'article L. 275 du même livre, abrogé à compter du 1er octobre 2011, disposait que " la notification d'un avis de mise en recouvrement interrompt la prescription courant contre l'administration et y substitue la prescription quadriennale (...) / Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa est interrompu dans les conditions indiquées à l'article L. 274 ".

4. Enfin, aux termes de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, désormais codifié à l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution : " Le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. " Aux termes de l'article 4 de la même loi, désormais codifié à l'article L. 111-6 du même code : " La créance est liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation. " Aux termes de son article 3-1, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et désormais codifié à l'article L. 111-4 du même code, applicable à la date de l'arrêt de la cour d'appel de Douai : " L'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article 3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long (...) ". Le 1° de l'article 3 de la même loi, désormais codifié à l'article L. 111-3 du même code, mentionne parmi les titres exécutoires " les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire ".

5. Il résulte, d'une part, des dispositions citées aux points 2 et 3 que la décision juridictionnelle déclarant, sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, qu'une personne est tenue au paiement solidaire de l'impôt fraudé interrompt la prescription de l'action en recouvrement de l'impôt tant à l'égard du débiteur principal de l'impôt qu'à l'égard de la personne déclarée solidairement tenue au paiement de cet impôt. Cette interruption du délai de prescription produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, ainsi que le précise désormais l'article 2242 du code civil, sans qu'il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe que le caractère continu de cet effet interruptif serait subordonné à l'absence de la faculté, pour le créancier, de prendre des mesures conservatoires.

6. Il résulte, d'autre part, des dispositions citées aux points 2 et 4 que cette décision juridictionnelle constitue, lorsqu'elle porte mention d'une créance liquide, c'est-à-dire évaluée en argent ou comportant tous les éléments permettant son évaluation, un titre exécutoire à l'encontre de la personne déclarée solidairement tenue au paiement de l'impôt. Lorsque le comptable public poursuit le recouvrement de cette imposition en exécution d'une telle décision juridictionnelle, un nouveau délai de dix ans lui est ouvert, qui se substitue au délai quadriennal prévu pour l'exécution du titre fiscal délivré par l'administration.

7. En premier lieu, si la cour administrative d'appel de Douai a énoncé à tort que M. B... avait été déclaré solidairement responsable des impositions en litige par une décision juridictionnelle en application de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, alors qu'il l'a été sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, l'erreur ainsi commise est restée sans incidence sur le bien-fondé de son raisonnement et doit être regardée comme une simple erreur de plume, dès lors que les effets d'un jugement prononcé sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, tels que rappelés aux points précédents, sont identiques à ceux d'une décision prise sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales. Dans ces conditions, le moyen d'insuffisance de motivation doit être écarté.

8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que c'est sans erreur de droit que, pour écarter le moyen tiré de ce que l'action en recouvrement de la créance fiscale litigieuse était atteinte par la prescription à la date de la mise en demeure de payer du 20 septembre 2017, la cour a jugé que l'arrêt du 8 février 2011 de la cour d'appel de Douai, dont il n'était contesté devant elle ni qu'il portait sur une créance exigible et liquide, ni qu'à la date à laquelle il est intervenu la créance n'était pas prescrite, avait ouvert au comptable public, pour assurer le recouvrement de sa créance, un nouveau délai de dix ans.

9. En dernier lieu, si le requérant soutient que l'arrêt du 8 février 2011, à défaut de constater une créance liquide et exigible, ne pouvait constituer un titre exécutoire propre à fonder légalement les poursuites à son égard, ce moyen, nouveau en cassation, ne peut qu'être écarté comme inopérant.

Sur l'interprétation administrative de la loi fiscale :

10. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ". Est regardé, au sens de ces dispositions, comme ayant appliqué un texte fiscal relatif au recouvrement de l'impôt selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par des commentaires publiés le contribuable qui s'est prévalu de ces commentaires dans la réclamation qu'il a formée en application des articles L. 281 et R. 281-1 et suivants du livre des procédures fiscales.

11. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... se prévalait, sur le fondement de ces dispositions, des paragraphes n°20, 30, 80, 100, 220 et 270 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques-impôts sous la référence BOI-REC-EVTS-30-10. Selon les énonciations des paragraphes n° 20 et 30, le délai de prescription de l'action en recouvrement, tel que prévu à l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, " peut se combiner avec des délais de prescription inhérents aux actions civiles ou pénales engagées par les comptables " et " le délai à retenir est celui qui prend fin le premier ". Selon le paragraphe n° 100, relatif aux décisions des juridictions judiciaires rendues en matière pénale, " La condamnation au paiement solidaire des impôts fraudés par une société, sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts est une mesure à caractère pénal selon la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation. Cela étant, en application du principe civil régissant la solidarité, le délai de l'action en recouvrement (quatre ans) est applicable à la créance qui résulte d'une décision de justice constatant une solidarité au paiement de la créance fiscale et rendue par la juridiction pénale ".

12. Ces énonciations comportent ainsi une interprétation formelle des dispositions citées aux points 3 et 4 selon laquelle le délai dans lequel se prescrit l'action du comptable public, lorsqu'il poursuit le recouvrement d'une créance résultant d'une décision du juge pénal constatant, sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts, une solidarité au paiement des impôts fraudés par une société, est de quatre ans. Dès lors, en se fondant, pour juger que M. B... ne pouvait se prévaloir de ces énonciations sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, sur ce qu'elles ne comportaient aucune interprétation formelle de la loi fiscale, la cour a commis une erreur de droit.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 25 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bohdam-Tognetti ; conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 476240
Date de la décision : 21/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-05-01-005 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - GÉNÉRALITÉS. - RECOUVREMENT. - ACTION EN RECOUVREMENT. - PRESCRIPTION. - JUGEMENT DE SOLIDARITÉ FONDÉ SUR L'ARTICLE 1745 DU CGI – PORTÉE ET EFFETS [RJ1] – 1) INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION À L’ÉGARD DU DÉBITEUR PRINCIPAL COMME DE LA PERSONNE DÉCLARÉE SOLIDAIREMENT TENUE AU PAIEMENT DE L’IMPÔT, JUSQU’À L’EXTINCTION DE L’INSTANCE – 2) JUGEMENT CONSTITUANT UN TITRE EXÉCUTOIRE À L’ENCONTRE DE LA PERSONNE DÉCLARÉE SOLIDAIREMENT TENUE AU PAIEMENT DE L’IMPÔT – A) CONDITIONS – B) DÉLAI DE PRESCRIPTION DE L’ACTION EN RECOUVREMENT – DIX ANS.

19-01-05-01-005 1) La décision juridictionnelle déclarant, sur le fondement de l’article 1745 du code général des impôts (CGI), qu’une personne est tenue au paiement solidaire de l’impôt fraudé interrompt la prescription de l’action en recouvrement de l’impôt tant à l’égard du débiteur principal de l’impôt qu’à l’égard de la personne déclarée solidairement tenue au paiement de cet impôt. ...Cette interruption du délai de prescription produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, ainsi que le précise désormais l’article 2242 du code civil, sans qu’il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe que le caractère continu de cet effet interruptif serait subordonné à l’absence de la faculté, pour le créancier, de prendre des mesures conservatoires....2) a) Cette décision juridictionnelle constitue, lorsqu’elle porte mention d’une créance liquide, c’est-à-dire évaluée en argent ou comportant tous les éléments permettant son évaluation, un titre exécutoire à l’encontre de la personne déclarée solidairement tenue au paiement de l’impôt. ...b) Lorsque le comptable public poursuit le recouvrement de cette imposition en exécution d’une telle décision juridictionnelle, un nouveau délai de dix ans lui est ouvert conformément à l’article 3-1 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, codifié à l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution (CPCE), qui se substitue au délai quadriennal prévu pour l’exécution du titre fiscal délivré par l’administration.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 mai. 2025, n° 476240
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Jau
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:476240.20250521
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